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Le tribunal pour le Liban pousse au conflit plutôt que d’amener des réponses

jeudi 7 juillet 2011 - 06h:35

Hicham Safieddine - Al Jazeera

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Il semblerait que l’inculpation de membres du Hezbollah pour l’assassinat du premier ministre ne fera qu’alimenter un malaise qu’elle ne rendra la justice.

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Résistance libanaise au sud-Liban (2006) - Israël et ses alliés occidentaux n’ont qu’une seule idée en tête : faire monter les tensions au Liban pour y déclencher une guerre civile qui leur permettrait d’intervenir directement jusqu’à la disparition du mouvement du Hezbollah

L’inculpation prononcée par le Tribunal Spécial des Nations Unies pour le Liban (TSL) marque, pour le procureur de l’état du Liban Saeed Merza, le dernier rebondissement dans une opération largement médiatisée et fortement controversée de la justice internationale.

Il semble que l’acte d’accusation de quatre membres du parti Hezbollah au Liban pour du l’assassinat 2005 de l’ancien premier ministre libanais, Rafiq Hariri, marquera l’entrée dans une nouvelle phase de confrontation entre le Hezbollah, d’une part, et ses ennemis locaux, régionaux et internationaux, de l’autre.

Des tensions nationales atteindront un autre niveau. Le 14 mars, les forces pro-Hariri ont accueilli la décision en grande pompe et avec beaucoup de démagogie. On s’attend à ce que le Hezbollah riposte avec son secrétaire général, Hasan Nasrallah, qui devrait prononcer un discours télévisé samedi, abordant la question.

Mais, il est peu probable que l’acte d’accusation et ses retombées immédiates mènent à des arrestations réelles ou qu’elle perturbe l’équilibre existant des forces dans le pays, isolé des autres développements régionaux. Depuis le début de ses travaux comme mission d’enquête à la suite de l’assassinat d’Hariri, le 14 février 2005, le tribunal a été enclin à un sérieux déficit de crédibilité, une interférence politique constante, et une spéculation accrue des médias.

La cour peut avoir tout le soutien des pouvoirs occidentaux et carte blanche par l’autorité juridique internationale, mais il lui manque le pouvoir exécutif pour mettre en application ses décisions et la stature morale aux yeux de beaucoup de Libanais pour obtenir des concessions par des moyens autres que la force.

L’impact important de la dernière mesure du tribunal est mieux compris dans le cadre de sa conduite passée et sa valeur juridique par rapport à l’état Libanais ; l’adhésion récente du Hezbollah et de ses alliés au siège du gouvernement et les transformations régionales profondes connues sous le nom de « révolutions arabes ou printemps arabe », en particulier, le soulèvement en Syrie, paysvoisin dont l’influence politique au Liban ne peut être sous-estimée.

Un désaccord de récits

Le tribunal est une cour pleine de coupables, mais sans l’arme du crime. La couverture médiatique du courant dominant en occident a largement repris le récit officiel sortie des bureaux du tribunal ou tel que décrit par ses partisans. Mais, n’importe quel observateur régulier des médias locaux du Liban se rend compte que le récit dominant sur la scène internationale se décompose en plusieurs récits opposés au niveau national. Ces récits font appel à un réseau compliqué de sources et de scénarios.

Sur le plan international, les deux plus notables et récentes recherches journalistiques sur l’affaire étaient celles de la publication allemande Der Spiegel en mai 2009, et la chaine nationale canadienne, CBC, en novembre 2010. Les deux rapports ont sous-entendu une forte probabilité que le Hezbollah soit l’initiateur de l’assassinat. Selon les sources du tribunal citées par les deux médias, une enquête en 2007 par une unité spéciale des forces de sécurité du Liban a découvert un réseau de téléphones portables qui a été activé, actionné, et démantelé, bien synchronisé avec le moment et le lieu de l’assassinat. Les rapports de presse, cependant, ne font aucune référence au fait que des réseaux de télécommunication du Liban, utilisés comme preuves, ont été sévèrement minimisés par des contre enquêtes pour causes supposées d’espionnage israélien du réseau téléphonique du Liban.

