Lieberman et les autres partisans d’Israël n’ont besoin d’aucune justification pour la guerre, ni contre l’Iran ni contre aucun des ennemis d’Israël au Moyen-Orient.
- Manifestation à Bagdad : "Non à l’Amérique ! Oui à l’Irak" - Photo : BBC
Lorsque l’amiral William J « Fox » Fallon avait été choisi pour remplacer le général John Abizaid comme chef du commandement central des Etas-Unis (CENTCOM) en mars 2007, beaucoup d’analystes n’avaient pas manqué d’en tirer une conclusion apparemment limpide : l’administration Bush se préparait à la guerre avec l’Iran et avait choisi l’homme le plus approprié pour ce travail. Presque exactement un an après, maintenant que Fallon a soudainement démissionné sous le prétexte d’une entrevue controversée avec le magazine Esquire, nous en sommes revenus à une analyse moins catégorique.
Fallon était le premier homme venant de la marine à diriger le CENTCOM. Avec l’armée américaine menant deux guerres difficiles et qui durent en Irak et en Afghanistan, et vu la menace iranienne fortement exagérée, une guerre avec l’Iran était apparemment inévitable quoique devant être conduite différemment. Faisant écho aux spéculations vieilles d’une année, Arnaud de Borchgrave de l’UPI [United Press International] a écrit le 14 mars 2007 qu’une attaque contre l’Iran « reposerait sur les troupes de la marine des Etats-Unis et sur ses missiles de croisière, ainsi que sur les bombardiers B-2 de l’Armée de l’Air basés à Diego Garcia [île de l’Océan Indien] ».
Fallon est un homme d’une immense expérience, ayant occupé des positions également très élevées dans le passé (il était commandant du « US Pacific Command » de février 2005 à mars 2007). L’administration Bush l’a probablement plutôt considéré comme un conformiste, contrairement à son prédécesseur Abizaid qui avait une approche plus diplomatique que militaire et qui est allé jusque proposer que les Etats-Unis apprennent à vivre avec une arme nucléaire iranienne.
La récente démission de Fallon peut avoir paru brutale à beaucoup, mais c’était une opération bien orchestrée. Son entrevue dans Esquire l’avait dépeint comme fortement critique de la politique de l’administration Bush à propos de l’Iran ; le magazine l’avait présenté comme le seul obstacle se tenant entre l’administration [Bush] et son plus récent plan de guerre.
De plus, sa démission et « la gestion [de cette démission] par le secrétaire de la Défense Robert Gates, représente la plus importante et la plus évidente des preuves que nous pourrons jamais constater que l’équipe Bush prépare la guerre contre l’Iran, » ont écrit des commentateurs respectés et d’anciens analystes de CIA comme Bill et Kathy Christison le 12 mars. « Gates en fait s’est publiquement associé à la démission en disant que c’était la chose correcte que Fallon avait à faire, et il a aussi déclaré qu’il avait accepté cette démission sans en référer d’abord à Bush. »
La démission de Fallon représente un moment un peu amer. D’une part c’est une indication du militantisme manifesté par les néo-conservateurs. De l’autre, c’est un signe sinistre des intentions probables de l’administration Bush durant la dernière année de présidence. L’amiral Fallon âgé de 63 ans ne se serait pas embarqué dans une décision aussi grave après des décennies de service si ce n’était pour la raison qu’il a su qu’une guerre commençait à poindre, et il a choisi — après avoir considéré les implications historiques d’une telle guerre — de ne pas être celui qui presserait le bouton..
À la différence du climat politique qui régnait aux Etats-Unis avant la guerre contre l’Irak — climat fait de crainte, de manipulation et de démonisation — l’environnement politique américain est maintenant plus proche d’une opposition à la guerre, ce qui est en grande partie encouragé et conforté par le fait que les principaux responsables de l’armée eux-mêmes s’expriment publiquement avec de plus en plus d’aplomb. En effet la pression et la résistance montent de tous les côtés ; ceux qui misent sur une nouvelle guerre rencontrent une solide résistance venant de ceux qui peuvent en prévoir les désastreuses répercussions.
Les poussées dans les deux sens dans les mois à venir détermineront probablement le moment et le niveau de l’aventure militaire américaine contre l’Iran, ou même si une telle aventure pourra avoir lieu (on ne peut pas écarter la possibilité que, comme cadeau à Israël, les Etats-Unis ne prennent une initiative intermédiaire en intervenant au Liban, aux côtés d’Israël, pour détruire le Hizbullah. Beaucoup d’options sont sur la table, et une nouvelle crise concoctée par Bush est toujours possible).
Dans une atmosphère si tendue, la démission de Fallon pourrait être interprétée comme un signe positif, prouvant qu’en faveur de la guerre tous les jeux ne sont pas faits. Néanmoins, il est prématuré de céder à l’optimisme. De précédents signes ont indiqué une fissure sérieuse parmi ceux qui par le passé ont cru que la guerre était la réponse à chaque conflit. Pourtant cela ne diminue pas nécessairement les efforts des amoureux de la guerre.
En décembre dernier, le « National Intelligence Estimate » — un document rédigé par toutes les agences américaines de renseignement - arrivait à la conclusion que l’Iran avait arrêté son programme d’armement nucléaire en 2003 et que ce programme était depuis resté gelé. En attendant les « bombarder-en-premier-poser-des-questions-ensuite » se rassemblent en affirmant qu’une telle évaluation serait un pur non-sens.
Le sénateur et présidentiable républicain John McCain a depuis entonné l’air de « bombardez l’Iran », — en toutes lettres — et les amis d’Israël continuent à parler de la menace « existentielle » à laquelle Israël fait face à cause des « armes » de l’Iran - cela ne change rien à l’affaire qu’Israël soit lui-même une formidable puissance nucléaire.
Selon Borchgrave, « le sénateur Joe Lieberman qui est un ami proche de McCain... a évoqué l’existence d’explosifs iraniens passés en contrebande en Irak et a réclamé une action militaire de représailles contre Téhéran. Lui et beaucoup d’autres lancent des cris d’alarme selon quoi Israël ferait face à une crise existentielle. Un missile iranien à tête nucléaire sur Jérusalem ou Tel Aviv pourrait détruire Israël, affirment-ils. »
En fait, Lieberman et les autres partisans d’Israël n’ont besoin d’aucune justification pour la guerre, ni contre l’Iran ni contre aucun des ennemis d’Israël au Moyen-Orient. Ils ont favorisé des conflits au nom de ce pays pendant tant d’années ! Et ils continueront probablement à la faire, jusqu’à ce que suffisamment d’Américains fassent pression pour que soient redessinées les priorités de leur gouvernement.
Une attaque sur l’Iran ne semble pas aussi certaine que l’avait toujours parue la guerre contre l’Irak. La pression publique, combinée avec des positions courageuses prises par de hauts fonctionnaires, a pu créer la vague nécessaire pour bloquer des efforts de guerre apparemment déterminés.
Les Américains peuvent soit permettre à ceux qui continuent de parler « de menaces existentielles » et de guerres de cent ans de déterminer et saboter le futur de leur pays, et par extension la sécurité du monde, ou ils peuvent reprendre en main l’Amérique, remettre sur pied son économie indigente et mal portante, et compenser les nombreuses fautes commises en leur nom et au nom de la liberté et de la démocratie.
(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »
Site Internet :
www.ramzybaroud.net
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17 mars 2008 - Transmis par l’auteur - Traduction de l’anglais : Claude Zurbach