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Les combats dans Bassora : à peine la moitié de ce qui s’est passé

mercredi 16 avril 2008 - 05h:53

Ramzy Baroud

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Lorsqu’il est question de l’Irak, écrit Ramzy Baroud, les journalistes ont tendance soit à omettre soit à fabriquer des informations.

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L’armée al-Mahdi, milice du mouvement al-Sadr

Les derniers combats dans Bassora, la deuxième ville irakienne et un port maritime de première importance pour les hydrocarbures, fournissent suffisamment d’exemples des pratiques fallacieuses et manipulatoires de certaines corporations de journalistes aujourd’hui. Une tactique généralement utilisée est de décrire les évènements en usant d ?une terminologie soit-disante « officielle », qui trompe délibérément le lecteur en ne donnant aucune véritable information ou analyse sur ce qui se produit réellement.

Indépendamment de l’issue des combats qui ont débuté lorsque l’armée irakienne a marché sur Bassora le 24 mars et qui se sont révélés désastreux pour le premier ministre Nuri Al-Maliki, nous avons été à plusieurs reprises « informés » avec des affirmations fortement sujettes à caution. La plus remarquable d’entre elles est que « l’incendiaire » et « radical » Moqtada al-Sadr — dirigeant du mouvement chiite Sadr fort de millions de membres — dirigeait un groupe de « renégats », de « gangsters » et de « criminels » afin de terroriser cette ville stratégiquement importante.

Naturellement, Al-Maliki est dépeint comme l’exact opposé d’Al-Sadr. Lorsque Maliki est descendu sur Bassora avec les ses 40 000 légionnaires formés et équipés par les Etats-Unis, on nous a soigneusement expliqué que cette action attendue depuis longtemps était quelque chose à célébrer. Les médias ont aussi suggéré que nous n’avions aucune raison de douter des intentions d’Al-Maliki lorsqu’il promettait de rétablir « la loi et l’ordre » et « de nettoyer » la ville, ni aucune raison de remettre en cause sa détermination lorsqu’il dépeignait la croisade de Bassora comme « un combat à mort ». Si n’importe qui doutait encore des nobles objectifs d’Al-Maliki, il pouvait être rassuré par les déclarations de soutien répétés de l’administration de Bush, dont une décrivait même la bataille de Bassora comme « un moment de vérité ».

En effet.

Les journalistes reprennent de telles affirmations sans examen minutieux. Même les journalistes éprouvés ont semblé ne pas connaître des faits avérés :
-  que l’armée irakienne se compose en grande partie de milices chiites affiliées à un allié important des Etats-Unis en Irak, Abdul-Aziz al-Hakim et son Conseil Islamique Suprême pour la Révolution Islamique en Irak (SCIRI)
-  que les milices d’Al-Badr du SCIRI ont semé la terreur dans le peuple d’Irak depuis des années
-  que le mouvement de Sadr et les SCIRI sont dans une concurrence féroce pour le contrôle des provinces du sud de l’Irak, et que les alliés des Etats-Unis sont en train de perdre rapidement du terrain face au mouvement de Sadr, ce qui pourrait leur coûter les prochaines élections provinciales programmées pour le 1er octobre 2008
-  que les Etats-Unis voulaient voir la défaite et la reddition des partisans de Sadr avant cette date cruciale parce qu’une victoire de Sadr équivaudrait à l’effondrement du projet américain en entier basé sur la volonté de privatiser l’exploitation pétrolière irakienne et de provoquer une partition « en douceur » du pays.

Al-Hakim pousse vers ce qui se nommerait une super-province chiite avec son centre à Bassora ; Sadr revendique l’uniét de l’Irak avec un gouvernement central fort. Al-Hakim souhaite voir une présence américaine permanente dans le pays ; Sadr insiste sur un agenda sur le court terme pour un retrait américain. Le problème principal des Etats-Unis est que Sadr reflète le point de vue de la plupart des Irakiens. Sa possible victoire dans les provinces du sud en cas d’élections honnêtes pourrait lui donner la stature d’un nouveau dirigeant nationaliste avec une force unificatrice pour les Irakiens.

