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Peut-on dire que les révolutions arabes ont failli ?

mercredi 20 novembre 2013 - 09h:37

Ramzy Baroud

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Refuser les mensonges et les simplifications qui dès le départ on entouré le ainsi-nommé printemps arabe ne signifie pas nécessairement que l’on doute de l’idée même que d’authentiques révolutions ont touché différents pays arabes depuis près de trois ans.

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Manifestation de femmes égyptiennes contre le régime du dictateur Moubarak, place Tahrir, au Caire, le 1er février 2011 - Photo : AFP/AFP/Miguel Medina

En fait, la vague révolutionnaire est toujours en cours, et il faudra de nombreuses années avant que les résultats de ces mobilisations populaires se fassent vraiment sentir. On peut comprendre la frustration et le sentiment profond de déception résultant de l’état de chaos qui règne en Libye, des querelles politiques au Yémen et en Tunisie, de la brutale guerre civile en Syrie, et bien sûr, le chagrin ressenti dans tout le monde arabe à la suite des événements sanglants en Égypte.

Mais placer le terme « d’échec » sur les révolutions arabes est une erreur égale aux nombreuses erreurs de calcul qui ont toujours accompagné les révolutions naissantes et les soulèvements depuis leur début. Beaucoup d’erreurs de jugement ont été faites d’emblée, en commençant par amalgamer tous les pays arabes en une seule catégorie - et en traitant le sujet comme une information singulière ou une question académique. Il était plus simple pour un journal de poser une question comme « qui est le prochain ? » au moment où le dirigeant libyen Muammar al-Kadhafi se faisait impitoyablement massacrer par des rebelles financés et armés par les pays de l’OTAN. Il est également commode pour les analystes de s’interroger du pourquoi l’armée égyptienne a tout d’abord pris le parti de la révolution du 25 janvier, tandis que l’armée syrienne s’est maintenue autour du parti au pouvoir et que l’armée yéménite est tombée dans de profondes divisions.

Dans la course pour mettre en avant l’autorité intellectuelle de l’un ou l’autre, ou pour s’approprier la question ou pour de pures raisons politiques, les Arabes ont été disséqués de toutes les façons possibles, étirés dans toutes les directions et réduits au plus simple d’une façon très pratique mais totalement tordue. Il était alors facile de trouver des réponses rapides.

Tandis que l’on trouvait facilement des raisons pour lesquelles les Arabes se sont révoltés, le temps a prouvé combien les premiers discours étaient ineptes et trompeurs. Ces révolutions ont pris différentes voies. Cela témoigne de la singularité des situations, historiques ou autres, qui caractérisent chaque pays - par opposition à la représentation grossière offerte par les médias. C’est un argument que j’avais développé peu après que l’ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali ait fui le pays. Mon argument était une réplique à l’euphorie des attentes formulées par les « experts » et journalistes des médias qui avaient manifestement peu de compréhension, ou oserais-je dire, peu de respect de l’histoire ou peu de connaissances des réalités complexes dans lesquelles baigne chaque pays arabe. Beaucoup ont continué à écrire des livres, tandis que d’autres animaient des réunions publiques dans le monde avec des discours enflammés sur les réveils collectifs arabes et islamiques avant même d’évoquer des idées de base sur ce qui était vraiment en train de se dérouler devant nos yeux. Ces manifestations ont été parfois très violentes et faisaient intervenir de nombreux acteurs, depuis le Qatar jusqu’à la Chine, avec des groupes très variés dans leurs racines, leur idéologie et leurs sources de financement .

Mais comme la situation devenait plus complexe, la plupart des racontars sur les « révolutions twitter » et autres, sont devenus moins pertinents et ont finalement disparu. Prenons le cas de la Libye. Ceux qui avaient des réponses simplistes reflétant une compréhension vraiment faible des sociétés arabes, ne pouvaient guère comprendre la nature complexe de la société tribale de la Libye, les aspects socio-économiques qui régissent les relations entre l’Est et l’Ouest, les zones urbaines avec les villes du désert, ainsi que le contexte africain et les relations extérieures de la Libye.

