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Assad pousse à une guerre civile et à une intervention étrangère en Syrie

mercredi 22 juin 2011 - 07h:09

Wilhelm Langthaler
Camp anti-impérialiste

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Entretien avec Wajdy Mustafa, opposant de gauche syrien.

Wajdy Mustafa, 51 ans, a été membre du Parti communiste et à ce titre il a passé au total treize années dans les prisons syriennes.

Il y a quelques années, il est venu en Europe, comme réfugié politique.

Aujourd’hui, il a été élu au comité consultatif de la Conférence d’Antalya qui s’est tenue du 31 mai au 3 juin, constituant la principale coalition de l’opposition démocratique syrienne.

Qui a lancé la conférence d’Antalya, et qu’en est-il ressorti ?

Il y a eu déjà plusieurs conférences différentes de l’opposition syrienne ou de fractions de l’opposition. Par exemple, certains courants musulmans ont organisé leurs propres conférences. L’idée était d’arrêter de suivre des programmes séparés et d’essayer d’arriver à l’union la plus large possible en faveur de la démocratie en Syrie. Les principaux promoteurs en étaient les forces de gauche et libérales autour de la Déclaration de Damas, mais cette tentative d’union n’a pas abouti.

Sur les 31 membres du comité consultatif, il y avait quatre membres pour la Déclaration de Damas, quatre pour les Frères musulmans, quatre pour les Kurdes (majoritaires à gauche) et autant pour les tribus. Les quinze autres étaient des personnalités indépendantes comprenant toutes les confessions.

Des articles indiquent qu’Abdul Halim Khaddam et Rifaat al Assad n’ont pas été réélus. Pour quelle raison ?

En fait, ils n’étaient pas présents, et ils avaient déjà été exclus auparavant comme beaucoup d’autres en raison de leurs relations directes avec les États-Unis. Comme vous pouvez le lire dans la déclaration finale de la Conférence, nous refusons énergiquement toute intervention militaire étrangère en Syrie comme ces gens tendent à le demander. Nous ne voulons pas répéter la très malheureuse expérience libyenne.

Mais n’y a-t-il pas une implication, un financement turcs alors que certaines forces d’opposition veulent suivre le modèle turc ?

Non, il n’y a aucune implication de la Turquie, ni politique, ni financière. Mais il est vrai que la Turquie aspire à un plus grand rôle régional qui pourrait être renforcé par son implication dans la transition syrienne. D’un autre côté, certaines forces islamiques, et aussi d’autres dans la population sunnite, demandent un soutien turc. Dans certaines manifestations, on a vu des slogans appelant à une intervention militaire de la Turquie. Ce que nous refusons.

Mais le régime Assad ne prétend-il pas qu’il existe une influence saoudienne et salafiste dans la rébellion, qui aboutira à favoriser les intérêts américains, ou du moins, à ce que les Frères musulmans contrôlent la rébellion ?

Il existe deux courants au sein des Frères musulmans ou, plus largement, dans le mouvement islamique. Le courant le plus libéral et démocratique a participé avec enthousiasme à la Conférence d’Antalya.

Il respecte la diversité de la Syrie et appelle à la démocratie, et non à un État islamique. Il s’oppose à une intervention occidentale, comme nous en avons convenu à Antalya.

Et il y les groupes prosaoudiens qui se sont réunis à Bruxelles mais seulement en leur qualité de musulman. Ce sont des rivaux de la coalition d’Antalya. Ils pourraient être liés aux États-Unis par l’intermédiaire des Saoudiens et des États du Golfe.

En fait, personne ne contrôle leur mouvement et encore moins de l’extérieur ! Oui, il y a trente ans, les Frères musulmans contrôlaient Alep, Homs, Hama, etc. Mais aujourd’hui, c’est une nouvelle génération. Leur objectif principal est la démocratie, même si beaucoup d’entre eux se disent islamiques ou islamistes.

En passant, les Saoudiens dans la dernière période se sont montrés très prudents. Ils ne sont pas allés à l’encontre d’Assad bien que cela puisse changer si la vague internationale se retourne contre son régime.

