16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

La condamnation du président Morsi est une parodie de justice et une tragédie pour l’Egypte

samedi 25 avril 2015 - 07h:04

Abdel bari Atwan

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


J’admets avoir été étonné par le verdict d’hier contre le premier dirigeant légitimement élu de l’Égypte, Mohammad Morsi.

JPEG - 29.7 ko
Le président élu Mohammad Morsi, lors de son procès qui s’est avéré sans surprise être une parodie de justice - Photo : AFP

La cour l’a jugé coupable d’avoir inciter ses partisans à la violence contre des manifestants de l’opposition en 2012 à l’extérieur du Palais Présidentiel, où plusieurs personnes avaient trouvé la mort. Morsi a été condamné à une peine de 20 ans de prison et devra faire face a encore deux procès.

Les autorités égyptiennes ont acquitté Morsi et quatorze co-accusés de l’accusation de meurtre, ce qui aurait entraîné la peine de mort. Des centaines de partisans et dirigeants de la Confrérie Musulmane ont été cependant condamnés à la peine capitale, avec parmi eux Mohammad Badie, le Guide Suprême du mouvement.

Les événements d’hier dans une cour remplie à bloc dans l’École de police contrastaient grandement avec la scène de l’acquittement en novembre dernier de l’ancien dictateur Hosni Mubarak. Toutes les charges avaient été levées contre le dictateur, lequel avait été accusé de complicité dans la mort de presque 1000 personnes pendant le soulèvement du Printemps arabe.

Le système judiciaire de l’Égypte ne peut plus prétendre à la moindre apparence d’indépendance politique ; il est devenu une terrible parodie de justice, distribuant la peine de mort comme des PVs pour stationnement illicite. Il y a deux jours, 22 personnes ont été condamnées à mort pour avoir mis le feu à un commissariat de police en dehors du Caire pendant les combats de rue pour soutenir Morsi contre le coup de force. Un policier avait été tué pendant l’attaque, le 3 juillet 2013.

S’exprimant au sujet du verdict contre Morsi, Hassiba Hadj Sahraoui - directeur du MENA [Middle East/North Africa Network] d’Amnesty International - a déclaré : « Ce verdict fait disparaître toute illusion qui pouvait subsister sur l’indépendance et l’impartialité dans le système de justice pénale de Égypte… Condamner Mohammad Morsi en dépit des failles évidentes dans le procès et en vertu de ce qui semble être au mieux des preuves fragiles produites sur ordre devant le tribunal, ôte toute crédibilité à ce verdict. »

Le Président Morsi est paru devant le tribunal vêtu d’une salopette bleue et blanche, l’uniforme des prisonniers. C’est clairement conçu pour humilier l’homme et ses co-accusés qui se sont levés et ont crié quand le verdict a été prononcé. Mais leurs mots ne pourraient pas être entendus parce que la cour les avait isolés dans un boîte, derrière un verre épais et insonorisé, après que Morsi se soit déclaré le Président légitime lors des auditions précédentes.

Un appel est prévu, qui sera conduit par une équipe juridique britannique conseillant le parti de la Justice et de la Liberté du Président Morsi. Tayab Ali qui fait partie du groupe d’avocats-conseil venus de Londres, a décrit le verdict comme un jugement basé de façon exemplaire sur « des preuves fabriquées ».

Morsi fait face encore à deux procès qui devront avoir lieu en mai - un pour s’être enfui de prison [lors du soulèvement contre Mubarak], l’autre pour espionnage et « conspiration terroriste ». Cette dernière accusation peut entraîner la peine de mort mais j’espère ne pas me tromper en supposant que le gouvernement d’Al-Sisi n’ira pas jusqu’à risquer de déclencher une colère internationale avec une telle parodie de justice.

Un mois avant le coup militaire en juillet 2013, je me suis rendu au Caire et j’avais eu une réunion d’une heure avec le Président Mohammad Morsi. Il m’avait parlé de la tolérance religieuse et sociale, et de la nécessité de se tenir aux côtés du pauvre et de l’indigent. Il avait de nombreux projets pour renforcer la force militaire du pays et pour amplifier le développement dans tous les domaines, l’agriculture en particulier, et pour atteindre l’autosuffisance dans les produits alimentaires tels que le blé.

Il était très direct au sujet de la nécessité de libérer les pays du Moyen-Orient de leur dépendance à l’égard les États-Unis qu’il a qualifiés d’oppresseurs avançant de façon masquée.

