Pendant que Gaza agonise, les complots vont bon train
mardi 15 octobre 2013 - 07h:25
Ramzy Baroud
Depuis la victoire électorale du Hamas en Janvier 2006 - et en particulier après les affrontements entre le Hamas et le Fatah et la fracture entre Gaza et la Cisjordanie à l’été 2007 - Gaza a subi une expérience humaine des plus terribles, dont le bilan est sans précédent dans l’histoire de ce territoire d’une très grande pauvreté.
- Enfant de Gaza - Les blocus, sièges, destructions... imposés depuis des décennies à la population palestinienne sont une tache indélébile dans la conscience du monde - Photo : Unicef/Iyad El Baba
Les responsables se trouvent parmi les habituels suspects, chacun avec un ensemble d’objectifs des plus clairs pour isoler et affaiblir Gaza. Les États-Unis et Israël ont travaillé sans relâche pour diviser les Palestiniens et faire échouer toutes les chances d’un gouvernement d’union, sans parler d’un projet national cohérent. Cela a aidé Israël à atteindre deux objectifs : d’abord critiquer les Palestiniens pour un manque de leadership (comme dans le fameux « nous n’avons pas de partenaire pour la paix ») et pour l’effondrement du soi-disant processus de paix, et ensuite détourner l’attention de la construction du mur d’apartheid et des colonies à travers les Territoires occupés.
L’Autorité nationale palestinienne (ANP ) a pleinement joué le rôle du collaborateur de service et a fait son maximum pour affaiblir le Hamas dès que l’occasion s’en présentait. Les États-Unis se sont assurés qu’aucun accord d’union ne serait signé entre le Hamas et le Fatah - le parti qui dirige l’Autorité nationale palestinienne - et que si un tel accord était jamais atteint, il ne sera pas honoré. Israël a attaqué la bande de Gaza à plusieurs reprises pour mettre à l’épreuve la détermination de la résistance palestinienne, voulant « donner une leçon à Gaza » et veiller à ce que l’existence du Hamas coûte cher à la population. Le Fatah de l’ex-président palestinien Mahmoud Abbas a été gâté, se voyant octroyé beaucoup « d’aide » et d’avantages. Ses officiels sont grassement payés, même lorsque le reste des Palestiniens ne sont pas payés du tout. Selon VisualizingImpact.org, les responsables politiques palestiniens [de l’AP] sont les seconds mieux payés au monde après le Kenya, en terme de multiple du produit intérieur brut par habitant.
Abbas, ses fonctionnaires et ses patrons des services de sécurité n’ont aucune raison d’abandonner un tel arrangement si juteux, surtout si l’autre option serait de sacrifier leurs richesses et d’embrasser un projet de libération nationale, dont le coût pourrait être bien trop élevé pour des gens aussi habitués à être dorlotés.
Isolé, dépourvu d’orientation politique claire et sans véritable choix, le Hamas a fait quelques erreurs qui se sont avérées coûteuses, surtout après les bouleversements arabes qui promettaient le changement, mais qui en réalité ont entraîné toute la région dans un terrible pari politique sur son avenir. Le Hamas est à présent encore plus isolé, surtout après le coup d’État militaire de juillet contre le premier président élu de l’Égypte. Mohammad Mursi, malgré l’immense pression exercée sur lui, a été beaucoup plus respectueux des Palestiniens à Gaza que son prédécesseur Hosni Moubarak. Ce dernier avait une grosse part de responsabilité dans la triste situation de Gaza, son régime veillant avec zèle à ce que le siège de Gaza soit complet et qu’un mouvement islamique aux portes de l’Égypte n’ait aucune chance d’une quelconque viabilité politique.
Le régime de Moubarak a joué le rôle que l’on attendait de lui et il en a grandement bénéficié Grâce à ses efforts tenaces pour contenir « les islamistes radicaux » à Gaza, Moubarak a été épargné par la croisade de façade pour la démocratie lancée par l’ancien président américain George W. Bush. Les États-Unis étaient et restent toujours totalement insensible à de nombreuses violations des droits humains commises par l’appareil répressif égyptien, la restriction des libertés et le déni éhonté des droits fondamentaux des citoyens. Le Congrès américain semblait beaucoup plus indulgent à l’égard des violations de l’Égypte, que par rapport à celles commises par d’autres régimes - en partie grâce aux six longues années de répression exercées par l’Égypte sur Gaza. Sur les quatre passages qui relient la bande de Gaza vers le monde, Israël en verrouille trois, tandis que l’Égypte verrouille le quatrième, et dans les deux derniers mois, l’armée égyptienne a détruit tous les tunnels que les Gazaouis avaient creusés pour passer de la nourriture et d’autres fournitures de première nécessité. Certains de ces tunnels serviraient également pour le passage d’armes que les Palestiniens de Gaza utilisent dans leur guerre de résistance contre Israël. Alors que Gaza meurt lentement, les jeux continuent. Toutes les parties - Israël, les États-Unis , l’Égypte, l’Autorité palestinienne et leurs alliés régionaux - coordonnent leurs efforts pour garantir la disparition du Hamas et le retour de l’AP au pouvoir à Gaza.