Les États-Unis eux-mêmes n’ont pas de forces sur le terrain. Les USA et les anciennes puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne, sont très impopulaires en Syrie et vous auriez beaucoup de mal à leur trouver des partisans affichés.

Les tentatives sectaires de Hariri ont pu s’opérer par l’intermédiaire de son ami personnel, Khaddam. Mais Khaddam est hors-jeu. Aussi, de telles tentatives restent-elles insignifiantes.

Leur seule carte passe par l’intermédiaire de la Turquie qui, cependant, suit son propre programme.

Comment expliquez-vous le virage démocratique des Frères musulmans ?

Ils ont un passé très négatif pour leur sectarisme et les atrocités qu’ils ont commises sur le terrain. Mais ils ont changé aussi, et accepté cette réalité syrienne que près de la moitié de la population appartient à des minorités nationales ou confessionnelles. Le régime Assad a projeté l’idée que la seule alternative en dehors de lui serait un régime confessionnel avec les Frères musulmans. Mais c’est absolument faux. Eux-mêmes ne comptent que sur un maximum de 15 % de l’électorat. Ni les tribus ni les capitalistes ne suivent les islamistes. Dans certaines manifestations dans les régions sunnites, des gens ont même pris leurs distances avec les islamistes. C’est la réalité syrienne qu’une partie des forces islamistes a finalement été prête à reconnaître. C’est la raison pour laquelle l’aile démocratique des Frères musulmans s’est formée et a enfin accepté un État laïc, tel que stipulé dans la déclaration d’Antalya.

D’un autre côté, les médias occidentaux rapportent volontairement qu’il existe une implication iranienne et du Hezbollah dans la répression.

Je ne peux le confirmer, mais j’en doute. Ce que moi j’ai entendu, c’est que des soldats barbus seraient impliqués, ce qui est interdit dans l’armée syrienne. Cela donne lieu à des spéculations. Politiquement, Téhéran est totalement du côté d’Assad, car la disparition du régime Assad serait un revers grave pour lui.

Quelle est la perspective de la révolution syrienne ?

Malheureusement, la répression sévère contre les exigences démocratiques du peuple prouve que la voie suivie par les Tunisiens ou les Égyptiens est bloquée par le régime. Celui-ci est convaincu d’en finir avec la révolte populaire en la noyant dans le sang. Ils l’ont dit si souvent, et je sais que c’est vrai.

Comme le mouvement ne peut et ne veut pas abandonner, par son refus de répondre aux exigences démocratiques, Assad enfonce le pays de plus en plus profondément dans une guerre civile. Nous voulons éviter cela, par tous les moyens. Aussi, nous appelons la population à s’en tenir strictement à des manifestations non violentes. Mais personne ne veut de lui-même finir comme victime. Les gens tirent les leçons des massacres permanents et il est légitime aussi qu’ils se défendent.

Selon certains articles, il y aurait une scission dans l’armée. N’est-il pas possible d’aller à une insurrection avec le soutien des forces démocratiques au sein de l’armée ?

Pour l’instant, on n’a vu que des défections individuelles. Vous devez aussi tenir compte que le régime a monté cette armée selon des critères sectaires afin de s’en assurer la fidélité. Alors que la majorité des soldats appelés sont sunnites conformément à leur part dans la population, le corps des officiers lui est à dominante alaouite. Vous voyez bien que les sièges des villes rebelles sont assurés par des unités spéciales dont les soldats sont, pour la plupart, alaouites. Assad n’ose pas utiliser des soldats autres, de crainte des mutineries.

Les forces organisées de l’opposition sont très faibles sur le terrain. Les Frères musulmans, tout comme la gauche, ont été chassés par des décennies de persécutions terribles. Nous sommes confrontés à une révolte spontanée qui, pour l’instant, est incapable d’une telle insurrection fortement organisée.

Mais avec le temps, le régime va s’affaiblir. Il y a des signes qui montrent que certains éléments de l’élite des affaires envisagent de changer de côté, non seulement chez les sunnites mais aussi dans le milieu alaouite. Il est possible qu’à un moment donné, le régime implose.