Lorsque l’OTAN a exploité le soulèvement libyen, principalement dans les régions orientales du pays, afin d’atteindre ses propres objectifs politiques, cette organisation a converti un soulèvement régional en une guerre tous azimuts qui a laissé le pays dans une situation comparable à celle d’un État en complète faillite. Presque immédiatement après que l’OTAN ait déclaré victorieuse la révolution libyenne, l’excitation sur la composante libyenne du « printemps arabe » s’est faite plus discrète pour finalement complètement se dissiper. Depuis lors, la Libye n’a guère suivi le chemin de la démocratie et des réformes. En effet, les préjudices résultant de la crise libyenne, tels que l’afflux massif d’armes et de réfugiés vers d’autres pays africains, ont déstabilisé tout le pays du Mali.

En conséquence, le Mali a lui aussi connu ses propres bouleversements : un coup d’État militaire, la guerre civile et pour finir une guerre menée depuis deux ans par les Français. Malheureusement, ces questions ne sont guère discutées dans le contexte libyen puisque le Mali n’est pas arabe... donc ces histoires gênantes ne sont d’aucune utilité dans le discours simpliste du « printemps arabe » .

Les conséquences du fiasco libyen continueront de se faire sentir pendant de nombreuses années. Mais comme des arguments simplistes ne peuvent pas faire face à des situations complexes, les « experts » des médias et autres colporteurs intellectuels ont reporté leur attention ailleurs, vendant les mêmes vieux arguments pour d’autres pays arabes en insistant sur les même explications même si celles-ci n’ont jamais rien expliqué.

Alors que certaines parties continuent d’utiliser le même vocabulaire qu’ils utilisaient dans les premiers mois des révolutions de 2011, les manquements de ces révolutions ont finalement donné du crédit à ceux qui soutiennent que le « printemps arabe » a été entièrement une farce - pensée, contrôlée et manipulée par les États-Unis, et l’argent de riches pays arabes. Soit ces critiques n’ont aucune foi dans les masses arabes comme facteur possible de changement dans leur propre pays, soit ils ont été trop habitués à juger le monde et tous ses événements comme une conspiration colossale où les États-Unis et ses alliés sont les seuls à agir sur les leviers .

Aussi vigilant qu’il faille rester face aux nombreux faux-scoops présentés comme des nouvelles dans les médias, il ne faut pas tomber dans le piège de voir le monde à travers le prisme d’un complot américain dans lequel nous serions, au choix, des co-conspirateurs, de malheureux imbéciles ou des participants consentants.

Les révolutions arabes n’ont pas failli, du moins pas encore. Cela va nous prendre des années ou peut-être même toute une génération pour évaluer leurs échecs ou leurs réussites. Ces révolutions ont « échoué » par rapport à nos attentes et à cause d’une compréhension erronée de l’Histoire. Ce que font les révolutions populaires, c’est introduire de nouveaux facteurs qui remettent en question la façon dont les pays sont gouvernés. Dans l’ère post-coloniale du Moyen-Orient, les pays arabes étaient gouvernés par des dictateurs, les puissances étrangères et leurs relais locaux. L’harmonie ou les affrontements entre les dictateurs et l’étranger ont déterminé le cours des événements dans la plupart des pays arabes - en fait, dans la plupart des expériences post- coloniales dans le monde entier.

C’est là que se situe la véritable signification des mobilisations de masse dans les pays arabes, et qu’elle devient d’une grande importance car le « peuple » - un facteur qui est encore loin d’être pleinement défini - a contesté les règles du jeu et brouillé les cartes. Certes, toute la région est dans un état de chaos, mais c’est le prix que l’on doit s’attendre à payer quand des dictatures et des puissances étrangères sont contestées par des peuples longtemps désemparés, désorganisés, et opprimés .

Les révolutions arabes n’ont pas failli, mais elles n’ont pas pour autant réussi. Elles ont tout simplement remis en question le statu quo comme jamais auparavant. Le résultat de ces nouveaux conflits définira la politique de la région, son avenir, et les relations entre les gouvernements et les prochaines générations d’Arabes .

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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7 novembre 2013 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/a...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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