Ce qu’on nous dit rarement est que ce Al-Maliki, bien que premier ministre, ne représente rien sans l’accord d’Al-Hakim. Le SCIRI de ce dernier est l’organisation principale dans le bloc dominant au parlement irakien. Al-Maliki dispose du parti « Daawa », plus réduit et beaucoup moins populaire. Pour que la coalition survive à un autre mandat, il fallait que Sadr subisse une défaite majeure et humiliante. En effet, c’était « un moment de vérité », mais « les troupes criminelles » de Bassora — et Najaf, Karbala, Diwaniyah, Kut et Hillah — ont prouvé qu’elles étaient beaucoup plus fortes que les forces de sécurité irakiennes apparemment légitimes (ISF) et que leurs milices Al-Badr.

Même le cruel bombardement américain sur Bassora a eu peu d’effet, en dépit du grand nombre de civils tués. De plus, les milliers de recrues additionnelles poussées dans le champ de bataille — les gangs armés et tribaux leurrés par des promesses d’argent et de pouvoir faites par Al-Maliki— n’ont pas fait la différence. Les analystes en ont conclu que la force « des troupes criminelles » avait été sous-estimée, et que quelqu’un devait en être blâmé.

D’abord, Al-Maliki a été critiqué pour avoir [soit-disant] agi sans consulter le gouvernement américain. Même le candidat présidentiel John McCain a sauté sur l’occasion pour critiquer l’homme de Bush en Irak qui aurait agi de son propre chef. L’ambassadeur américain en Irak Ryan C. Crocker a été cité dans le 3 avril New York Times comme ayant déclaré : « L’impression que nous avons eue était que ce serait un effort à long terme : une pression accrue réduisant graduellement les groupes spéciaux. » Vraiment ? Les Etats-Unis permettraient à Al-Maliki de réaliser « un effort à long terme » — ce qui est coûteux financièrement, politiquement et militairement — sans leur plein consentement, sinon leur ordre ?

Puis le blâme a été reporté sur l’Iran. Les médias ont à nouveau repris ces accusations avec des omissions tout à fait palpables. Il est vrai que Sadr est soutenu par l’Iran. Il est partiellement vrai qu’il applique un plan iranien. Mais ce qui est aisément oublié est que l’allié le plus puissant de l’Iran en Irak est le SCIRI d’Al-Hakim, et que le gouvernement central à Bagdad considère Téhéran comme un ami et un allié. En effet, c’est la pression iranienne qui a affaibli en l’espace de quelques jours la résolution d’Al-Maliki. Le 24 mars, Al-Maliki a annoncé son « combat à mort », et le 4 avril il a ordonné une halte dans les combats et une compensation pour les familles des « martyrs ». Ce qui s’est produit pendant cette courte période est un accord à l’instigation de l’Iran.

Naturellement, les reportages biaisés mènent à des conclusions peu fiables. Non, la leçon apprise n’est pas que l’armée irakienne a besoin de plus de formation et d’argent, ce qui justifierait que les Etats-Unis et d’autres forces prolongent leur présence dans le pays. C’est plutôt que le vent a tourné très rapidement en Irak et que les nouveaux ennemis sont maintenant en grande partie chiites, l’un d’entre eux envisageant de libèrer et d’unifier l’Irak qui contrôlerait alors lui-même ses ressources. L’influence de l’Iran en Irak est à ce point importante qu’elle garantit une situation de non-perdants non-gagnants à tous, alors que les Etats-Unis disposent de peu de cartes ; la puissance de feu des Etats-Unis s’est avérée moins efficace que jamais, et les prochaines élections pourraient créer une situation de cauchemar [pour les Etats-Unis] puisque les conséquences en seraient la fin de l’aspect sectaire de la violence irakienne au profit d’une violence nationaliste.

Les journalistes peuvent être dociles, incompétents et jouer au perroquet avec les communiqués officiels, mais quelle que soit la façon dont on la nomme, la bataille de Bassora est susceptible d’avoir changé la nature de la guerre américiane en Irak pour les années à venir.

(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »

Site Internet :
www.ramzybaroud.net

Du même auteur :

- Où sont les Irakiens dans la guerre en Irak ?
- Iran : une guerre à l’issue incertaine
- Big Bang ou Chaos ? Que veut Israël ?
- Encore et toujours le double-standard

7 avril 2008 - Communiqué par l’auteur - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.ramzybaroud.net/articles...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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