Mais ceci pourrait-il pousser à une intervention étrangère ?

C’est l’un des principaux points de la déclaration d’Antalya pour s’opposer à toute intervention militaire étrangère. Et je crois que les puissances occidentales n’oseront pas intervenir tant que l’écrasante majorité du peuple syrien, toutes tendances politiques confondues, le refuse. Nous ne voulons pas et nous ne finirons pas comme en Libye.

La Russie aussi s’y oppose, et elle garde une base navale à Tartous (ville côtière de Syrie).

Mais ce qui est possible, c’est une ingérence turque. Pas dans une véritable attaque mais une intervention limitée sur les zones frontalières sous couvert d’aide humanitaire. Nous nous opposons à cela, mais beaucoup l’acceptent. Chez les sunnites, la Turquie a gagné une bonne réputation car elle est plus démocratique et elle a réussi économiquement. Ils préfèrent sans aucun doute un projet ottoman aux anciennes puissances coloniales.

Et le danger d’une agression israélienne ?

Israël n’a aucune raison de nous agresser. Les Israéliens recherchent la stabilité et par conséquent, ils sont contre le mouvement démocratique. Assad est mieux pour eux.

Et qu’avez-vous prévu comme prochaines étapes ?

Concernant la coalition Antalya, nous allons bientôt élire son comité exécutif.

Politiquement, notre principale tâche extérieure est d’accentuer la pression internationale sur le régime. Nous voulons mener Assad devant le tribunal de La Haye.

Mais n’est-ce pas exactement cette logique de l’escalade internationale en spirale qui préparera le terrain à une agression militaire de l’extérieur ?

C’est un dilemme. Nous avons besoin d’une pression étrangère qui affaiblisse le régime et conduise aux défections indispensables. Nous ne pouvons pas regarder passivement Assad massacrer notre peuple et pousser le pays dans une guerre civile que nous voulons éviter par tous les moyens. De l’extérieur, il est possible de contribuer à l’isolement du régime et de faire que la répression ait un coût politique plus élevé. Mais je le répète : nous refusons toute intervention militaire étrangère.

Pourriez-vous dire que la coalition Antalya est anti-impérialiste ?

Il s’agit d’une coalition démocratique. Il y a des forces libérales en son sein que nous ne pouvons pas qualifier d’anti-impérialistes. Et prenez en compte aussi que le peuple syrien se fait tuer au nom de l’anti-impérialisme. Un exemple : le Parti communiste, allié du régime, a récemment organisé une manifestation anti-impérialiste alors qu’il esquive tout soutien aux exigences démocratiques de la population. Quelle sorte d’anti-impérialisme est-ce là ? Vous comprendrez pourquoi le peuple en a assez de ce type d’anti-impérialisme.

Les rébellions démocratiques en Tunisie et en Égypte ont eu lieu parce qu’il existait une énorme pauvreté générée par le néo-libéralisme. Comment la coalition d’Antalya aborde-t-elle ce problème social ?

Nous avons le même problème social en Syrie. Mais Antalya a élaboré une plate-forme exclusivement sur la démocratie. Nous ne sommes pas en position de faire face à ces problèmes actuellement. Quand les objectifs démocratiques seront atteints, il y aura d’autres conflits et d’autres coalitions

Propos recueillis par Wilhelm Langthaler




Déclaration finale de la Conférence de Syrie pour le Changement

Antalya, 31 mai - 3 juin 2011

Aujourd’hui, la Syrie vit des jours de plus en plus difficiles ; cependant, elle assiste aussi à la naissance d’une aube nouvelle de liberté trempée du sang et du sacrifice de la jeunesse syrienne manifestant pacifiquement et résolument. Cela fait peser la responsabilité d’une action urgente sur les épaules de tous les Syriens, vivant partout dans le monde, pour agir au côté de leurs frères et s ?urs dans et à l’extérieur de la Syrie, et construire un nouvel avenir pour leur pays.

