Les liens tissés par l’Histoire entre les peuples de Gaza et d’Égypte ne pourront être brisés
dimanche 6 octobre 2013 - 07h:08
Ramzy Baroud
Le nouveau dictateur égyptien, le général Abdul Fatah al-Sisi, ne se rend pas compte que le lien entre l’Égypte, la Palestine et particulièrement le Gaza est au delà des vicissitudes du moment et ne peut pas être rompu par des restrictions aux frontières, bien que celles-ci causent de terribles souffrances pour beaucoup de Palestiniens.
- Novembre 2012 - Des milliers d’Égyptiens manifestent contre les bombardements israéliens sur Gaza - Photo : EPA/Khaled Elfiqi/
Gaza est « collectivement punie », et fait face aujourd’hui à des difficultés économiques et à une grave une pénurie de carburant en raison de la destruction des tunnels par l’armée égyptienne. Ce n’est rien de particulièrement nouveau. En réalité, ce genre de « punition collective » a caractérisé les relations d’Israël avec Gaza toutes ces 65 dernières années. Les sièges et les guerres à répétition ont laissé Gaza avec de profondes cicatrices, mais avec aussi des habitants forts, résilients et inventifs.
Mais ce qui rend le renforcement du siège israélien - imposé de façon radicale depuis 2007 - particulièrement douloureux est qu’il vient de l’Égypte, un pays que les Palestiniens ont toujours considéré comme « la mère » de toutes les nations arabes, et qui, avant la signature de l’accord de Camp David en 1978-79, était le champion des causes justes et particulièrement de celle de la Palestine.
Voir des mères de Gaza implorer le passage à la frontière de Rafah pour sauver leurs enfants mourants, et des milliers d’autres serrés dans des espaces minuscules dans l’espoir de pouvoir se rendre dans leurs universités, lieux de travail et hôpitaux, est un spectacle inimaginable pour les générations précédentes. Que la ainsi-nommée sécurité d’Israël soit devenue un souci de premier plan pour l’armée égyptienne et que les Palestiniens assiégés soient traités comme des ennemis, calomniés dans les médias et sous le coup d’accusations officielles, est décourageant et au minimum déconcertant.
Cette anomalie ahistorique ne peut pas durer. Le lien est simplement trop fort pour être brisé. Escompter que les Palestiniens se prosternent devant qui que ce soit qui gouverne l’Égypte et soient punis s’ils ne cèdent pas, est une injustice insigne, du même niveau que beaucoup d’injustices israéliennes dans les territoires occupés.
Je suis né et j’ai vécu à Gaza où ma génération entière a grandi en écoutant des récits d’Égyptiens héroïques qui ont combattu aux côtés des Palestiniens alors que tant d’États arabes leur tournaient le dos ou conspiraient avec les Anglais et Israël. Lorsque les combattants de mon village de Beit Daras se sont vaillamment battus pour stopper l’avancée des légions bien armées de la Haganah – qui allait plus tard devenir l’armée israélienne – ce sont des combattants égyptiens qui sont venus la première fois à leur secours. La force égyptienne était mal équipée et sans instructions claires - à l’époque l’Égypte était toujours sous la domination d’un roi qui était sous la coupe des Anglais. Les Égyptiens se sont battus aux côté de mon grand-père et d’autres villageois.
« Les Égyptiens se sont battus comme des lions », avait coutume de dire mon grand-père. Ils atteignirent les abords de Beit Daras fin mai puis à nouveau début juillet 1948, avant que le village ne soit définitivement perdu sous l’avance des milices sionistes et avec l’aide des Anglais. Toutefois, le sang égyptien et palestinien s’était mêlé dans une union éternelle de camaraderie et de solidarité.
