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L’Intifada des prisonniers palestiniens

mardi 22 janvier 2013 - 06h:38

Ramzy Baroud

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Si les leaders palestiniens se rendaient seulement compte de l’indifférence qui accueille les éternels rounds de pourparlers pour "l’unité", ils cesseraient de faire des déclarations enthousiastes aux médias internationaux à propos de la prochaine rencontre. Peu de Palestiniens croient encore que leurs "dirigeants" agissent dans leur intérêt. Ce sont les intérêts des factions et les ambitions personnelles qui dominent le paysage politique palestinien.

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Un prisonnier palestinien est accueilli par ses proches après sa libération à la frontière de Rafah, le dimanche 18 décembre 2011. Israël a libéré des centaines de prisonniers palestiniens dans le cadre d’un échange avec un soldat israélien fait prisonnier de guerre cinq ans plus tôt - Photo : AP/Eyad Baba

Le Fatah et le Hamas sont les deux principales factions palestiniennes. En dépit de la victoire électorale du Hamas en 2006, c’est le Fatah qui est la plus puissante des deux. Les deux camps continuent à essayer de prouver qu’ils sont numériquement supérieurs en paradant dans des manifestations stériles où les bannières vertes du Hamas et jaunes du Fatah supplantent les drapeaux palestiniens.

Les Palestiniens souffrent historiquement d’un manque de bons dirigeants et ce n’est pas parce que les Palestiniens ne sont pas en mesure de produire des hommes et des femmes capables de guider leur longue résistance contre l’occupation militaire et l’apartheid vers la victoire. C’est parce que, s’il veut que les acteurs régionaux et internationaux le prennent en considération, un leader palestinien doit exceller dans l’art du "compromis". Ces leaders formatés ont souvent servi les intérêts de leurs bienfaiteurs arabes et occidentaux aux dépens de leur propre peuple. Aucune faction populaire n’a réussi à échapper complètement à cette tentation.

Pendant des dizaines d’années c’est cela qui a prévalu dans la politique palestinienne. Mais dans les vingt dernières années, les dirigeants palestiniens se sont distanciés de leur peuple au point d’en devenir les geôliers en jouant le rôle de coordinateurs sécuritaires pour le compte d’Israël. L’élite palestinienne a bénéficié des améliorations qu’Oslo lui a apporté et a été élevée dans la culture d’Oslo, et ses intérêts et ceux de l’occupation israélienne s’entremêlent de manière indistincte.

le Hamas n’a pas attrapé la maladie d’Oslo -ce sont Mahmoud Abbas et ses copains qui ont bénéficié de nombreux privilèges politiques et économiques- mais il a du mal à résister au désir d’être accepté au plan régional et reconnu au plan international. La manière qu’il a de défendre uniquement les intérêts de sa faction et sa relation étroite avec des pays arabes corrompus soulèvent des questions et on peut craindre qu’il ne suive le même chemin que les leaders du Fatah d’il y a 20 ans.

Le feuilleton de l’unité continue. Après une période d’ambiguïté, le chef du Hamas, Khaled Meshaal et le leader de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas se seraient rencontrés au Caire pour "accélérer" la réconciliation moribonde. Quand l’on sait que l’absence de progrès dans ce domaine est la norme entre les deux factions, le mot "accélérer" n’annonce sûrement pas de réel changement sur le terrain. Au contraire, à en juger par les discours et les déclarations des factions rivales, le fossé se creuse entre elles en dépit du fait que le Hamas ait autorisé le Fatah à célébrer l’anniversaire de sa création à Gaza et que ce dernier ait fait de même en Cisjordanie.

Les supporters des deux camps ont transformé sans vergogne les manifestations -qui se déroulaient sous l’oeil attentif des drones israéliens- en démonstrations de force non pas contre l’occupation militaire israélienne mais au service d’une lamentable propagande partisane. Curieusement, si l’on en croit les calculs des factions palestiniennes concernant le nombre des participants aux rassemblements, la population de Gaza serait passée en quelques semaines de 1,6 millions (selon le chiffre officiel des Nations Unies) à plus de 4 millions, une progression vraiment prodigieuse.

En arrière-plan des tristes débordements de l’esprit de parti palestinien, un mouvement est en train de se développer lentement dans les prisons palestiniennes. Les prisonniers politiques palestiniens continuent de croire en leur capacité de résister à la nourriture et la solidarité internationale pour leur cause grandit. Samer Issawi, un prisonnier palestinien, qui a atteint son 168ième jour de grève de la faim le 10 janvier dernier pour protester contre les détentions illégales, est loin d’être un cas unique. Il est le symbole de la communauté palestinienne omniprésente mais ignorée par des factions qui ont d’autres préoccupations.

Issawi a six frères qui ont comme lui été emprisonnés à un moment ou un autre en Israël pour des raisons politiques. Un de ses frères, Fadi, a été tué par des soldats israéliens en 1994 quelques jours après son 16ième anniversaire. Même leur sœur, Sherine, a été arrêtée par des soldats israéliens pendant une audience concernant son frère Samer le 18 décembre. Ce jour-là, "Samer a été tabassé publiquement dans le tribunal de première instance de Jérusalem pour avoir voulu saluer sa famille", selon le Palestine Monitor. "Il a été tiré de son fauteuil roulant et traîné hors de la pièce par des gardes qui le frappaient dans la poitrine si fort qu’il criait de douleur."

En fait, la famille Issawi et tout le quartier Issawiya de Jérusalem Est sont devenus la cible de l’armée et de la police israéliennes qui espèrent, ce faisant, briser la volonté d’un homme seul et actuellement incapable de se tenir debout. C’est peut-être une légende, mais la volonté de fer de Samer Issawi n’est pas exceptionnelle chez les Palestiniens. Selon l’Association Adameer pour le soutien des prisonniers et le respect des droits de l’homme, plus de 650 000 Palestiniens ont été détenus par l’armée et la police israélienne depuis le début de l’occupation de Jérusalem Est, de la Cisjordanie et de Gaza en 1967. " Et comme la majorité des détenus sont des hommes, on considère que le nombre de Palestiniens détenus représente environ 40% de la population mâle des territoires occupés de Palestine." Mais malgré cela la résistance palestinienne continue.

De plus, "on estime qu’environ 10 000 Palestiniennes ont été arrêtées par Israël depuis 1967. Cela comprend des adolescentes comme des vieilles femmes ; certaines.... étaient les mères de prisonniers de longue durée," a écrit dans le Middle East Monitor Nabil Sahli qui voudrait que le problème des prisonniers soit traité au niveau international. C’est aussi le souhait que la Ligue Arabe a exprimé dans une session spéciale sur le calvaire des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes le 6 janvier. La Ligue Arabe a demandé dans une déclaration que les détenus soit traités comme des "prisonniers de guerre" et que des efforts soient fournis au niveau international pour obtenir leur libération.

Mais rien n’est fait malgré les appels au secours répétés des prisonniers palestiniens. Le 17 avril 2012, au moins 1200 prisonniers ont participé à une grève de la faim pour alerter le monde sur les souffrances et les mauvais traitements dont ils étaient victimes dans les prisons israéliennes. La grève générale s’est terminée le 14 mai, mais les prisonniers palestiniens continuent de faire des grèves de la faim de leur propre initiative, faisant preuve d’un courage et d’une détermination inégalés non seulement en Palestine mais dans le monde entier.

Il est certain que les méthodes de résistance peuvent toujours être améliorées, mais cela n’a rien d’urgent ; ce qui est urgent par contre c’est de modifier la culture politique palestinienne en renonçant aux détestables manipulations partisanes et en revenant aux valeurs premières de la résistance palestinienne. Ce sont des gens comme Issawi et non des gens comme Abbas qui doivent définir la nouvelle ère de la résistance palestinienne.

L’Intifada a déjà été rejointe par des milliers de prisonniers palestiniens dont certains sont enchaînés à leur lit d’hôpital. Ils ne tirent d’autre bénéfice de leur lutte qu’un regain de dignité et un saut vers la liberté qui est un acte de foi.

Voilà le choix auquel sont confrontés les Palestiniens aujourd’hui. La voie qu’ils choisiront en fin de compte sera la marque de cette génération et déterminera la nature de la lutte palestinienne des générations à venir.

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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8 janvier 2013 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/the-p...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


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