En Juillet dernier, les médias locaux ont annoncé que Charbil Qazzi et Tarek al-Rabaa, deux cadres supérieurs chez l’Alpha, principal opérateur de télécommunication du Liban, ont été arrêtés et accusés d’espionnage pour le compte d’Israël. Le 8 mars, les forces dirigées par le Hezbollah se sont empressées de soutenir le fait que le réseau de transmissions entier a été soumis à la manipulation et au contrôle d’Israël.

En Août, Nasrallah a tenu ce qui équivalait à une déclaration publique, accusant Israël de l’assassinat d’Hariri. En plus de la révélation d’infiltration des réseaux du téléphone du Liban, Nasrallah a révélé qu’un autre supposé espion israélien et l’ancien dirigeant de l’armée libanaise du nom de Al-Jidd Ghassan se trouvaient sur la scène du crime peu avant que celui-ci ait eu lieu. Nasrallah a également montré l’enregistrement vidéo décrit comme une surveillance aérienne israélienne des convois de la voiture d’Hariri lors des années précédant l’attaque. Nasrallah a alors invité le tribunal à prendre en considération ces preuves indirectes, ce que ce dernier a apparemment évité de faire.

Ce n’était pas la première contre-offensive de Nasrallah, où le tribunal devait face à une crise sérieuse de crédibilité. S’il s’appuit sur des preuves basées sur des réseaux de télécommunications, l’acte juridique initial qui a entraîné la mission d’enquête était basée sur des témoins visuels. À l’époque, la cible était l’allié du Hezbollah, la Syrie. Des témoignages impliquant des officiels de la sécurité syrienne et libanaise ont mené à l’arrestation et à l’incarcération, pour plus de trois années, de quatre des hauts responsables de la sécurité libanaise.

Plusieurs témoins, plus tard, se sont rétractés. Les enregistrements issus de la réunion entre le témoin principal et le fils Saad de Rafiq Hariri ont contribué au coup final à l’enquête. Le fiasco de « faux témoignage » n’a pas pris fin avec la libération tardive des quatre généraux emprisonnés. L’un d’entre eux a depuis entamé des poursuites contre ses commissaires.

Ancien suspect et chef des forces de sécurité nationale du Liban, Jamil Sayyid a maintenu le procureur du tribunal Danielle Bellemare sur la sellette, en exigeant que tous les dossiers concernant son emprisonnement injustifié et détenus par Bellemare soient lui soit remis. Ses conflits juridiques actuels avec le tribunal sont susceptibles de causer davantage d’embarras à l’organisme international et de fournir une nouvelle opportunité à ses adversaires désireux de saper sa dernière man ?uvre.

Un document de Wikileaks, édité par Al-Akhbar, quotidien du Liban a également jeté le discrédit sur l’intégrité de Bellemare en tant que procureur impartial. Même si le tribunal parvient à surmonter ses ennuis juridiques et manquements moraux, il fera certainement face à des obstacles sérieux pour atteindre ses objectifs sur le terrain.

Tribunal inopérant

Créé sous le chapitre 7 de la charte de l’ONU et régi par un protocole d’accord signé par le gouvernement du Liban, l’autorité juridique du tribunal remplace entièrement celle du tribunal libanais. Mais, il n’a aucun organe exécutif pour mettre en application ses décisions et dépend entièrement des autorités libanaises pour agir dans ce sens. Les autorités de l’État du libanais, cependant, sont elles-mêmes divisées et soutiennent des affiliations contradictoires. Les forces de sécurité intérieure, qui ont découvert le réseau présumé de téléphones portables, sont politiquement appuyées par le camp dirigé par la Hariri du 14 mars. Les services de renseignements de l’armée libanaise en grande partie responsables de la découverte du réseau d’espions israéliens, sont pour leur part étroitement associés au Hezbollah et à ses alliés.

