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Entre les conventions et les restrictions morales, les actrices de Gaza cherchent leur voie

jeudi 12 mars 2015 - 07h:28

Asmaa al-Ghoul

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VILLE de GAZA, Bande de Gaza – Malgré les coupures persistantes et chroniques d’électricité à Gaza, j’ai quand même réussi à télécharger le film franco-tunisien « La Vie d’Adèle » juste parce qu’il a remporté la Palme d’Or au Festival de Cannes.

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Des enfants Palestiniens regardant la television chez eux, sous une tente au nord de la Bande de Gaza, le 9 juin 2010 - Photo REUTERS/Mohammed Salem

J’étais curieuse de voir comment le film allait raconter la vie de deux lesbiennes, avec tous leurs malheurs, déceptions et marginalisation, mettant ainsi la lumière sur leur sexualité et ses défis. Je dois avouer que j’ai été choquée par les scènes explicites du film et la liberté d’actions du réalisateur Tunisien Abdellatif Kechiche qui a dépeint les scènes de manière innovante et sans retenue, une représentation faisant partie intégrante de l’intrigue.

Ironie du sort, j’avais le lendemain un rendez-vous avec une actrice Palestinienne afin de l’interviewer sur les défis qu’elle rencontre à Gaza. J’ai été choquée comme à la veille, sauf que cette fois, ce sentiment a été suscité par l’hypocrisie et l’oppression qui règnent dans ce milieu.

« Le journal d’Abu Ayed » est une série dramatique produite dans la Bande de Gaza et diffusée sur la chaîne télévisée Hona al-Quds. D’une durée de 15 minutes, la série aborde les problèmes quotidiens dans la société Palestinienne à travers l’histoire d’une famille, et se concentre essentiellement sur les problèmes entre les époux Abu Ayed et Um Ayed. Par manque de ressources chez les producteurs et en l’absence de studios pour le tournage, les épisodes sont à chaque fois filmés dans une maison différente, certainement appartenant à des amis de l’équipe de tournage.

Et ce n’est pas tout. Dans la série qui ne compte que trois actrices, la prudence est conseillée durant le tournage. Elles gardent leurs voiles même dans les scènes où elles sont à l’intérieur des maisons supposées être les leurs, chose qui est plutôt inhabituelle. Les actrices sont interdites d’approcher et de s’approcher de leurs partenaires masculins.

Zuhair al-Balbissi qui incarne le rôle d’Abu Ayed a raconté à Al-Monitor : « L’industrie souffre de répression, notamment sur les plateaux de tournage où il faut respecter des normes sociales et le regard de la société. C’est pourquoi, la série ne peut pas refléter la réalité que nous vivons. La femme ne peut être filmée chez elle sans son foulard et nous devons à tout prix nous tenir éloignés des chambres à coucher. Si, à titre d’exemple, une mère venait à accueillir son fils rentré d’un long voyage, elle se contente de lui serrer la main, si cette action n’est finalement pas supprimée. »

Pour sa part, l’actrice Hiba Abdel Qatah, alias Um Ayed (son premier rôle), a avoué à Al-Monitor qu’en dépit des contraintes et limitations sociales, la chaine de télévision impose ses propres restrictions. « Dans l’un des épisodes, je portais un pantalon. J’ai reçu les instructions de rejouer la scène et de porter une jupe longue. »

Embrasser une carrière d’actrice et de chanteuse n’a pas été une mince affaire pour Abdel Qatah. Mais depuis qu’elle est passée à la télévision et, tout particulièrement, après que sa première chanson patriotique ait fait un tabac, sa famille lui a donné l’autorisation de poursuivre sa carrière d’actrice.

Quant à Sally Abed, animatrice à la chaine Hona al-Quds, elle analyse la situation d’un point de vue différent. Elle estime qu’en dépit de l’indépendance de la chaine, elle appartient à un mouvement socio-politique fidèle à ses croyances. Abed avait précédemment joué dans un film pour enfants intitulé « Kan Ya Ma Kan » (« Il était une fois ») Le film avait remporté un prix lors du Festival International du Film du Caire et fut sa première et sa dernière expérience dans ce domaine.