Je ne suis pas un partisan de la Confrérie Musulmane et il est vrai que les échecs de Morsi ont été nombreux, mais il a gouverné moins d’une année avant que les rênes du pouvoir ne lui soient arrachées des mains. Il semble qu’il y a eu une conspiration active contre le gouvernement de Morsi dès le début, avec l’organisation d’incessantes protestations et manifestations et avec toutes sortes d’obstacles jetés sur le chemin d’un gouvernement qui débutait. Cette conspiration a vite réussi à expulser dans un coup de force le Président et à l’envoyer derrière des barreaux.

Je sais que cette opinion déplaira à beaucoup de monde à l’intérieur et à l’extérieur de l’Égypte, mais je n’écris pas pour satisfaire un tel ou un tel, mais plutôt pour mettre à nue la vérité. Nous avons peur pour l’Égypte quand un dirigeant élu peut être mis derrière des barreaux, accusé avec des preuves totalement fabriquées et condamné à passer le reste de sa vie en prison. Quelle sorte d’un pays est-ce ? Est-ce cela l’ère nouvelle l’ère moderne et démocratique pour l’Égypte pour laquelle des centaines d’Égyptiens ont sacrifié leurs vies ?

Nous avons du mal à voir comment les événements récents peuvent préparer le terrain pour la stabilité et la reprise économique en Égypte. Tout au contraire, le déficit démocratique ne fait qu’aggraver les choses avec l’absence d’un système judiciaire indépendant et l’absence d’une réconciliation nationale et d’une coexistence pacifique entre les organisations politiques et les communautés religieuses.

Ces échecs en amènent d’autres, plus dangereux parce qu’ils engendrent la violence et le terrorisme. Les tendances extrémistes telles que l’État Islamique et Al-Qaïda prospèrent sur l’instabilité et le mécontentement, qui facilitent le recrutement dans une jeunesse frustrée qui n’a droit à rien si ce n’est au chômage et au manque d’opportunités.

Nous ne sommes pas disposés à rester à l’écart et à nous abstenir de dire ce que nous pensons d’une situation absurde qui voit le « bon » ex-dictateur Mubarak et ses fils absous de toutes les accusations - en dépit de leurs souillures de sang et de corruption que tout le monde connait - tandis que le « mauvais » ex-président Morsi languit derrière des barreaux.

Nous avons tous les droits de nous inquiéter de l’Égypte et de son avenir, et nous disons haut et fort que les méfaits d’aujourd’hui ne sont pas dignes de l’Égypte au grand coeur, compatissante et noble que nous connaissons et que nous aimons.

JPEG - 3.2 ko

* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai Alyoum : Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

Du même auteur :

- Les pays arabes devraient suivre le modèle iranien - 7 avril 2015
- Yémen : seule une solution politique peut mettre fin à la guerre régionale - 1e avril 2015
- La réélection de Netanyahu s’avérera-t-elle catastrophique pour le projet sioniste ? - 21 mars 2015
- La bataille de Tikrit est un dilemme pour l’Occident et ses affiliés - 10 mars 2015
- La barbarie haineuse est la "marque" d’ISIS - 11 février 2015
- France : la haine raciste et la désintégration sociale représentent un danger plus grand que le terrorisme - 11 janvier 2015
- La diplomatie US au Moyen-Orient nous garantit une année 2015 catastrophique - 3 janvier 2015
- L’Arabie saoudite se sert de l’OPEC comme d’une arme contre l’Iran et la Russie - 23 décembre 2014
- Les élections en Tunisie : une lumière dans un océan d’obscurité - 27 novembre 2014
- L’attaque de la synagogue à Jérusalem marque un nouveau seuil dans le soulèvement palestinien - 20 novembre 2014
- Le chaos en Libye ouvre grand les portes à l’État islamique - 23 octobre 2014
- État islamique : la Turquie piégée par sa politique étrangère - 8 octobre 2014
- L’État islamique entraîne l’Occident dans une guerre désastreuse - 1e octobre 2014
- Gaza a gagné la guerre et les Palestiniens sont en droit de célébrer - 1e septembre 2014
- La victoire fictive de Netanyahou - 31 août 2013
- Comment Israël a saboté la réconciliation Hamas-Fatah - 23 août 2014

22 avril 2015 - Raï al-Yaoum - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.raialyoum.com/?p=247424
Traduction : Info-Palestine.eu


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.