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Le blocus de Gaza s’intensifie

mardi 16 avril 2013 - 07h:15

Ramzy Baroud

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Le 17 septembre 2012, Ismail Haniyeh, Premier ministre du gouvernement du Hamas à Gaza, adressait un nouvel appel à son homologue égyptien, Hisham Kandil, en vue d’envisager l’instauration d’une zone libre-échange entre Gaza et l’Égypte.

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Le Hamas, mouvement de la résistance islamique, sera confronté à terme à des choix difficiles

Cette idée raisonnable permettrait à l’Égypte de soutenir l’économie en lambeaux de Gaza tout en épargnant au Caire les retombées politiques de la destruction des centaines de tunnels qui assurent la survie de 1,6 million de Palestiniens soumis à un siège israélien permanent. En effet, pour survivre, les Palestiniens de Gaza comptent sur les marchandises qui passent en fraude par les tunnels et, dans une moindre mesure, sur les aumônes des Nations unies.

« Nous avons expliqué le concept en détail (…) L’idée consiste à soulager les difficultés économiques de Gaza », a expliqué un responsable du Hamas, Taher al-Noho, à l’adresse de Reuters. Kandil a promis d’examiner la question, indiquant en outre qu’il était trop tôt pour donner une réponse.

Toutefois, cette proposition avait déjà été introduite avant la réunion de septembre, et elle a été réitérée plusieurs fois depuis. Elle aurait au moins dû servir de base à une plate-forme de discussion sérieuse à propos d’une future coopération entre Gaza et l’Égypte, dans cette question urgente. Mais Le Caire n’a ni répondu ni proposé d’alternative en vue de mettre un terme à la misère apparemment perpétuelle de Gaza. Pis encore, depuis plusieurs mois et, surtout, depuis le raid mortel effectué le 5 août dans le Sinaï par des assaillants inconnus – et qui a tué 16 gardes frontaliers égyptiens – l’armée égyptienne s’est particulièrement activée à détruire les tunnels de Gaza.

Selon Maher Al-Tabbaa, un économiste résidant à Gaza, « 30 pour 100 des marchandises de Gaza proviennent des tunnels ». Mais d’autres estimations, citées par Reuters, situent la dépendance alimentaire vis-à-vis de la contrebande à 80 pour 100. Sans les tunnels et sans véritable alternative à long terme, Gaza va s’enfoncer encore plus dans la pauvreté et la crise va très probablement atteindre des niveaux sans précédent.

Mais pourquoi l’Égypte d’après la révolution s’obstine-t-elle à poursuivre cette même politique d’isolement de Gaza qui avait déjà été adoptée par l’ancien dictateur égyptien Hosni Moubarak ?

Malgré les graves répercussions humanitaires du siège, le sujet est essentiellement politique. Suite à la chute du régime de Moubarak, un sentiment d’euphorie avait régné à Gaza et dans toute la région : Un gouvernement révolutionnaire – et tout particulièrement un gouvernement dirigé par les frères musulmans – était susceptible de bouleverser un héritage enrichi, historiquement financé et maintenu en place par l’argent et le levier politique des États-Unis. Le prix du traité de Camp David signé entre l’Égypte et Israël en 1978-1979 était censé transformer l’Égypte en un atout politique permanent pour Washington et Tel-Aviv, en échange d’un montant financier convenu qui se traduit principalement en aide militaire. Et, en effet, Moubarak avait rempli ses engagements et feu le chef des renseignements égyptiens, Omar Suleiman, était la personnification de ce succès américain.

Quand Israël imposa un siège à Gaza, suite à la victoire du Hamas aux élections de 2006, on ne se soucia guère que l’Égypte et Gaza eussent une frontière commune. Israël semblait tout à fait à l’aise en sachant que le régime de Moubarak était bien en selle, alors que les Palestiniens de la bande de Gaza subsistaient entre une guerre de temps à autre et des difficultés économiques permanentes.

Suggérer que c’est le Hamas qui a orchestré le massacre des soldats égyptiens dans le Sinaï – et qui a servi de signal à l’armée afin d’isoler complètement Gaza –, c’est faire preuve d’une ignorance totale de la psychologie des Palestiniens de Gaza, qui continuent à percevoir l’Égypte comme une oasis d’espoir politique et de sauvetage économique. En outre, c’est ignorer facilement aussi les rapports culturels et religieux entre Gaza et l’Égypte – qui a administré la bande de Gaza durant deux décennies, entre 1948 et 1967.

Accablés par les tentatives incessantes de les écarter du pouvoir, les Frères musulmans et le président Mohammed Morsi continuent à aborder les problèmes concernant les Palestiniens avec une extrême prudence. Leurs détracteurs ont consacré beaucoup d’énergie et de temps à noircir les Palestiniens, le Hamas et Gaza dans une bonne partie des médias privés égyptiens. Cette propagande bizarre montrant des Palestiniens assiégés à Gaza en train de passer des armes et de la drogue en fraude vers le Sinaï crée un état de confusion parmi de nombreux Égyptiens, à propos de Gaza et de son rôle dans le chaos sécuritaire que connaît l’Égypte.