Par conséquent, un certain nombre de patriotes syriens, venant de tous horizons, se sont réunis et ont appelé à une Conférence de Syrie pour le Changement. Des invitations ont été adressées à une grande diversité de militants syriens politiques et populistes avec l’objectif que ne coule plus le sang de notre peuple et de prendre une position ferme concernant les évènements dans sa patrie et l’insistance du régime oppressif à utiliser les forces de l’armée et de sécurité en rejetant les exigences justes du peuple pour la liberté et la démocratie.

La Conférence de Syrie pour le Changement s’est tenue à Antalya, en Turquie, du 31 mai au 3 juin 2011, en solidarité avec la Révolution syrienne et pour rechercher des solutions permettant de sauver la Syrie de l’oppression et de la mettre sur le chemin de la liberté et de la dignité. En tant que tels, les participants ont adopté ce qui suit :

  • 1 - Les participants ont fait leurs les exigences du peuple syrien enjoignant le Président syrien de se retirer, demandant la chute du régime, et soutenant la révolution formidable et pacifique du peuple syrien vers la liberté et la dignité.
  • 2 - Les participants demandent au Président Bashar al-Assad de démissionner immédiatement de toutes ses fonctions et positions, et de remettre l’autorité à son vice-Président, conformément aux procédures constitutionnelles, jusqu’à l’élection d’un Conseil de transition qui ébauchera et appliquera une nouvelle constitution syrienne devant convoquer des élections parlementaires et présidentielles libres et transparentes, dans un délai qui n’excédera pas un an à partir de la démission du Président Bashar al-Assad.
  • 3 - Les participants affirment leur soutien constant à la Révolution syrienne jusqu’à ce qu’elle atteigne ses objectifs, tout en insistant sur la paix, le patriotisme, l’unité du territoire syrien, le rejet sans équivoque d’une intervention militaire étrangère et l’union nationale de la Révolution syrienne - qui ne représente aucune direction partisane ni ne cible aucun groupe particulier de la société syrienne.
  • 4 - Les participants proclament que le peuple syrien est constitué de nombreuses ethnies, arabe, kurde, chaldéenne, assyrienne, syriaque, turkmène, tchétchène, arménienne et autres. La Conférence établit la légitimité et les droits égaux de tous en vertu d’une nouvelle constitution syrienne fondée sur l’unité nationale, un État civil et un régime pluraliste, parlementaire et démocratique.
  • 5 - Les participants s’engagent à déployer tous les efforts pour la réalisation d’un avenir démocratique de la Syrie, qui respecte les droits de l’homme et la protection de la liberté pour tous les Syriens, dont les libertés de croyance, d’expression et de pratique de la religion, en vertu d’un État civil fondé sur la séparation des pouvoirs, législatif, judiciaire et exécutif, tout en adoptant la démocratie et les urnes comme seuls moyens de gouvernance.
  • 6 - Les participants se sont engagés pour des missions difficiles et sérieuses afin d’assurer la prospérité économique, des avancées scientifiques et culturelles sous l’égide de la justice, la paix et la sécurité.
  • 7 - Les participants appellent tous les Arabes, l’Organisation de la Conférence islamique, la Ligue arabe et la communauté internationale d’assumer la responsabilité juridique et morale pour que cessent les violations des droits de l’homme et les crimes contre l’humanité sur les civils désarmés, et pour soutenir l’ambition du peuple syrien de liberté et de démocratie.

La Conférence s’est terminée par l’élection d’un organe consultatif de suivi, avec un vote sur ardoise. La liste électorale a été choisie par un groupe de participants. L’organe consultatif devra nommer un organe d’exécution qui, à son tour, établira et appliquera un plan d’action pour coordonner toutes les activités soutenant la Révolution syrienne pour un changement pacifique.

Camp anti-impérialiste - Source : Syria Comment

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Les organisateurs de la Conférence pour le changement en Syrie, lors du point de presse, vendredi, après la rédaction de la déclaration finale, à l’issue d’une rencontre de trois jours qui a rassemblé les opposants au régime Assad.

Mi-juin 2011 - Camp anti-impérialiste - traduction : JPP


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