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1948-2008 : la Nakba est encore à l’oeuvre

vendredi 4 janvier 2008 - 06h:30

Serene Assir - Al Ahram Weekly

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Ce n’est qu’en considérant la Nakba comme un processus toujours à l’œuvre que l’on peut espérer l’inverser, écrit Serene Assir.

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L’occupant israélien débute l’année 2008 par des meurtres massifs dans la bande de Gaza, avec pour objectif de terroriser la population et de provoquer une nouvelle Nakba - Photo : AFP

Jamila Moussa avait 19 ans quand elle s’est enfuie avec son mari de son village Kfur Yassine situé à Akka, au nord de la Palestine. Ils venaient juste d’avoir leur premier enfant, Nicolas, qui a maintenant ses propres enfants. Craignant pour leur sécurité, ils se sont enfuis, en espérant qu’ils reviendraient quelques semaines plus tard. Depuis ce jour, Jamila a été témoin de plusieurs guerres même si aucune ne s’est faite sur le sol de la Palestine.

Dans une interview donnée à Al-Ahram Weekly ce printemps, à son domicile, de Dbayye, camp de réfugiés au Liban, Jamila s’est rappelé avec quelle violence a été faite leur expulsion, violence qu’elle n’a jamais vue auparavant ni depuis : « les Britanniques avaient l’habitude de brûler nos maisons mais les Juifs les écrasaient pour ne plus laisser aucune trace comme si elles n’avaient jamais existé."

Bien que Jamila n’est pas très loin de ses 80 ans, elle raconte son histoire, avec force de détails remarquables comme pour défier le temps qui passe. Elle a transmis ses souvenirs maintes fois à ses enfants et à ses petits-enfants, qui sont tous nés réfugiés, pour leur rappeler qui ils sont. Aujourd’hui à la veille du 60e anniversaire de la Nakba, catastrophe qui a touché le peuple palestinien à la suite de la création de l’Etat d’Israël en 1948, le récit de Jamila prend une nouvelle signification. Parmi les 6,5 millions de réfugiés palestiniens dispersés à travers le monde d’aujourd’hui, quelques-uns gardent de précieux souvenirs de leur première maison.

La Nakba s’est traduite en 1948 par un nettoyage ethnique des Palestiniens, par plus de 60 massacres, par près de 420 villages palestiniens vidés de leur population et par l’expropriation d’au moins 700 000 Palestiniens. La Nakba commémorée le 15 mai de chaque année est souvent présentée comme une chose du passé dans un contexte où les pressions pour l’oublier ou pour aller de l’avant se sont faites fortes. Pourtant, alors que nous nous approchons du 60e anniversaire d’Israël, créé de toutes pièces en lieu et place de la Palestine, il est important de noter que plusieurs écrivains, ces dernières années ont souligné la continuité de la Nakba.

En effet, les crimes (contre les Palestiniens) qui ont culminé en 1948 sans commencer forcément cette année-là, comme l’a montré l’écrivain palestinien Salman Abu Sitta, n’ont pas cessé depuis. Le massacre de Djénine du 11 avril 2002 n’est pas sur les plans politique, historique ou juridique distinct du massacre de Deir Yassine du 9 avril 1948. Non seulement ces deux massacres renvoient aux crimes de masse y compris le meurtre des enfants, mais ils sont en même temps, la cruelle manifestation du déni israélien du droit historique à l’autodétermination des palestiniens alors que ce droit a une validité incontestable sur le plan international. Malgré les effusions de sang, malgré le vol des terres, malgré l’agonie de ce peuple par suite de la dépossession, la justice et le temps jouent irrévocablement en sa faveur.

Selon l’affirmation faite au Weekly par Amr El Bayoumi, juriste des Droits de l’Homme en Grande Bretagne "pour tout examen sérieux des crimes internationaux, nous avons besoin de rechercher l’intention qui sous-tend le crime ». L’analyse des déclarations publiées et faites par les dirigeants sionistes israéliens depuis la création d’Israël jusqu’à ce jour, ne laisse aucun doute sur l’intention politique de l’Etat d’Israël à détruire les Palestiniens.