Citant l’acteur russe Constantin Stanislavski qui a un jour dit « Donnez-moi un théâtre et je vous donnerai une nation, » Abed a souligné l’importance d’interpréter des rôles au cinéma et à la télévision ; un métier à travers lequel il est plus efficace de véhiculer des messages et des idées que les plus importants des politiciens ne réussissent pas à transmettre. « Le manque d’actrices dans le milieu reflète l’absence d’engagement envers elles. Une femme actrice n’est pas prise aux sérieux, d’autant plus qu’il n’y a aucun système qui leur assure une formation et une éducation en leur garantissant respect et droits moraux et matériels, » a-t-elle expliqué à Al-Monitor.

Dans cette optique, Abed précise qu’elle a accepté son unique rôle car il s’agissait d’un film pour enfants sans la moindre scène avec des hommes « Je reconnais que le métier d’acteur est très mal vu dans notre société, malgré son importance capitale. »

Wissam Yassine est reporter à al-Hurra TV. Elle a été actrice dans le passé puis, petit à petit, elle a décidé de quitter le théâtre et de mettre fin à sa carrière florissante. Elle a confié à al-Monitor : « C’était en quelque sorte une décision involontaire, sans la moindre influence sociale. Le milieu du divertissement n’offre pas un travail exhaustif, et le théâtre est pauvre en public passionné. C’est l’élite qui constituait notre public et les pièces de théâtre ne se jouaient qu’une seule fois. »

Elle a par ailleurs noté que si elle trouvait une production respectable et exhaustive dont le dessein est l’art et le théâtre et non pas l’amateurisme financé par une institution donnée, elle n’hésiterait pas une seconde à faire son retour dans le milieu.

Elle a ajouté qu’actuellement, dans la Bande de Gaza, on fait appel aux actrices juste pour combler les vides, ses compétences importent peu. L’essentiel est de promouvoir le travail et d’obtenir l’aval de la famille de l’actrice.

Fayqa al-Najjar est une actrice talentueuse. A seulement 24 ans, elle compte dans son actif plus de 20 films et 7 pièces de théâtre. Elle a fait part de ses impressions à al-Monitor : « Mon parcours n’a pas été facile. J’ai dû me battre pour trouver ma place et lutter contre le regard de la société qui condamnait mon travail ainsi que le soutien de ma famille à mon talent et à ma liberté. J’ai également lutté contre les esprits malsains de mes collègues qui souvent pensaient que mon attitude amicale était un appel au flirt. J’ai dû me battre avec les agents de la sécurité des checkpoints qui m’arrêtaient pendant que je voyageais de la ville de Gaza à Khan Younis avec l’équipe du tournage. Ils nous demandaient notre destination et se mettaient aussitôt à se moquer de nous dès qu’ils apprenaient que nous étions acteurs et actrices. Ils finissaient par me conseiller de porter le voile. »

Najjar a souligné avoir été soumise à une enquête, chose qu’elle a refusé catégoriquement « Je ne pense pas avoir fait quelque chose de mal pour être interrogée. Bien au contraire, je transmets un message important à la société à travers ce que je fais. Toutefois, ces gens-là ne sont pas capable d’assimiler ni de comprendre cela. »

Le tableau a vite été transformé lorsque la jeune actrice a été contactée pour jouer dans un film produit par Al-Aqsa TV, une chaîne affiliée au Hamas, tout comme les forces et les appareils sécuritaires à Gaza.

Elle confie : « Bien sûr oui, j’ai joué le rôle d’une femme voilée dans le film intitulé ‘’16 heures à Karm Tzur’’. C’était une belle expérience, et bénéfique surtout. Ce film m’a présenté au grand public. J’en ai aussi profité pour dénoncer le comportement des services de sécurité, et j’ai clairement dit aux responsables de la télévision Al-Aqsa que si vous ne croyez pas aux compétences des femmes dans ce domaine, alors pourquoi vous les sollicitez dans vos films ? »

La liberté que l’on accorde à la profession d’acteur reflète le degré de la liberté d’expression. Gaza est entrée dans l’ère de l’actrice voilée, un fait qui reflète les différents aspects de la vie dans la Bande. Je n’écris pas cela pour revendiquer une liberté similaire à celle en Europe, mais que nous ayons au moins une intrigue dramatique naturelle et spontanée sans qu’elle ne soit source d’obsession et de hantise.

* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

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5 mars 2015 – Al Monitor – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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