La façon dont Tait parla de ce qui pour beaucoup de Gazaouis et d’autres à travers le monde, représentait un événement à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du mouvement islamique, était hélas tout à fait représentatif de la façon dont tout évènement est traité lorsqu’il s’agit de ce minuscule territoire assiégé et réduit à la misère : souvent à côté de la plaque, volontairement incomplet et exempt de tout effort de compréhension et encore plus d’empathie.
Les médias qui parlent du Hamas sont à la fois provocateurs, profondément contestables et conformes aux positions politiques dominantes envers ce mouvement. Aux yeux d’Israël, à travers ses médias et parmi ses supporters occidentaux, le Hamas est une organisation inégalée de terroristes ayant juré de détruire Israël . À la différence des autres Palestiniens dits « modérés » - par exemple l’Autorité Palestinienne soutenue par l’Occident - cette organisation refuse de reconnaître le « droit d’exister » pour Israël. Ce dernier point a été abondamment souligné par Tait. Comme beaucoup d’autres, par bêtise ou délibérément, il est incapable de questionner les incroyables conditions imposées à un mouvement somme toute petit, mais qui doit faire face à une armée puissante dont la brutalité n’est plus à démontrer.
Les partisans du Hamas, d’autre part, voient les 25 ans du mouvement comme le sommet de la résistance palestinienne, pour une organisation devenue icône qui à la différence des principales organisations palestiniennes laïques, refuse les compromis. Pour appuyer leurs affirmations, ces partisans citent divers combats et les nombreux assassinats de dirigeants du Hamas, dont le Cheikh Ahmad Yassin - qui était tétraplégique - froidement assassiné par un missile israélien en 2004. Pour eux, un mouvement qui est disposé à payer un prix aussi élevé - la vie elle-même - voit ses positions politiques et morales au-dessus de tout soupçon, et peut-être même au-dessus de toute critique.
Pourtant, pour beaucoup à gauche, ceci n’est pas suffisant. L’idée que le mouvement était une création de toutes pièces de l’agence israélienne de renseignement, le Shin Bet, était un fait acquis dans les discours depuis de nombreuses années. Cette affirmation était reprise sans aucune discussion ni analyse sérieuses, comme c’est le cas pour beaucoup de clichés de gauche sur la Palestine et Israël.
Chaque camp fait de son mieux pour défendre ses arguments anti ou pro-Hamas.
Les médias pro-israéliens restent ancrés dans l’argumentaire, tronqué et hors contexte, à propos des attentats-suicide, et négligent commodément le fait que des milliers de Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, même des années après que le Hamas ait abandonné ce genre de tactique.
Les partisans du Hamas mettent en évidence les nombreux combats menés par l’organisation, sans oublier le 14 novembre, jour ou débuta la guerre israélienne de huit jours lancée sur Gaza, où le Hamas,le Jihad Islamique et d’autres groupes de la résistance, ont remporté ce qu’ils perçoivent comme une victoire sans précédent contre Israël.
Il y a également ceux qui, tout en sympathisant avec les aspirations et la résistance palestiniennes, ont du mal à accepter le retournement du Hamas concernant la Syrie, sa proximité inquiétante avec le Qatar, et ce qu’ils perçoivent comme un comportement politique versatile et douteux.
Curieusement, il y a un dénominateur commun entre toutes ces idées sur le Hamas. Elles ont toutes pour effet de stigmatiser le mouvement avec la même logique, évitant toute analyse tenant vraiment compte des faits, des manifestes et déclarations, et replaçant des phénomènes aussi complexes dans de plus larges contextes politiques. Une pensée aussi unique ne s’applique naturellement pas uniquement au Hamas, mais également à chaque Palestinien. C’est le résultat tout à fait naturel des déformations dans les médias et de la polarisation politique. Quiconque est vu par Israël comme un ennemi, est immédiatement déshumanisé et présenté en des termes ineptes et grossiers. Les réseaux sociaux contribuent à corriger ce déséquilibre jusqu’à un certain point, bien qu’ils contribuent également à la polarisation : un Palestinien devient alors soit un terroriste au sang-froid, soit un martyr potentiel, bon ou mauvais, pro-USA ou pro-Iran, et ainsi de suite.
Pourtant, une analyse honnête exige de rompre avec toutes ces idées reçues et conclusions fabriquées à l’avance : le Hamas n’est ni une menace dont la raison d’être est la violence, ni une organisation sans défauts avec une bilan impeccable, ni une invention des services israéliens de renseignement, ni un relais politique du Qatar.
Certains de ceux qui rendirent compte de la visite de Meshaal à Gaza, soulignaient avant tout les militants ou les symboles religieux qui l’attendaient. Il fut « salué par une foule de plusieurs centaines de ses partisans criant des slogans - certains armés jusqu’aux dents de Kalichnikovs et de lance-grenades, » écrivit en introduction le même Tait. D’autres ont surtout relevé son souhait de mourir un jour comme « martyr » à Gaza (AFP). À nouveau, ce genre de reportages confond les mots et les références culturelles profondes - comme dans la disposition de Meshaal à payer le prix ultime pour ses convictions. De façon intéressante, celui-ci sait de quoi il parle puisqu’un fait communément omis de beaucoup de rapports, était qu’il avait failli perdre la vie dans une tentative d’assassinat israélienne à Amman, en Jordanie en 1997.
