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En Égypte, toutes les Rabia du monde ne font qu’une !

dimanche 25 août 2013 - 06h:00

Ramzy Baroud

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« Seigneur ! Vous savez bien que mon plus profond désir est de respecter Vos commandements et de Vous servir de tout mon coeur, Ô lumière de mes yeux. Si J’étais libre je passerais la journée entière et la nuit dans les prières. Mais que devrais-je faire, quand vous m’avez transformée d’un être humain en une esclave ? »

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4 juillet 2013 - Manifestation en faveur du Président Mohammed Morsi, place Rabia al-Adawiyya - Photo : UPI/Ahmed Jomaa

C’étaient les mots de la poétesse musulmane mystique, Rabia al-Adawiya. Son parcours de l’esclavage à la liberté a servi de témoignage par-delà les générations sur la force et le courage d’une personne armée de sa seule foi.

L’histoire de Rabia a plusieurs aspects, et bien que cette sainte musulmane soit morte il y a déjà 12 siècles, l’analogie entre son récit et leur propre histoire échappe à peu d’Égyptiens. Dans le nord du quartier de la ville de Nasr, des dizaines de milliers d’Égyptiens ont choisi la mosquée iconique du nom de Rabia pour tenir leur sit-in et exiger le retour à la shar’iya (légitimité) après que celle-ci ait été violée dans un impitoyable coup de force militaire qui, le 3 juillet dernier, a évincé le Président élu Mohamed Morsi.

Le récit de Rabia a une valeur inestimable parce qu’il traite de la liberté. Elle était née dans une famille très pauvre à Bassora, en Irak. Selon Farid ud-Din Attar qui a narré son histoire, elle était si pauvre que lorsqu’elle est née sa famille n’avait rien pour l’emmailloter, et pas même d’huile pour allumer leur seule et unique lampe. Des années après, lorsque Rabia était devenue une jeune fille et qu’elle tentait d’échapper à une redoutable famine en Irak, elle fut enlevée et vendue comme esclave en Égypte.

On ne peut pas dire que Rabia ait contesté le pouvoir de son maître en organisant des grèves ou des sit-in de protestation. Elle était seule et sous l’emprise de trop de forces. Elle passait donc la majeure partie de la journée à travailler comme esclave, mais la nuit, elle restait éveillée et priait. C’était plus que simplement prier, en vérité une tentative de retrouver son humanité, de comprendre la multitude de forces qui l’avait enchaînée aux contraintes terrestres de la relation entre un esclave et son propriétaire, et dans une certaine mesure, elle voulait atteindre une sorte de liberté qui ne dépendait pas du bon vouloir d’un maître.

En fait, et en dépit des conditions les plus dures qui soient, son vrai « miracle » était la force de sa foi et sa capacité à toujours se vouloir libre alors qu’elle vivait les conditions d’une esclave. Comme si cette poétesse, une héroïne et une sainte pour une multitude de gens pauvres et méprisés, était parvenue à formuler à sa manière les relations de l’actuelle lutte des classes et à trouver la liberté en elle-même. On rapporte que sa foi était si incroyablement forte que son maître se retrouva dans l’incapacité de traiter une sainte comme une esclave. Elle retrouva alors sa liberté.

Indépendamment des détails, le legs de Rabia al-Adawiya a été transmis d’une génération d’Égyptiens à l’autre. Comme elle l’était elle-même, beaucoup de ces Égyptiens sont pauvres, immensément patients et les otages de cette lutte des classes plusieurs fois centenaire qu’avait connue Rabia.

La révolution du 25 janvier 2011 a vu la participation de millions de Rabias, nourries d’oppression et de servitude. Mais la division entre les classes, exacerbée après que des millions d’Égyptiens aient protesté contre le putsch militaire, est devenue plus évidente que jamais. Ces protestataires étaient les plus pauvres parmi les pauvres, longtemps aliénés et déshumanisés par la classe dirigeante et les groupes d’intellectuels vaniteux, libéraux et socialistes autos-proclamés.

Cette union sans précédent entre la classe dirigeante égyptienne et l’élite intellectuelle anti-musulmane a réussi son coup, d’une ampleur à bloquer toute perspective dans la lutte de classes aujourd’hui en Égypte, où les communautés les plus pauvres - oui, des travailleurs et des paysans - menaient une lutte historique pour exiger la démocratie des intellectuels des classes supérieure et moyenne.

Ces putschistes commirent des crimes affreux contre des protestataires pacifiques, tandis que les intellectuels auto-proclamés trouvaient moyen d’expliquer pourquoi il était tout-à-fait justifié de s’en prendre avec une telle violence à des milliers de personnes faisant un sit-in dans le square Nahda et sur la place Rabia al-Adawiya – oui, baptisée du nom même de Rabia.