En fait, le récit égyptien la chute de Beit Daras a été fait par rien de moins que Gamal Abdel-Nasser lui-même, alors qu’il était officier dans l’armée égyptienne puis plus tard le Président de l’Égypte. Nasser avait traversé par chemin de fer le Sinaï pour se rendre à Gaza et participer à la défense de la Palestine, ou de ce qu’il en restait. Il avait alors été posté dans Fallujah, un village situé au nord de Gaza. À plus d’une occasion son unité a essayé de reprendre les collines près de Beit Daras. Elles échouèrent. Puis on découvrit que beaucoup d’unités de l’armée égyptienne étaient équipées d’armes volontairement défectueuses. Ces nouvelles ont provoqué une onde de choc dans toute l’armée, mais il en fallait plus pour démoraliser Nasser et les quelques soldats égyptiens qui ont résisté dans Fallujah pendant des semaines. Leur résistance s’est transformée en légende.
Les Palestiniens, particulièrement ceux à Gaza, voyaient Nasser comme un libérateur, un héros, quelqu’un qui était véritablement intéressé à les sauver de la misère et du dénuement. Et pourquoi ne l’auraient-ils pas considéré ainsi ? C’était le même homme qu’ils avaient ovationné, avec ses officiers et ses soldats pendant qu’ils traversaient Gaza, faisant retraite vers l’Égypte après la bataille de Fallujah. Quand ils ont défilé avec leurs armes, c’était un rare moment de fierté et d’espoir, et les foules énormes de réfugiés ont inondé les rues pour les voir, entonnant des chants de liberté. Mon père, alors un jeune garçon, courait après les camions de l’armée.
Il a toujours prétendu avoir vu Nasser ce jour-là, ou peut-être était-ce ce qu’il avait voulu croire. Mais dans les années qui ont suivi, le même garçon recevra une lettre personnelle de Nasser, après que la révolution de 1952 ait triomphé et que celui-ci soit devenu le Président de la République Arabe d’Égypte. Nasser, tout bien considéré, était meilleur avec les Palestiniens que bien d’autres dirigeants arabes. Les réfugiés l’ont adoré. Ils conservaient dans leurs tentes et maisons de boue les photos encadrées de Nasser portant son uniforme militaire. Ils placèrent tous leurs espoirs sur l’homme qui, bien qu’il n’ait pu les libérer, avait fait beaucoup pour améliorer leurs conditions de vie.
Mais ce n’était que le début de ce qui allait devenir le lien de toute une vie. La bataille commune contre Israël fut suivie de l’intégration politique et administrative - car l’Égypte a administré la Bande de Gaza à partir de 1948-1967. Ce lien s’est interrompu lors d’une brève occupation israélienne durant la guerre de 1956. Gaza et l’Égypte n’ont pas fait que partager une frontière, mais aussi l’Histoire. Il n’est pas un seul Palestinien qui n’ait une raison personnelle, et très souvent positive, de se sentir lié à l’Égypte.
Alors que j’avais 9 ans, j’ai accompagné mon papa dans la recherche infructueuse d’un vieil ami à lui connu dans l’armée et qui vivait dans un des quartiers les plus pauvres d’Alexandrie. Les deux avaient combattu côte à côte pour la défense de la Palestine et de l’Égypte dans la guerre de 1967, également connue sous le nom de Naksa, qui veut dire « le recul ». L’ami était décédé peu avant que mon père ne le recherche. Il laissait derrière lui une famille nombreuse et sans ressources. Mon père a pleuré sur le trottoir, pendant qu’il me tenait la main. Il y avait un grand tas de gravats car un des immeubles d’habitation les plus grands du quartier s’était tout simplement effondré sur tous ses habitants. L’air sentait le sel et la brume, semblable à l’air de Gaza chaque été.
En dépit de tout ce que le régime de Hosni Mubarak a pu faire pour maintenir ses liens avec Washington et plaire à Israël aux dépens des Palestiniens - et en dépit de ce que fait le général al-Sisi pour regagner la confiance de Washington - il ne peut y avoir aucune rupture dans l’Histoire, celle des peuples, cimentée par le sang et les larmes. Pour humilier et isoler Gaza, les clowns dans les médias pourront continuer à répandre leurs mensonges et les généraux utiliser tous les moyens à leur disposition, mais Gaza ne se mettra pas à genoux, les Palestiniens ne cesseront jamais de considérer les Égyptiens comme leurs frères.
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com
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1e octobre 2013 – The Palestine Chronicle – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/p...
Traduction : Info-Palestine.eu – Claude Zurbach