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La révolution culturelle de Syrie

jeudi 30 juin 2011 - 06h:14

Salwa Ismail
The Guardian

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Dans leur soulèvement non violent, les jeunes ont compris que l’art, la comédie et la musique étaient des armes qui faisaient peur à Assad.

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Les jeunes jouent un rôle prépondérant dans le soulèvement en Syrie.
Photo : Nader Daoud/AP




Il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi le discours de Bashar al-Assad du lundi 20 juin n’a pas touché la corde sensible dans l’opposition. Le Président syrien a parlé de conspirations, de saboteurs et de vandales, il a déclaré qu’il ne saurait y avoir aucun compromis avec ceux qui « terrorisent le peuple ».

Pour les jeunes Syriens, acteurs déterminants du soulèvement, Assad n’a pas su discerner la nouvelle politique qu’ils représentaient. Les comités locaux de coordination, en grande partie gérés par la jeunesse militante, ont publié une déclaration rejetant son idée de dialogue national tant que les manifestations seront réprimées dans la violence.

Au c ?ur du mouvement de protestation, il y a la volonté de mettre fin au règne des services de sécurité. L’emprise de la Sécurité sur la vie politique implique le contrôle et la surveillance des rassemblements et des discours dans les espaces public et virtuel. Toutes les positions de premier plan sont passées au crible par la Sécurité.

La stratégie du Président a été de coopter les représentants traditionnels - patriarches et chefs de clans - pour calmer leurs groupes locaux de partisans. Dans le même temps où les services de sécurité mettaient la main sur les cybermilitants, manifestants et membres de l’ancienne opposition, le régime propageait l’idée qu’il s’engageait dans un dialogue avec ses opposants. Son choix des interlocuteurs est resté confiné aux représentants de la communauté traditionnelle et à quelques dissidents triés sur le volet - qui ont maintenant déclaré sans équivoque qu’ils refusaient eux aussi d’engager le dialogue sous le feu.

Pour les jeunes militants, dont certains que j’ai interviewés récemment à Damas, le soulèvement vise à reprendre le pays à la clique au pouvoir ; à transcender les divisions ethniques et sectaires que le régime a manipulées pour se maintenir au pouvoir ; et à se forger une identité nationale en lien avec les droits et obligations de la citoyenneté. Le mouvement comprend beaucoup de ceux qui, à un très jeune âge, ont participé aux forums civils du Printemps de Damas en 2000, ou qui ont des militants politiques ou des prisonniers de conscience dans leur famille. Il a commencé avec de petites actions de solidarité avec l’Égypte et la Tunisie, en particulier par des veillées aux chandelles où quelques-uns osaient se retrouver dans des lieux publics malgré la présence menaçante des gens de la Sécurité.

Ce mouvement s’est répandu géographiquement et a monté en nombre. Partout dans le pays, de modestes actes de résistance - protestions du soir, sit-in sur des places publiques et à domicile pour les femmes - se sont multipliés chaque semaine dans l’effusion d’un sentiment antirégime après les prières du vendredi. Les participants et leurs dirigeants venaient de toutes les sectes et comprenaient des hommes et des femmes. Ils ont entretenu une communication régulière, échangé leurs expériences d’organisation locale et organisé des séances de critiques virtuelles pour évaluer leurs méthodes et démarches.

En plus d’organiser et de coordonner les manifestations, les jeunes ont exprimé la résistance au régime au travers d’un vaste corpus de travaux artistiques et d’une contre-culture élargie. Dans les affiches, slogans, chansons, animations et comédies, ils ont cherché à apporter une alternative au monopole du régime sur les médias et à son occupation agressive de l’espace public.

Ils ont été également conscients de la nécessité de contrer la représentation que faisaient du soulèvement les médias officiels, le présentant comme l’ ?uvre de gangs armés, d’extrémistes salafistes et d’infiltrés étrangers. Une chanson poignante écrite par le groupe, Les Infiltrés (vidéo), ironise sur la façon dont le régime catalogue les jeunes comme infiltrés, rappelant qu’ils sont tous, en réalité et tout simplement, des Syriens. Face aux allégations de conspirations et de complots, les jeunes ont clairement exprimé leur refus de toute intervention étrangère. A l’instar de leurs déclarations officielles, leurs expressions culturelles affirment leur détermination de préserver les caractères non violent et non sectaire du soulèvement.

Contrairement à la politique insensée du régime, le mouvement de protestation fait preuve d’une maturité politique grandissante. Dans sa portée géographique et au travers de solidarités créées dans l’organisation d’un mouvement national, le siège d’une ville en pousse une autre à se manifester. Les Syriens sont en train de découvrir leur pays plus intimement en le voyant au travers d’une carte des manifestations, où des lieux comme Baba Amr et Bab Siba’i dans Homs parlent aux autres des souffrances de ceux qui sont sous le siège militaire comme Deraa et Tel Kalakh.

Oui, une nouvelle carte de la Syrie, dessinée pour marquer les manifestations des vendredis, montre la refonte de la géographie et de la politique du pays. En ce sens, le soulèvement peut être vu comme la seconde naissance de la nation syrienne.


Salwa Ismail enseigne la politique concernant le Moyen-Orient à l’École des Études orientales et africaines à l’université de Londres. Elle est l’auteur de : La vie politique dans les nouveaux quartiers du Caire : à la rencontre de l’État quotidien

Du même auteur :

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21 juin 2011 - The Guardian - traduction : JPP


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