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Ecrire ou ne pas écrire, telle est la question qui préoccupe les journalistes palestiniens

vendredi 13 février 2015 - 09h:43

Asmaa al-Ghoul

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Ville de Gaza, Bande de Gaza – Combien de voix entends-tu lorsque tu rédiges ton article de presse ? Quelle est la superficie de la cellule de prison dans laquelle tu serais jeté si jamais ton article venait à être publié ? L’homme de ton imagination qui pointe son arme sur ta tête porte-t-il un masque ? Ce sont-là les illusions qui poussent la plupart des journalistes à supprimer l’information la plus importante sinon la plus puissante de leurs articles. Certaines de ces illusions vous poussent à faire plus : à supprimer l’article en entier.

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Les journalistes Palestiniens brandissent des affichent lors d’une manifestation de soutien à leurs confrères détenus par le Hamas, à Gaza et réclament leur libération immédiate à Ramallah, Cisjordanie, le 27 janvier 2013 - Photo : Getty Images/Abbas Momani

Une étude menée fin 2014 par MADA, le Centre Palestinien pour le Développement et la Liberté des Médias, a révélé que 80% des journalistes Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza s’autocensurent lorsqu’il s’agit de rédiger des articles.

Ghazi Bani Odeh, le journaliste qui a effectué ce sondage intitulé « Les Médias Officiels et la Liberté d’Expression, » a confié à Al-Monitor que si les journalistes s’autocensurent systématiquement c’est parce qu’ils appréhendent le harcèlement et les agressions qui les guettent.

« Qu’ils soient en Cisjordanie ou à Gaza, la violence contre les journalistes est identique. C’est pourquoi, ils étudient et examinent l’ampleur de chaque terme avant de l’écrire. »

Youssef Hammad en sait quelque chose. Ce jeune journaliste qui travaille pour Radio Al-Watan et quelques sites internet locaux a reçu une convocation pour se présenter le 30 décembre 2014 au siège des forces de sécurité interne du Ministère de l’Intérieur de Gaza. Il a raconté à Al-Monitor : « Ils m’ont menacé. Ils m’ont dit que c’était le dernier avertissement et que si jamais je recommence à critiquer le Hamas dans mes articles, ils briseront mes genoux. »

Avant cette convocation, Hammad avait reçu un avis de la part du Bureau d’Information dirigé par le Hamas. « Ils m’ont posé des questions au sujet d’un rapport d’enquête que j’avais écrit et qui traitait du conflit sur les mosquées entre le Hamas et le Jihad Islamique. Ceci est la preuve de l’absence de la liberté d’expression et la liberté de la presse. Il n’y a aucun appareil sécuritaire dans le monde qui croit en ces libertés, » a-t-il souligné.

Il a par ailleurs ajouté qu’au fond de lui, il se bat contre l’obligation de s’autocensurer, « Mais lorsque je me souviens de l’attaque des forces de sécurité, il y a deux ans, alors que je couvrais une marche et qui m’a coûté une blessure à la tête, je me mets automatiquement à contrôler ce que j’écris. C’est en fait un réflexe d’autodéfense. »

Autre cas, autre agression. Mohamed Othman, journaliste freelance qui écrit pour Al-Monitor a été menacé et physiquement agressé le 5 janvier dernier au siège des Comités de la Résistance Populaire (CRP). D’après le journaliste, l’agression est due à un article publié sur internet et dans lequel il donne des informations communiquées par le porte-parole du CRP au sujet de l’exécution d’un nombre d’individus accusés de collaboration avec Israël durant la guerre de 2014. Le porte-parole a demandé à ce que ces révélations soient retirées, et comme le journaliste avait refusé, il a été physiquement agressé. « Face à la pression et pour ma sécurité, Al-Quds TV a décidé de ne pas publier la vidéo de mon interview avec le porte-parole, » souligne le journaliste attaqué.

D’après Skeyes, le Centre pour la Liberté de la Presse et de la Culture, il y a eu durant le mois de janvier 2015 trois cas de détention de journalistes par les forces de sécurité de Cisjordanie, et deux autres opérés par la sécurité de Gaza, en plus de deux attaques à Gaza découlant de l’anarchie. La journaliste Maha Abu Omer a été victime de l’un de ces incidents où elle a été rouée de coups par un inconnu alors qu’elle marchait dans la rue.

Pour Fathi Sabah, journaliste qui contribue avec le journal Al-Hayat, l’autocensure est le mot d’ordre de chaque journaliste Palestinien. Il estime que dans la tête de chaque journaliste, en Cisjordanie ou à Gaza, se trouve un policier qui lui rappelle à chaque fois la nécessité d’évaluer les mots avant de les écrire.

« Je pense que l’autocensure est constamment présente dans l’esprit d’un journaliste qui écrit sur les questions internes et traite des sujets sensibles tel que l’honneur de la famille, l’inceste, la division sociale et politique, la corruption administrative et financière qui empoisonne les autorités et qui sévit dans les structures et départements du gouvernement, » précise-t-il à Al-Monitor.

Sabah a ajouté que c’est avec un sentiment de frustration et de désespoir que les journalistes pratiquent l’autocensure. Ce sentiment refrène leur désir de travailler et soulève la question sur l’intérêt de l’écriture : Pourquoi écrire si l’objectif de contribuer au changement positif des situations n’est pas et ne sera pas atteint ?

« Les journalistes craignent les menaces des partis, des hauts dirigeants et des familles étant donné l’absence de l’état de droit, le manque de respect de la liberté humaine et la généralisation du chaos et de l’anarchie, » explique Sabah. Ce dernier reconnait pratiquer l’autocensure à chaque fois qu’il écrit sur certaines questions ayant trait à la résistance, notamment depuis qu’il a reçu plusieurs menaces anonymes par téléphone ou sur sa page Facebook, y compris des menaces de mort.

Khalil Shaheen, directeur du département des Droits Economiques, Sociaux et Culturel du Centre Palestinien des Droits de l’Homme, a affirmé que les journalistes en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza ont, pendant les huit années de division entre le Hamas et le Fatah, été ciblés par des tirs réels et le tabassage, sans oublier les menaces. Ces mesures répressives ont conduit la plupart des journalistes à revoir leurs méthodes de travail et à appliquer une forme d’autocensure sur ce qu’ils produisent.

« Ils n’écrivent plus sur les sujets sensibles et n’exercent plus le journalisme d’investigation. En outre, ils développent une sorte d’indifférence car ils ont peur d’être attaqués ou agressés. Toutefois, il existe une poignée de journalistes qui, pour l’amour de l’aventure, ont toujours refusé la tendance du contrôle sur l’écriture, » souligne Shaheen qui a rappelé que l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ainsi que le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques stipulent que tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Ces conventions internationales comprennent trois dimensions de la liberté d’expression, à savoir le droit d’accéder à l’information, la constitution d’une opinion et l’échange des opinions.

Pratiquer l’autocensure pourrait être un choix, mais elle constitue actuellement un type de contrôle largement répandu au point où les journalistes qui ne s’autocensurent pas risquent de passer pour des fauteurs de troubles, des journalistes qui manquent de professionnalisme.

* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

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3 février 2015 – Al Monitor – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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