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Le Liban est en jeu : la Turquie doit montrer ses cartes

lundi 6 décembre 2010 - 06h:26

Ramzy Baroud

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Une carte nouvelle et solide : la Turquie a le pouvoir de changer les règles de cette partie terriblement prévisible.

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Une carte nouvelle et solide : la Turquie a le pouvoir de changer les règles de cette partie terriblement prévisible.




Le moment de la visite de deux jours du Premier ministre turc au Liban ne pouvait être plus judicieux. Les ennemis du Liban ont battu plus fort que jamais le rappel des troupes pour la guerre. Tous les plans malintentionnés qui se sont tramés à la suite de l’assassinat de l’ancien Premier ministre du Liban, Rafik Hariri, sont prêts à converger sur un seul et redoutable objectif : déstabiliser et affaiblir le Liban, désarmer le Hezbollah et permettre le retour, incontesté, d’Israël qui mettra à sac ce minuscule pays comme il l’a fait sauvagement en 1982.

Lors de son voyage au Liban, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a paru clair dans ses intentions. Mais compte tenu de ce qui est en jeu, peut-être ne l’a-t-il pas été suffisamment.

Israël est rempli d’ « incertitudes » et il n’ « est pas encore fixé sur ce qu’il va faire » a-t-il affirmé selon l’Agence d’informations de l’Etat turc (AA). « Croit-il (Israël) pouvoir entrer au Liban avec les avions et les chars les plus modernes pour tuer femmes et enfants, et détruire les écoles et les hôpitaux, et que nous allons rester à nous taire ? » a-t-il demandé. « Nous ne resterons pas silencieux, et nous soutiendrons la justice par tous les moyens à notre disposition ».

Ces paroles d’Erdogan semblent décisives, mais elles ne le sont pas plus que les messages forts qu’il avait lancés précédemment, notamment quand il a réagi à la guerre israélienne contre Gaza (2008-2009). Israël pourtant n’a tenu compte d’aucun de ses avertissements.

Le Liban a besoin de tous ses amis pour empêcher la guerre civile qui pourrait suivre toute mise en accusation, par le Tribunal spécial pour le Liban, de membres du Hezbollah pour l’assassinat d’Hariri. Le tribunal est une entreprise hautement politisée, fortement soutenue par les Etats-Unis et Israël. Il est considéré par beaucoup dans la région, notamment par le Hezbollah lui-même, comme une tentative détournée visant à mater la résistance libanaise à Israël. La guerre acharnée d’Israël contre le Liban en 2006 a fait des milliers de tués et de blessés, et détruit une grande partie de l’infrastructure du pays. Cependant, Israël a échoué à démanteler la résistance, au contraire il lui a donné une impulsion morale et politique. Depuis, les tentatives incessantes pour déstabiliser le pays n’ont donné que de piètres résultats, et elles n’ont jamais réussi à créer le vide politique nécessaire pour justifier un retour israélien.

Le verdict du tribunal pourrait être l’ultime carte d’Israël dans cette partie épouvantable. Jusqu’à présent, il a eu des cartes gagnantes. Accuser la Syrie et les personnalités libanaises qui en sont proches d’être derrière l’assassinat d’Hariri a porté ses fruits. 14 000 soldats syriens ont dû quitter le pays deux mois seulement après la mort de l’ancien Premier ministre. La Syrie a été cataloguée comme occupant étranger du Liban par ces mêmes gouvernements occidentaux qui ont soutenu et défendu la guerre israélienne au Liban un an plus tard. Une fois la Syrie plus ou moins exclue de l’équation libanaise, les accusations sur les responsabilités syriennes ont été abandonnées, et des excuses ont même été exprimées publiquement par un dirigeant libanais proche de l’Occident. Mission accomplie.