Les Rabias d’Égypte ne sont pas détestées, elles sont littéralement haïes. Elles ont été toujours traitées comme une catégorie sous-humaine qui vit dans ses quartiers à elle, à l’abandon, véritables bidonvilles faits d’immeubles construits les uns sur les autres. Les Rabias d’Égypte luttent tous les jours pour simplement survivre.

La foi aide les pauvres davantage qu’elle n’aide les riches, et ils ont donc leurs mosquées. C’est une ultime évasion contre les si dures épreuves de la vie. Quand la révolution du 25 janvier a éclaté, une union provisoire a pu se faire entre les pauvres et la classe moyenne frustrée. Celle-ci eut accès aux médias locaux et internationaux, et d’une certaine façon sa représentation à travers les réseaux sociaux s’en est retrouvée totalement disproportionnée.

Mais le 19 mars 2011, lors du premier scrutin qui a suivi le retrait de Hosni Mubarak, puis dans tous ceux qui se succédèrent jusqu’aux élections présidentielles du 16 juin 2012, les choses ne se déroulèrent pas comme prévu : les pauvres Égypte paraissaient vivre selon d’autres préférences politiques, favorisant les partis religieuses qui parlaient la même langue qu’eux , laissant de côté les libéraux, les socialistes et tout le reste.

Les libéraux et les socialistes les plus bruyants pouvaient bien apparaître à la télévision, mais après plusieurs tours de scrutin, on voyait bien que ce n’était pas vraiment eux qui comptaient. La tendance était indubitable, l’Égypte voulait un programme politique qui soit démocratique et qui reprenne en même temps un discours religieux.

Les libéraux et les socialistes étaient une fois de plus mis sur la touche, mais cette fois-ci démocratiquement. Leur propre interprétation d’une démocratie dite de modèle occidental n’était en réalité ni de type occidental ni démocratique, et leurs nombres même additionnés les plaçaient à la traîne des forces politiques. Ils firent endosser la responsabilité de chacun de leurs échecs d’abord aux militaires, puis aux reliquats du régime Moubarak, puis enfin la Fraternité musulmane.

Les régimes précédents n’avaient pas lésiné sur les moyens pour diaboliser les musulmans dont les préférences politiques ne consistaient pas à vénérer le régime. Ces régimes démonisaient les islamistes d’une façon telle qu’ils les réduisaient aux yeux de la classe dirigeante au niveau de sous-hommes.

Beaucoup des forces libérales et socialistes qui ont participé à la révolution du 25 janvier se sont développées en ne connaissant d’autre discours que celui qui présentait l’islam politique comme le mal devant être vaincu. Ce discours a été largement accentué après la signature de l’accord de Camp David à la fin des années 1970, puisque Israël n’était plus l’ennemi, et que l’ennemi maintenant étaient ceux qui osaient protester contre les politiques pro-US et pro-Israël.

Une telle culture ne change pas du jour au lendemain. On ne renverse pas un mode général de pensée en appuyant sur un bouton. Le fait est que la dominance du récit islamique dans l’Égypte post-révolutionnaire a terrifié ceux qui s’étaient accoutumés à la marginalisation de l’islam politique.

Le résultat fut que l’alliance provisoire entre les pauvres et la classe moyenne a disparu au profit d’une sinistre alliance avec les forces de l’ancien régime, dont font partie les militaires. C’était la pire des combinaisons possibles dans toute l’histoire moderne de l’Égypte. Des milliers de personnes ont été tuées ou blessées en l’espace de quelques heures le 14 août, dans la violente répression qui a sévi sur la place Rabia al-Adawiya’s. La mosquée a été incendiée. La débauche de violence qui a suivi – vendue par les libéraux et les socialistes, aussi bien que par les partisans de l’ancien régime comme une victoire de la démocratie - est indescriptible.

Mais aussi ensanglantés et bouleversants qu’ont été ces derniers jours en Égypte, une sorte de clarté aujourd’hui s’impose. La révolution du 25 janvier 2011, toute inspirée qu’elle ait pu être, a laissé de nombreuses questions sans réponse et a donné aux militaires l’occasion de se distancier du clan Moubarak et de se refaire une virginité en se présentant comme protecteurs de la nation.

Mais la vraie démocratie est une chose insupportable aux militaires et aux élites politiques et économiques corrompues. A présent, l’image attrayante d’une révolution paisible et guidée par des militaires vers des lendemains qui chantent, est morte : tous les masques sont tombés et la réalité est beaucoup plus laide que ce que l’on avait voulu imaginer. La vraie lutte de l’Égypte pour la liberté et une refonte de sa politique ne fait que commencer.

Aussi brutales que soient les images venant d’Égypte, l’héritage datant de 12 siècles de Rabia ne disparaîtra pas du fait que sa mosquée a été incendiée.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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21 août 2013 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.atimes.com/atimes/Middle...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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