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Mais où donc va la Turquie ?

lundi 22 avril 2013 - 06h:33

Ramzy Baroud

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« Confuse » peut être un terme approprié pour décrire la politique étrangère actuelle de la Turquie au Moyen-Orient et à l’égard d’Israël en particulier. La source de cette confusion - en dehors de la terrible violence qui règne en Syrie et depuis plus longtemps en Libye - ce sont les propres erreurs de la Turquie.

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Février 2011, Ankara - Erdogan devant le parlement turc

L’incohérence du gouvernement turc en ce qui concerne Israël souligne les changements de cap décrétés dans d’autres contextes politiques. Il fut un temps où la priorité absolue de la politique étrangère de la Turquie était de tendre la main aux pays arabes et musulmans. Ensuite, nous avions parlé d’un changement de paradigme, dans lequel Istanbul a repositionné son centre de gravité politique. Ce qui reflétait peut-être une nécessité économique mais aussi des changements culturels au sein de sa propre société. Il semble que le débat Est contre Ouest a été habilement contourné par les dirigeants du Parti de la Justice et du Développement (AKP).

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, accompagné en cela par son ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, semblait avoir trouvé une approche non conflictuelle et magique par rapport à l’alignement politique historique de la Turquie. La politique de « Zéro problème » a permis à la Turquie d’apparaître comme un pont entre deux mondes. La croissance économique du pays et son importance stratégique pour les différentes sphères géopolitiques lui ont permis d’échapper à toute mesure de rétorsion venue de Washington et de ses alliés européens, en réprimande pour ses initiatives politiques audacieuses - dont l’initiative sans précédent de défier d’Israël, comme l’a fait M. Erdogan.

En effet, il y avait un lien entre l’influence croissante de la Turquie parmi les pays arabes et islamiques et le défi de la Turquie face au comportement violent d’Israël en Palestine et au Liban et à ses menaces contre la Syrie et l’Iran. Le retour de la Turquie à ses racines politiques était sans équivoque, mais curieusement, cela n’a pas provoqué une trop forte réaction américaine. Washington n’avait pas les moyens d’isoler Istanbul et cette dernière avait conscience de son pouvoir. Même les étranges déclarations anti-turcs faites par les responsables israéliens ressemblait plus à des élucubrations incohérentes qu’à une réelle politique étrangère.

L’arrogance politique et la force militaire américaine sont deux piliers avec lesquels Israël maintient son influence dans la région. Le premier a été naïvement appliqué lorsque l’adjoint du ministre des Affaires étrangères, Danny Ayalon, a snobé publiquement l’ambassadeur turc Ahmet Oguz Celikkol en janvier 2010, en le plaçant sur ​​un canapé bas puis en demandant aux journalistes israéliens de bien prendre note de l’insulte. Le second s’est manifesté en mai 2010 lorsque des commandos israéliens ont piraté le navire turc Mavi Marmara qui transportait de l’aide humanitaire vers Gaza, et assassiné de sang-froid neuf citoyens turcs.

« Idiotie » est le terme employé par le chroniqueur Uri Avnery pour décrire le comportement d’Israël envers la Turquie, qui était autrefois l’un des alliés les plus vitaux d’Israël. Mais l’idiotie n’a rien à voir avec cela et la Turquie le savait bien. Israël voulait envoyer un message fort aux Turcs, que sa manœuvre stratégique et politique n’était d’aucune utilité ici et qu’Israël continuerait à imposer sa volonté face aux politiques ambitieuses d’Erdogan. La véritable « idiotie », c’était les mauvais calculs d’Israël, qui a omis de comp^rendre que de tels comportements ne pouvaient qu’accélérer la transformation politique de la Turquie. Le fait que les États-Unis perdaient leur emprise autrefois sans partage sur le sort du Moyen-Orient a également contribué à l’élévation soudaine de la Turquie comme un pays ayant des racines solides et une vision politique à long terme.

Erdogan a rapidement accédé à la notoriété. Ses réponses aux provocations d’Israël et de ce qui était de fait une déclaration de guerre, sont venus sous la forme de déclarations fortes et d’actions mesurées. Il a conditionné tout rapprochement avec Israël à des excuses claires concernant ses agressions, à des compensations pour les victimes et les familles des morts, et à la fin du siège de Gaza. La dernière condition soulignait dans le même temps, les nouvelles priorités politiques de la Turquie.

En ce qui concerne l’ascendant régionale de la Turquie, il importe peu de savoir si Israël a présenté des excuses. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahua perdu du terrain, même vis-à-vis de ses alliés à Washington. Et contrairement à Washington, qui est sous la coupe du lobby pro-israélien, Istanbul appartient à un pays à la politique étrangère indépendante.