Depuis sa naissance, le Hamas s’est développé en utilisant les voies les plus pertinentes. Sa toute première déclaration était le parfait reflet de l’inexpérience du mouvement d’alors, et de la nature des relations qui régissaient les Palestiniens malchanceux et le reste du monde arabe : « C’est notre devoir de nous adresser aux dirigeants arabes, et en particulier aux dirigeants de l’Égypte, à l’armée égyptienne et au peuple égyptien, dans les termes qui suivent : Que vous est-il arrivé à vous, Ô dirigeants de l’Égypte ? Étiez vous endormis pendant la période du traité de la honte et de la reddition, le traité de Camp David ? »
Depuis lors, le paysage politique a plusieurs fois changé. Tandis que la propre évolution du Hamas refléta elle-même une partie de ces changements - par exemple, sa décision de participer aux élections législatives en 2006, son conflit avec le Fatah, et sa gestion de la situation à Gaza depuis lors - une grande partie des transformations survenues, particulièrement durant les deux dernières années, n’ont pas été de son fait.
Alors que la violence s’étendait en Syrie, le Hamas voulut conserver une position homogène et neutre, mais sans succès. Les schismes politiques en Syrie se sont affirmés impossible à gérer, et l’assassinat en juin 2012 de Kamal Ghanaja, un responsable de niveau intermédiaire du Hamas à Damas, marqua le point culminant et sanglant de cet échec.
Craignant que l’inquiétude du Hamas ne le pousse à se rapprocher de l’Iran - surtout que le futur politique en Égypte n’est pas encore totalement certain - une importante campagne a été initiée par le Qatar pour éloigner le Hamas de l’Iran, lequel est une importante source d’appui au mouvement islamique et à d’autres organisations palestiniennes. La volonté d’influencer le Hamas fut couronnée par une visite à Gaza fin octobre de Cheikh Hamad bin Khalifa al Thani du Qatar. C’était alors que le Premier ministre du Hamas, Ismaël Haniyeh, a déclaré que le blocus était terminé, pour être contredit trois semaines plus tard par une offensive israélienne massive. Mais le Hamas a tenu bon et a répliqué, et Israël a sans contestation possible perdu cette bataille. Il y eut la révélation que la résistance à Gaza était beaucoup plus inventive qu’on ne l’avait précédemment imaginé.
Quelques jours après que les Gazaouis aient célébré la défaite d’Israël dans ses buts de guerre, plusieurs panneaux publicitaires remerciant l’Iran pour son aide à la Résistance, apparurent dans Gaza. C’était peut-être un moyen pour le Hamas (de même que pour le Jihad islamique) d’envoyer un message clair pour faire comprendre qu’il continuera d’agir en fonction de ses propres choix, qu’il n’appartient à aucun camp, qu’il n’a d’allégeance qu’à ses principes, et pas à des gouvernements ou à des bailleurs de fonds. Il faut cependant noter que les panneaux-publicitaires n’étaient pas signés.
Maintenant que Meshaal s’est rendu dans Gaza et a été salué par un grand nombre de Palestiniens, le mouvement semble agir avec une plus grande clarté et une plus grande confiance qu’à n’importe quel autre moment de ces deux dernières années. « La politique sans résistance n’a aucune signification, » a dit Meshaal peu après son arrivée. La déclaration est riche de significations et de suggestions.
À ses 25 ans, le Hamas a changé en statut et en importance, et c’est dans cette situation qu’apparaissent le mieux ses forces et ses faiblesses. Afin de maintenir un certain niveau de pouvoir et assurer son évolution politique, il n’a d’autre option que de devenir bien plus dépendant d’autres acteurs, et pas forcément l’Égypte dont les perspectives de stabilité s’éloignent de jour en jour.
Appliquer les prescriptions israéliennes pour comprendre chaque Palestinien, et même le mouvement Hamas, ne suffit plus. Les journalistes occidentaux doivent tenir compte d’une réalité complexe et cesser d’user de stéréotypes, et de cataloguer les Palestiniens en usant du même vieux vocabulaire éculé. Il faut cesser de vouloir comprendre de telles questions à travers le prisme usé des bons face aux autres, « acharnés à la destruction d’Israël. » Le Hamas devrait être compris correctement dans son propre contexte local, et dans ses relations à son environnement, dont Israël fait évidemment partie.
Vingt-cinq ans après l’apparition du Hamas, l’analyse de ce mouvement reste confinée dans les discours sans cesse répétés où il est question de la sécurité d’Israël et d’une menace iranienne imaginaire. Une nouvelle analyse est désespérément nécessaire, assez raisonnable pour prendre en considération le caractère unique du récit palestinien lui-même, de l’histoire palestinienne, de ses luttes et de ses droits, par opposition à la question sécuritaire pour Israël, pierre angulaire des médias occidentaux lorsqu’ils traitent de la Palestine et du Moyen-Orient.
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com
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décembre 2012 - Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.net - Claude Zurbach