Le tribunal peut ainsi remettre ses mandats d’arrêt au procureur Merza d’état et lui accorder 30 jours pour les exécuter. Il est également responsable de la sécurité et du transport des accusés après leurs détentions. Mais, si cette période de 30 jours se passe sans évènement majeur, tout ce que le tribunal peut faire, c’est au final divulguer les noms des accusés et les qualifier de parias internationaux ou les condamner par contumace.

Dans le contexte du Hezbollah, c’est difficilement une menace de son statut actuel d’« organisation terroriste » dans les carnets d’un corps politique beaucoup plus puissant que l’ONU : les États-Unis et leur allié Israël. Plus spécifiquement, on pense que le présumé suspect principal des accusations, Mustafa Badr, est le commandant militaire supérieur du Hezbollah, remplaçant son ancien beau-frère, Imad Mughnieh, qui a été assassiné à Damas en Syrie en 2008. Badr al-Din est ainsi déjà parmi les hommes les plus recherchés du monde, vivant dans le secret plus total.

La vulnérabilité du Hezbollah face à ces actes d’accusation se trouve ailleurs. Le mouvement armé s’inquiète moins du droit international que de la légitimité locale. La direction du Hezbollah considère la loi Libanaise comme sa première ligne de défense contre des tentatives de la transformer en paria à part entière. C’est pourquoi le parti a lancé une campagne militaire, en mai 2008, contre des forces d’Hariri, quand ce dernier alors au pouvoir, avait émis une décision proscrivant le réseau clandestin de transmissions du parti.

La coopération postérieure entre le gouvernement d’Hariri et le tribunal a mené à la chute du gouvernement en janvier dernier. Cette semaine, la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale rassemblant le Hezbollah, ses alliés et Najib Miqati, ancien allié d’Hariri a été prévue pour bloquer la coopération libanaise officielle avec des décisions comme l’acte d’accusation actuel, même si une stratégie de détachement des obligations juridiques du gouvernement reste floue.

Dans son discours de demain, Nasrallah est susceptible de réaffirmer le soupçon du parti quant à l’intégrité du tribunal, de tenir prêt les cadres du parti et de rejeter toute accusation de ses membres comme acte d’accusation du groupe entier, et de mettre en garde contre toutes tentatives de sanctionner la décision du tribunal avec l’approbation des libanais.

Avec ses alliés au pouvoir, le parti est immunisé contre toutes actions immédiates contre lui de la part de l’état. Mais les pouvoirs occidentaux et leurs alliés locaux lieront leur reconnaissance du nouveau gouvernement et traiteront avec lui si ce dernier se conforme aux directives du tribunal. Ils essayeront de prolonger l’isolement du Hezbollah en incluant le gouvernement lui-même. La provocation sectaire exploitera également la décision pour présenter le parti chiite comme l’ennemi de la communauté Sunnite du Liban.

La rhétorique du Hezbollah consistant à soutenir la répression du régime syrien sur les forces d’opposition et les manifestations populaires, a également conduit à son autre isolement parmi un plus large secteur de l’opinion publique arabe. Tout cela va sûrement transformer la décision du tribunal, instrument inopérant, de conflits juridiques en une arme publique de polarisation sectaire et factionnelle dans le pays et en une guerre potentielle dans une future confrontation militaire, si la circonstance régionale devait offrir un moment opportun dans ce sens.

En attendant, toute la vérité sur l’assassinat de Rafiq Hariri - comme la vérité concernant d’autres assassinats de même importance et conséquences internationales - restera aussi insaisissable que jamais.

* Hicham Safieddine est un journaliste, domicilié à Beyrouth et chercheur du Moyen-Orient. Il a écrit pour Toronto Star au Canada, l’hebdomadaire Al-Ahram en Égypte, et Al-Akbar au Liban.

1° juillet 2011 - Al JAzeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction de l’anglais : Sarah Bouachacha


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