Quand l’AKP a triomphé aux élections turques en juin 2011, le ainsi-nommé Printemps arabe était encore à ses premiers stades. Ensuite, beaucoup d’espoir a été placé sur la montée des mouvements populaires dans les pays qui avaient été défigurés par des dictatures et leurs bienfaiteurs occidentaux. Non seulement le parti au pouvoir (AKP) n’a pas tenu compte du fait que la Turquie avait hérité d’une partie de l’ancienne structure politique au Moyen-Orient, mais il lui échappa aussi que la Turquie était un membre important de l’OTAN, lequel a déclenché une terrible guerre contre la Libye le 19 mars, sur une fausse interprétation, délibérée, de la résolution 1973 votée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Oui, la Turquie avait résisté à l’option de la guerre au début, mais elle n’a pas tardé à l’adopter et l’a finalement soutenue. Grâce à la guerre, la Libye est maintenant dans un état de décomposition avancée.

Le discours de victoire électorale de M. Erdogan en juin 2011 a tenté de peindre une nouvelle image de la réalité, des perspectives d’avenir et du rôle revendiqué par la Turquie. « Je salue avec affection les peuples de Bagdad, Damas, Beyrouth, Amman, Le Caire, Tunis, Sarajevo, Skopje, Bakou, Nicosie et tous les autres peuples amis et frères qui suivent les nouvelles de la Turquie avec beaucoup d’enthousiasme », a déclaré M. Erdogan. « Aujourd’hui, le Moyen-Orient, le Caucase et les Balkans ont gagné autant que la Turquie. »

Mais cette « victoire » fut de courte durée. L’euphorie du changement a masqué beaucoup de choses, dont l’une est que les conflits de nature sectaire et ethnique - comme en Syrie - ne sont pas résolus du jour au lendemain, que l’intervention militaire étrangère, directe ou par procuration, ne peut que générer des conflits prolongés. En effet, c’est en Syrie que la vision de la Turquie a véritablement été mise à l’épreuve. Il était évident que beaucoup salivaient à l’idée d’une guerre en Syrie entre un régime brutal et égoïste et une opposition divisée, chaque faction épousant un programme mis au point à l’étranger. Soudain, les ambitions régionales et mondiales de la Turquie à propos de la justice et de la morale devenaient de plus en plus incertaines en raison de la peur que le chaos se répande à ses zones frontalières, avec une hausse tragique du nombre de réfugiés syriens aux frontières de la Turquie et la crainte d’une forte présence kurde dans le nord de la Syrie .

Pas même les politiciens turcs les plus compétents ne pouvaient cacher la confusion dans laquelle ils se trouvaient. En réponse à l’agression israélienne sur Gaza en novembre dernier, qui a tué et blessé des centaines de Palestiniens, M. Erdogan a qualifié Israël « d’État terroriste ». « Ceux qui ferment les yeux sur la discrimination envers les musulmans dans leur propre pays, ferment également les yeux sur le massacre sauvage d’enfants innocents à Gaza ... Par conséquent, je dis qu’Israël est un État terroriste ».

« À la lumière de l’enquête menée par Israël sur l’incident qui a vu un certain nombre d’erreurs opérationnelles, le Premier ministre a exprimé les excuses d’Israël au peuple turc pour les erreurs qui ont pu conduire à la perte de vies ou à des blessures et a accepté de conclure un accord sur une indemnisation, » a déclaré M. Netanyahu en guise d’excuses. Aucun engagement concernant Gaza n’a été pris et le bureau de M. Erdogan a répondu : « M. Erdogan a déclaré à Binyamin Netanyahu qu’il appréciait la forte amitié et la coopération séculaires (?) entre les nations turques et juives ». Selon Netanyahu, les excuses. sur les « erreurs opérationnelles » avait tout à voir avec la nécessité d’échanger des renseignements sur la Syrie, entre les forces armées des deux pays. Pour tenter de masquer la retraite précipitée de la Turquie vis-à-vis de son ancienne politique étrangère, Erdogan aurait l’intention de visiter la bande de Gaza en avril.

« Nous allons assurer un rôle plus efficace. Nous allons appeler, car nous en disposons déjà, aux respect des droits de l’homme dans notre région, pour la justice, la primauté du droit, la liberté et la démocratie » , ont été les fortes paroles d’Erdogan après la victoire électorale de son parti en 2011.

Il est probable qu’Istanbul va essayer de maintenir une position équilibrée, mais, comme Erdogan le sait pertinemment, dans les questions de morale et de justice, les positions intermédiaires sont tout simplement intenables.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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3 avril 2013 - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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