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Yémen : seule une solution politique peut mettre fin à la guerre régionale

mercredi 1er avril 2015 - 07h:19

Abdel Bari Atwan

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Le Yémen doit maintenant être considéré comme un « état failli » : il n’a pas de gouvernement, pas d’armée, pas de président et pas d’institutions civiques. Il sombre dans une anarchie meurtrière, et la violence confessionnelle menace de s’étendre dans toute la région.

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Combattants Houtis - Photo : AP/Hani Mohammed

Le Yémen est inondé d’armes, avec environ deux armes pour chacun de ses 25 millions de citoyens. Beaucoup de ces armes ont été fournies par l’Arabie Saoudite et l’Iran pour armer leurs sous-fifres dans ce pays déchiré par la guerre.

Ce qui se passe au Yémen fait maintenant penser à la catastrophe qui s’est abattue sur la Libye avec l’intervention de puissances étrangères dans les conflits intérieurs de ce pays pour promouvoir leurs propres objectifs politiques et économiques.

La décision de l’Arabie saoudite de lancer une campagne de bombardements contre les Houthis soutenus par l’Iran est la chose la plus dangereuse qui se soit produite dans la région au cours de la dernière période, éclipsant même l’émergence de l’État islamique.

L’Arabie Saoudite et l’Iran sont tous deux armés jusqu’aux dents d’armes de pointe ; les deux pays ont de solides alliances confessionnelles régionales et les deux sont soutenus par des superpuissances – Les États-Unis ont ouvertement soutenu l’intervention militaire saoudienne au Yémen qui a été annoncée à l’ambassade d’Arabie Saoudite à Washington ; L’Iran a des amis à Moscou et Pékin.

L’Arabie Saoudite est prise en sandwich entre deux pays où prévalent les forces soutenues par les Iraniens – l’Irak au nord et le Yémen au sud. La situation est encore compliquée par le fait que dans le Nord, les alliés de l’Arabie Saoudite, les Américains, offrent une couverture aérienne à l’armée irakienne et à des restes de milices chiites qui se battent contre l’État islamique à Tikrit et ailleurs.

Le régime irakien actuel est étroitement lié à l’Iran ; L’Irak a été effectivement offert à Téhéran sur un plateau d’argent par l’invasion américaine en 2003. Le 8 mars, Ali Younesi, l’ancien ministre du Renseignement iranien, a parlé d’une « union » éventuelle entre les deux pays et dit : « Il y a maintenant moyen de réunir les territoires de l’Iran et de l’Irak ». Peut-être que la frontière entre la Syrie et l’Irak n’est pas la seule à avoir disparu au cours de la crise régionale actuelle.

Il ne faut pas non plus oublier le régime syrien de Bachar al-Assad, soutenu par l’Iran, qui a encore une armée de 180 000 hommes et une force aérienne tout à fait efficace avec sa flotte d’avions de chasse MiG.

Les raids aériens saoudiens (la participation des neuf autres états arabes dans l’alliance est surtout symbolique) ont mis fin à la possibilité d’une solution politique à la crise au Yémen et jeté de l’huile sur le feu confessionnel qui enflamme déjà la région.

La tactique de l’Iran à ce jour a été d’opérer par procuration dans la région en soutenant des groupes comme le Hezbollah, le Hamas et le Jihad Islamique. Même lorsque les membres de sa Garde révolutionnaire apparaissent sur la ligne de front en Irak et en Syrie, l’Iran cherche à dissimuler sa présence d’une manière ou d’une autre, et nous croyons qu’il poursuivra cette politique au Yémen où les milices Houthi sont à ses ordres.

Une des raisons de cette politique est sûrement que là où l’Iran lutte contre les Arabes sur leur propre territoire plutôt que sur le sol iranien, ses pertes humaines et matérielles sont limitées, tandis que les pertes arabes s’alourdissent.

L’Iran est aussi un ennemi redoutable parce qu’il se bat seul. Bien qu’il ait des alliés surpuissants, il n’a pas encore faire appel à eux pour combattre à ses côtés - à la différence des entités arabes sunnites qui appellent régulièrement les États-Unis et leurs alliés occidentaux à l’aide (comme au Koweït, en Irak et, dans une moindre mesure, en Syrie).

L’Iran n’a pas encore dit comment il allait répondre à l’intervention saoudienne au Yémen. Il a seulement réclamé la fin de « l’agression » mais c’est hautement improbable qu’il s’en tienne là. Le conflit semble devoir s’intensifier ce qui multipliera le nombre de partis impliqués.

La coalition, dirigée par l’Arabie Saoudite, qui se bat au Yémen a certes une excellente puissance aérienne, mais ce n’est pas suffisant pour gagner la guerre. Beaucoup de gens croient que l’arrivée de troupes sur le terrain est imminente, et leur tâche ne sera pas facile. Les Houthis ont la réputation de se battre avec bravoure et ils sont très aguerris dans les techniques de guérilla que les armées conventionnelles ne maîtrisent pas bien.

Il ne faut pas oublier que les États-Unis luttent contre al-Qaïda au Yémen depuis sept ans à coup d’attaques aériennes (surtout de drones) et terrestres par l’intermédiaire de l’armée yéménite, mais ils se sont révélés incapables d’éradiquer l’entité. En fait, c’est tout le contraire : non seulement Al-Qaïda prospère mais il a été rejoint par son jeune frère encore plus violent, l’État Islamique.

Le Golfe est la zone la plus stable, la plus sure et la plus prospère de la région, mais ses structures internes sont en fait très fragiles malgré l’efficacité et le professionnalisme de son appareil de sécurité de haute technologie. Ses états membres comptent des minorités chiites parmi leurs citoyens qui pourraient se rebeller contre leurs maîtres sunnites si une large guerre confessionnelle venait à éclater : la population du Koweït est à 40 % chiite, par exemple, tandis que celle de l’Arabie saoudite est à 15 % chiite environ.

En mars 2014, avant que les États-Unis ne commencent à se rapprocher de Téhéran, les États du Golfe et l’Iran se disputaient la propriété de trois petites îles dans le détroit d’Ormuz : Abou Moussa et la Grande et la Petite Tunb. Des officiels du Golfe que j’ai rencontrés à l’époque m’ont dit leur crainte de perdre tout ce qu’ils avaient investi en termes d’infrastructure et d’économie sur ces malheureux îlots qui ne font pas plus de 11 kilomètres carrés à eux trois

Quand ils ont vu arriver les porte-avions et plus de 200 navires de guerre américains et occidentaux dans le Golfe pour contrer l’Iran, ils m’ont dit que ces cuirassés et porte-avions seraient de peu d’utilité si l’Iran mettait à exécution sa menace de détruire les usines de dessalement d’eau de la baie qui leur fournissent 90 % de leur eau potable. Les avions de combat américains ne pourraient pas les empêcher de mourir de soif.

L’intervention militaire étrangère n’a pas réussi à résoudre les guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie. Pourquoi devrait-on penser qu’elle y parviendra au Yémen ?

Oman se distance déjà à de la position de son collègue du Golfe, du fait qu’il a toujours entretenu de bonnes relations avec Téhéran.

Nous espérons sincèrement qu’aucun effort ne sera épargné pour trouver une solution diplomatique et politique à la crise au Yémen et favoriser la reprise des négociations pour un gouvernement d’unité nationale.

Sinon, une guerre de religion sans merci ensanglantera la région. On préfère ne pas y penser.

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* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai Alyoum : Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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mars 2015 - Raï al-Yaoum - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.raialyoum.com/?p=236728
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


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