Puis, le tribunal, avec Israël et ses alliés, s’est tourné vers une autre cible : le Hezbollah. Même si aucune organisation ne peut être au-dessus de tout soupçon, le Hezbollah a indiscutablement raison quand il accuse le tribunal d’avoir des motivations politiques avec l’objectif final de désarmer la résistance. En fait, Israël attend avec impatience le moment où le tribunal va émettre les mandats d’arrêt contre des membres du Hezbollah, et il a préparé soigneusement sa réponse. Le Gulf News a publié que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, avait consulté les principaux ministres de son cabinet le 24 novembre pour « discuter de ses craintes que le Hezbollah ne tente un coup d’Etat contre le gouvernement ». Un communiqué de l’armée israélienne publié au nom du chef d’état-major, le général Gabi Ashkenazi, a cité également le Gulf News : « Il existe une réelle possibilité que le Hezbollah prenne le pouvoir au Liban ».

On ne sait ce qu’impliquerait la réaction d’Israël. En 1982, Israël a agressé les différents groupes de résistance du Liban, démolissant le pays dans ce processus et installant un gouvernement fantoche « démocratiquement élu ». Il a contribué en outre à conduire le Liban à la misère, à une situation de désordre absolu et à la guerre civile. En 2000, alors qu’une résistance libanaise endogène avait réussi à jeter l’armée israélienne hors du Sud, le Liban a pu commencer enfin à caresser quelque espoir de stabilité et de souveraineté. Puis, le 14 février 2005, une explosion de l’équivalent de 1000 kilos de TNT a soufflé la voiture d’Hariri, tuant l’ancien Premier ministre et beaucoup d’autres personnes avec lui. L’espoir de stabilité s’est envolé, et une fois encore, le Liban est retombé dans l’abîme de sombres perspectives.

Pressé de saisir l’occasion, Israël a attaqué le Liban pendant l’été 2006. Il s’est avéré qu’il avait fait un très mauvais calcul. Israël avait cru que le Liban était mûr pour la cueillette, mais manifestement, ce n’était pas le cas. La résistance a été inflexible, et l’initiative militaire israélienne s’est révélée coûteuse, si ce n’est carrément embarrassante. Le Hezbollah en est ressorti plus fort que jamais.

Renforcée par l’échec militaire d’Israël, la Syrie a commencé à retrouver son rôle dans la région. L’Iran s’est trouvé lui aussi encouragé. Toute une série d’évènements ont conduit en octobre dernier le président du pays, Mahmoud Ahmadinejad, à prononcer un discours virulent au Sud Liban, déclarant, « le monde doit savoir que les sionistes sont mortels ».

Le Liban est relativement unifié étant donné que la plupart des partis sont conscients de la macabre réalité qui attend le pays si Israël réussissait dans ses plans. Même les dirigeants au Moyen-Orient deviennent quelque peu sincères dans leurs efforts pour prévenir la crise à craindre. Mais l’histoire a montré que le côté libanais comme le côté arabe étaient trop tendus pour résister en accord et se déterminer hors des pressions extérieures.

Aujourd’hui, la Turquie fait son entrée en scène. Une carte nouvelle et solide, peut-être que la Turquie a le pouvoir de changer les règles de cette partie terriblement prévisible. Israël, en réponse, tente d’écarter le risque. Le 26 novembre, le quotidien israélien Ha’aretz écrivait sur la stratégie d’Israël visant à contourner la Turquie en réactivant et en rehaussant ses liens avec différents pays des Balkans : Chypre, Roumanie, Serbie, Monténégro, Macédoine et Croatie. Il est question simplement de compenser les pertes financières et politiques dans un endroit, par des gains dans un autre, cela d’après les calculs élémentaires d’Israël.

Mais la Turquie a les moyens de démontrer que les prévisions d’Israël sont fausses. Cependant, les promesses que la Turquie ne restera pas les bras croisés si des enfants et des femmes se font tuer sont maintenant insuffisantes. Israël reste impassible devant les paroles, peut-être parie-t-il sur les liens militaires et économiques qui attachent la Turquie à l’Occident. Si la Turquie est vraiment sérieuse, elle doit montrer certaines de ses cartes et envoyer un message clair à ceux qui mettent de l’huile sur le feu : que 2010 n’est pas 1982 ; que le Liban ne sera plus un laboratoire d’essais pour les armes fatales d’Israël et des Etats-Unis ; que les temps ont changé, pour de vrai. Le Liban et le Moyen-Orient comptent sur la Turquie, pas comme joker, mais comme ami, comme un véritable et indéfectible ami.

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Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.


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2 décembre 2010 - Ramzy Baroud - traduction : JPP


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