Trop timide pour défier les nombreuses forces en jeu en Égypte, le gouvernement de Morsi propose peu de chose pour aider Gaza à surmonter son isolement. Cette hésitation s’est avérée coûteuse. Sous le prétexte de protéger la sécurité nationale de l’Égypte, l’armée détruit activement les tunnels et ce, sous la direction du ministre de la Défense, le général Abdel Fattah el-Sissi. Dans un article du 6 avril publié dans le journal israélien Haaretz, Zvi Bar’el estimait que 250 tunnels avaient été détruits en mars, avec que 76 avaient été inondés avec des eaux usées, « après les avoir situés via des informations reçues par satellite, probablement en coopération avec les États-Unis ».

« Probablement » est une litote, du fait que le gouvernement américain – et d’autres puissances occidentales – a investi d’énormes fonds et pas mal de savoir-faire pour s’assurer que Gaza soit en quarantaine complète. Durant une grande partie de l’année 2011, il était tout simplement impensable à Gaza que l’Égypte allait continuer à coopérer activement avec les renseignements occidentaux afin de maintenir Gaza dans l’isolement. En 2012, et tout particulièrement après le raid du mois d’août dans le Sinaï, il est apparu clairement que, quelles qu’aient été les forces engrangées par la révolution de janvier 2011, elles étaient tout simplement trop faibles pour avoir un impact sur la réalité du terrain. Selon Haaretz, « la direction politique et militaire de l’Égypte est divisée, sur le plan du soutien au Hamas ». Plus cette division persistera, plus Gaza sombrera dans le désespoir. Naturellement, certaines forces régionales et internationales investissent activement dans cette division de l’Égypte, souhaitant ainsi museler l’indépendance politique du Hamas.

Et, en effet, des signes montrent aujourd’hui que le Hamas tente de donner satisfaction à certaines puissances extérieures dans l’espoir de se maintenir et de résister aux pressions qui ont précédé et suivi son départ de Damas suite à l’insurrection devenue guerre civile en Syrie. Certains médias rapportent que la réinstallation de Khaled Meshaal en tant que chef politique du Hamas n’aurait pas été possible sans de lourdes pressions de la part du chef des renseignements égyptiens, le général Raafat Shehata. Avec Meshaal à la tête, la normalisation entre le Hamas et la Jordanie et le Qatar (un très important bailleur de fonds du Hamas), parmi d’autres puissances régionales, est susceptible de se poursuivre. De plus, selon Adel Zaanoun, écrivant pour l’Agence France Presse le 3 avril en s’appuyant sur des avis de spécialistes de la région, les réélections de Meshall « pourraient améliorer les liens du Hamas avec l’Occident ». Le fait que les élections du Hamas ont eu lieu au Caire, suggérait un autre analyste, « est la preuve que l’Égypte soutiendra le mouvement en l’ouvrant à l’Occident ».

Il est possible que le prix qui sera extorqué aux Frères musulmans pour mettre un terme aux ingérences régionales et occidentales dans les affaires égyptiennes, comprendra aussi la remise en conformité du Hamas. Alors que la direction du Hamas à Gaza se voit refuser l’accès à la moindre indépendance économique, certains dirigeants extérieurs du Hamas sont avancés comme candidats « modérés » convenables dans toute possibilité de normalisation futur entre le Hamas et l’Occident.

Cette dépendance est lentement et savamment entretenue, puisqu’elle vise à obtenir à long terme des « compromis » politiques de la part du Hamas. Et, comme si le siège israélien et la destruction des tunnels ne suffisaient pas, l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency - Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) a récemment annoncé qu’il allait ramener la distribution d’aide élémentaire à 25.000 réfugiés, à Gaza, et cette décision « pourrait exacerber les difficultés causées par les contrôles israéliens et égyptiens aux frontières de l’enclave isolée », rapportait Al Jazeera le 5 avril.

Sans possibilités d’alternatives économiques face au blocus terrestre et maritime imposé par Israël, à la démolition par l’Égypte des tunnels et aux réductions budgétaires de l’UNRWA, la direction du Hamas va devoir en chercher sous forme d’aumônes qui ne seront consenties que moyennant un prix politique. À long terme, le Hamas va être confronté à des choix difficiles, y compris la dissolution ou la nécessité de suivre la même voie néfaste empruntée par le Fatah et l’OLP et qui a débouché sur le fiasco de la « paix » d’Oslo initiée en 1993. Seule une cessation constructive de l’impasse politique égyptienne pourrait offrir au Hamas à Gaza une troisième alternative plus digne, et cela reste à voir.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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10 avril 2013 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/gazas...
Traduction : Plateforme Charleroi Palestine - Jean-Marie Flémal


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