Dans un article intitulé « Gaza : Écrasé entre Israël et l’Égypte », Jonathan Cook, parle d’un « jeu cynique » en plein essor. Ce jeu prévoit que l’armée égyptienne détruise tous les tunnels et ferme le passage de Rafah, en échange de quoi Israël tolérera que « des troupes égyptiennes, ainsi que des chars et des hélicoptères entrent dans le dans le Sinaï en violation du traité de paix de 1979 », afin que Gaza soit totalement dépendante du « bon vouloir » d’Israël une fois de plus . Tout cela avec l’objectif de « renforcer l’image d’Abbas » et de présenter l’AP comme une option raisonnable par opposition au Hamas.
Pendant ce temps, au nom de la « sécurité nationale », l’Égypte parait en plein planification de quelque chose de sinistre. En dehors de couper Gaza du monde, sa marine attaque et emprisonne les pêcheurs de Gaza et ses généraux accusent constamment Gaza de jouer un rôle dans les troubles dans le Sinaï. Un des plus éminents chefs militaires égyptiens, le général Ahmad Wasfi, a averti « les djihadistes » dans la bande de Gaza par l’intermédiaire du journal du Koweït Al Rai, en disant qu’il allait « couper la tête de quiconque voudrait menacer la sécurité de l’Égypte ». Et cela peu de temps après que le ministre égyptien des Affaires étrangères, Nabil Fahmy, ait menacé de guerre la bande de Gaza. Plus récemment, le quotidien israélien Jerusalem Post a cité une source égyptienne supérieure déclarant à l’agence Ma’an news basée en Cisjordanie, que « l’armée égyptienne a planifié des attaques militaires contre des cibles précises dans la bande de Gaza au cas où se détériore la situation sécuritaire dans le nord de la péninsule du Sinaï ». Selon la source en question, « les avions de reconnaissance égyptiens ont photographié les cibles potentielles ».
Le temps est venu de présenter la facture, selon le point de vue des comploteurs. Israël n’a pas réussi, même à travers des guerres très violentes contre Gaza, a éradiquer le Hamas ou à vaincre les groupes de la résistance palestinienne dans le territoire. Les politiques de la carotte et du bâton des États-Unis ont également échoué, comme la plupart des politiques américaines au Moyen-Orient depuis l’invasion de l’Irak, voir même avant. Quant à Abbas, sa crédibilité n’a jamais été aussi inexistante et la seule raison pour laquelle il reste en place, c’est qu’Israël y voit des avantages. Mais depuis le renversement du gouvernement conduit par les Frères musulmans en Égypte, des initiatives [contre Gaza] sont à nouveau lancées, avec sérieux et en impliquant cette fois-ci toutes les parties.
Pendant des mois, il a été de plus en plus question d’un nouveau mouvement « populaire » à Gaza pour renverser le Hamas. L’initiative est calquée sur les manifestations du 29 juin en Égypte qui ont favorisé le coup d’État militaire du général Abdul Fatah Al Sissi. Le Hamas affirme que plusieurs cellules affiliées aux services du renseignement égyptien ont été démantelées dans la bande de Gaza. Des manifestations sont prévues pour le mois prochain. « Le rival politique du Hamas, le Fatah ... est à l’origine du nouveau mouvement de protestation », écrit Cook.
De fait, le Hamas est maintenant dans une situation des plus fragiles, créant ainsi une opportunité pour ses nombreux ennemis pour tenter un coup de force. Mais il n’est pas seulement question du Hamas. Le but ultime est de soumettre la bande de Gaza qui est au cœur de la résistance palestinienne, et d’en faire une extension dans le style occidental de Ramallah, sous la poigne d’Abbas et de ses sbires grassement payés. Si cet objectif est atteint, il se fera à un prix très élevé, que paiera non seulement la bande de Gaza, mais tous les Palestiniens.
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com
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8 octobre 2013 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/a...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib