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Les apologistes d’Assad :
le syndrome de l’autruche (I)

vendredi 20 juillet 2012 - 08h:16

Hicham Safieddine
Jadaliyya

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Le débat entourant la Syrie est tombé très bas chez ceux qui se disent de gauche et anti-impérialistes. Il est grand temps que la discussion sorte des attaques personnelles et s’efforce à la place de présenter des arguments spécifiques et développer des positions politiques plus claires.

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Monument commémoratif de la Conférence des ministres des Affaires étrangères des pays non alignés de 1972, en Guyane, du 8 au 11 août 1972. Il y a quatre bustes sculptés à l’image des fondateurs du mouvement des non-alignés : le Président Gamal Abdel Nasser d’Égypte, le Président Kwame Nkruma du Ghana, le Président Pandit Jawaharlall Nehru de l’Inde, et le Président Josip Broz Tito de Yougoslavie.
Photo : Amanda Richards via Flickr




Aucun groupe n’a été autant mis au pilori, de tous côtés, que celui qu’on appelle maintenant « la troisième voie », constitué de ceux qui s’opposent en même temps à une intervention étrangère (acclamés par les principales forces d’opposition) et au régime Assad. Les apologistes du régime Assad, qu’on a appelés ensuite les « first wayers » (partisans de la première voie) déploient de gros efforts pour discréditer la politique de la « troisième voie ». Cet article veut servir à la réfutation des arguments de ces apologistes. Ce faisant, il ne compte pas seulement étaler les mauvais arguments de la rhétorique de la première voie, mais aussi élaborer ce qu’une troisième voie peut exactement signifier ou impliquer. Cette voie n’a jamais encore été pleinement exposée sous l’angle de ses principes et de ses conséquences.

Dans leurs efforts pour déformer et discréditer la politique de troisième voie, la plupart des first wayers qualifient l’essence du régime Assad d’anti-impérialiste, alors qu’en réalité, elle est d’essence ultranationaliste enrobée d’une bonne couverture antisioniste - une couverture dont il resterait encore à débattre. Parfois, ils invoquent la critique de Lénine sur la politique de troisième voie, en l’accompagnant d’une petite analyse de classe. Cependant, l’analogie serait plus juste en invoquant le mouvement des non-alignés de l’époque de la Guerre froide. Les apologistes confondent manque de force politique (c.-à-d. la force de prendre les décisions) et manque de position politique (c.-à-d. un agenda ou un projet politique réalisable) et font une caricature de tous ceux de la troisième voie, critique de dernier recours.

L’anti-impérialisme à la Baas : le secret de la succession

Les apologistes d’Assad discutent et débattent de chaque aspect de la crise syrienne, à une exception : le phénomène des familles régnantes sectaires et de la succession. Ils invoquent la géopolitique des rivalités régionales et internationales, les luttes anti-impérialistes, la résistance au sionisme, la crainte du sectarisme, le déclenchement d’une guerre civile et la montée de l’islamisme. Les apologistes d’Assad jouent aussi au jeu des chiffres, affirmant qu’une majorité des Syriens soutient le régime, et ils tapent, à bon droit, sur la couverture peu fiable des médias à travers le monde. Ils vont même jusqu’à défendre explicitement Assad lui-même, de la même manière que d’autres dirigeants arabes ont été défendus. Dans cette veine, ils arguent qu’Assad est bien intentionné, mais entouré d’une clique de collaborateurs corrompus et conspirant, et donc, qu’il n’a pas conscience de la situation politique sur le terrain ou qu’il n’est pas en mesure de la modifier. Puis, quand les choses se corsent et que le dirigeant lui-même apparaît renforcer la position implacable du régime, ils font alors valoir que son gouvernement vaut quand même mieux que celui de l’opposition ou que l’inconnu, ne suspectant jamais que s’attaquer à la succession s’intègre dans le rejet d’une agression soutenue par l’étranger et de l’inconnu.

Ce n’est pas un hasard dès lors si les apologistes d’Assad ont si intentionnellement ignoré la question de la succession. La succession héréditaire n’a jamais été et ne sera jamais une source de légitimité, ni une stratégie viable à long terme pour renforcer l’unité et la cohésion nationales, toutes deux exigences incontournables pour la résistance anti-impérialiste.

La succession est le repère identitaire qui sépare Assad de ses alliés de la « résistance » et qui le classe dans la même catégorie que d’autres dirigeants arabes. Quand ils sont acculés sur l’argument de la succession, les apologistes d’Assad en viennent à comparer Assad aux monarques du Golfe (ignorant peut-être que, sur un plan symbolique, un président royal en Syrie est plus scandaleux que l’insignifiant monarque d’un sheikaume pétrolier). Ils font là, cependant, une comparaison erronée et facile. Assad échoue au test, même selon la logique de la première voie, comparé à des dirigeants anti-impérialistes autoproclamés comme Fidel Castro de Cuba, Hugo Chavez du Venezuela, ou même des proches alliés d’Assad, le dirigeant du Hezbollah, Hasan Nasrallah et le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad.

Contrairement à tous ceux-ci, Assad est arrivé au pouvoir d’une façon qui n’a pas été différente dans la forme et le fond du processus qui régit les autres États arabes. Il est révélateur que ce président « anti-impérialiste » n’ait eu aucun scrupule à autoriser une journaliste blanche occidentale comme Barbara Walters à l’interroger sur son arrivée au pouvoir. Une telle question posée par quelqu’un de son peuple serait impensable. Certains argueront que ce n’est qu’un simple détail, mais moi je dis que c’est très symbolique. Cela va au c ?ur de comment les dirigeants arabes se voient eux-mêmes par rapport à leur propre peuple vis-à-vis de l’Occident.

Mais même si nous accordions à Assad le bénéfice du doute sur son arrivée au pouvoir, qu’en est-il des politiques réelles qu’il a mises en ?uvre ? Sont-elles socialistes et anti-impérialistes comme les apologistes d’Assad voudraient nous le faire croire ? Durant la première décennie de son règne, Assad a tenté de renverser tout ce qui restait du socialisme baassiste. Il a été un agent beaucoup plus efficace du néolibéralisme que son père ne l’a été. Quelles que soient les réalités non néolibérales que les apologistes pointent, elles n’ont rien à voir avec le régime Assad. Au contraire, si elles ont réussi à survivre au régime, elles ne sont pas portées par lui. Après le déclenchement de l’insurrection, les apologistes d’Assad - si désireux maintenant de combattre la politique libérale - semblent ne pas s’apercevoir que quelles que soient les « réformes » qu’Assad a introduites, elles sont toutes en réalité des réformes prolibérales. Par exemple en supprimant la référence à la nature socialiste du régime (une initiative très anti-impérialiste en effet, en rapport clairement avec la lutte pour la Palestine), en maintenant la stipulation que le président doit être musulman, et en autorisant la tenue des élections dans le cadre d’un système multipartis (c.-à-d. le symbole du règne libéral).

En outre, et dès le début de son règne, le « nationaliste » dans Assad a eu peu de scrupules apparemment en privant implicitement la Syrie de son droit à Iskanderun (Alexandrette - ville du sud de la Turquie) afin de calmer sa nouvelle alliée d’alors, la Turquie. En plus, il a fallu onze ans à Assad, et l’éruption de l’insurrection syrienne, pour accorder à des milliers de Kurdes leur nationalité syrienne légitime, ce qui prouve que l’initiative était un stratagème pour les coopter hors de l’insurrection et ainsi renforcer l’idée que c’est l’État qui est subordonné au pouvoir de l’élite dirigeante et non l’élite dirigeante qui est subordonnée à celui de l’État. Sans parler de la façon dont la clique des réseaux corrompus qui a pris petit à petit le contrôle sur les ressources du pays, a pris de la hardiesse sous son règne. Prétendre qu’Assad ignorait les machinations de cette clique est trop naïf et trop inexact pour justifier une réponse.

En faisant fi de ces « détails », les apologistes d’Assad ne voient pas que l’alliance du régime Assad avec les forces anti-US dans la région n’a aucunement empêché l’exhibition des principales caractéristiques de tous les régimes dictatoriaux arabes : famille régnante, corruption institutionnalisée, formes sectaires de soumission, et sur-expansion de l’État policier. Et toutes ces caractéristiques sapent la lutte anti-impérialiste, de façon subtile mais mortelle.

Ces questions sont importantes, non seulement à petite échelle (c.-à-d. à l’échelle nationale), mais aussi à grande échelle (c.-à-d. à l’échelle régionale). Elles sont importantes pour quiconque continue d’invoquer la géopolitique et la résistance à long terme comme le font les apologistes d’Assad. Selon la logique anti-impérialiste, les causes structurelles tendent à prévaloir sur les causes individuelles ou évidentes pour expliquer l’histoire. Sur la base d’un tel principe, les structures de l’inégalité, de l’oppression et de la domination sont beaucoup plus à blâmer pour la violence et l’extrémisme que le sont des facteurs comme la propension personnelle à la violence ou une idéologique extrémiste (une chose que les apologistes d’Assad sont si prompts à déceler dans le camp de l’opposition). Une analyse comparative du régime Assad - par rapport à ses alliés dans la région - montre que ces structures (de l’inégalité, d’oppression et de domination), dans le cas de la Syrie - ne sont pas entièrement, même si elles le sont en grande partie, un produit des forces impérialistes extérieures.

Les régimes et les groupes alliés à Assad ont sans aucun doute beaucoup souffert des pressions impérialistes, mais ils n’ont pas appuyé les mêmes structures de gouvernement que celles adoptées par le Baas. Depuis le début de l’insurrection, le régime n’a rien fait pour atténuer significativement ces problèmes. En fait, il a même pris une position plus intransigeante. En tant que telle, la destruction de la Syrie est plus une conséquence des politiques du régime qu’une conséquence de forces extérieures agissant de concert avec des agents internes. Le silence des first wayers, en faveur du régime, face à la culpabilité de celui-ci, ne vaut pas mieux maintenant que les esclandres des forces opportunistes de l’opposition.


Voir la deuxième partie :

- Anti-impérialisme et anticolonialisme : le facteur Fanon
- La pensée de la troisième voie : une bande d’élitistes libéraux ?
- La question de la Palestine : le test Teflon


Hicham Safieddine est journaliste, domicilié à Beyrouth et chercheur du Moyen-Orient. Il a écrit pour Toronto Star au Canada, l’hebdomadaire Al-Ahram en Égypte, et Al-Akbar au Liban.

Du même auteur :

- Le tribunal pour le Liban pousse au conflit plutôt que d’amener des réponses - Al Jazeera - 1er juillet 2011

- Israël mène une guerre sur plusieurs fronts contre la résistance libanaise - The Electronic Intifada - 18 août 2010

10 juillet 2012 - Jadaliyya - traduction : Info-Palestine.net/JPP


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