En 1937, David Ben Gourion, « père fondateur d’Israël » et premier Premier ministre israélien, a prononcé une phrase clairement criminalisable : "il faut expulser les Arabes et prendre leur place, et si nous devons recourir à la force, nous en avons les moyens". Plus crûment, le Premier ministre israélien, Golda Meir a radicalement nié en 1969 l’existence de Palestiniens « il n’existe pas quelque chose qui s’appelle le peuple palestinien." Plus récemment encore, en 1989, l’ancien Premier ministre Benyamin Nétanyahou, a déclaré : « Israël aurait dû exploiter la répression des manifestants en Chine quand l’attention du monde était centrée sur ce pays pour procéder à des expulsions massives des Arabes des territoires." Et en 2001, l’ancien ministre du Tourisme et partisan de la politique israélienne d’assassinats extrajudiciaires, Rehavam Zeevi, a dit que « chaque Palestinien supprimé est un terroriste de moins pour nous à combattre."

Toutes ces déclarations politiques sont en étroite relation avec les crimes commis par Israël contre les Palestiniens au cours des 60 dernières années jusqu’au siège actuel de Gaza, qui constitue une punition collective alors que cela est illégal au regard du droit international. En vertu de ce droit d’ailleurs, un tel projet de destruction d’un peuple constitue un acte de génocide car selon la Convention internationale adoptée en 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, le génocide est défini comme l’exécution d’un ou plusieurs actes "commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Cela comprend, entre autres actes, l’assassinat des membres d’un groupe énuméré mais aussi l’acte délibéré de soumettre un groupe énuméré " à des conditions d’existence pouvant entraîner sa destruction physique totale ou partielle".

Si l’intention est essentielle à la compréhension des crimes commis par Israël dans le transfert et le nettoyage ethnique des Palestiniens, il serait historiquement et juridiquement dommageable de ne voir ces crimes que dans le cadre actuel en termes d’assassinats extrajudiciaires, de punitions collectives et de privation des droits fondamentaux de l’Homme y compris les droits à la vie, à l’éducation, à l’eau et au travail en mettant de côté le plus important de tous ces droits à savoir le droit inaliénable de retour dans son propre pays pour un réfugié. À ce titre, des experts juridiques, y compris Monique Chemillier-Gendreau ont prouvé que les crimes commis par Israël au cours de la Nakba continuent de se reproduire depuis et que la Nakba n’est pas une affaire close. Que l’exécution de la politique de l’État israélien se soit faite progressivement, n’enlève rien à sa responsabilité : il n’y a pas de restrictions légales sur la réparation des crimes de masse.

Joseph Schemla, juriste attaché à la Coalition internationale de l’Habitat et coordinateur des Droits de l’Homme a déclaré au Weekly qu’en droit international public, "un crime reste un crime aussi longtemps qu’il n’a pas été jugé et sanctionné". Les voies de recours pour les crimes internationaux sont explicitement énoncées dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies 60/147 pour ramener les victimes "à leur situation initiale" avant les violations, pour les indemniser, leur permettre de se réadapter et leur garantir la non-répétition des violations qu’ils ont subies.

... Selon Joseph Schemla, l’indemnisation des Palestiniens par Israël doit tenir compte des dommages subis au fil du temps, y compris les loyers et les bénéfices accumulés de l’agriculture si les Palestiniens n’avaient pas souffert de la Nakba. "Une façon de calculer cette indemnisation, serait de tenir compte de l’évolution de l’économie israélienne depuis 1948. Néanmoins, cette indemnisation ne peut pas absoudre Israël de sa responsabilité sur les autres voies de recours, y compris la restitution des biens et le droit inaliénable au retour. Même parmi les jeunes qui n’ont jamais vu la Palestine, la revendication au droit de retour demeure un objectif sacré. « Si je pouvais revenir en Palestine, j’irais immédiatement », a déclaré Arwa Saleh journaliste palestinien vivant au Caire, âgé de 25 ans. "Pourquoi devrais-je renoncer à mon droit de retour et je ne peux imaginer quelqu’un qui pourrait le faire ?"

Tout comme le savent très bien les dirigeants sionistes israéliens et leurs supporteurs et donateurs américains et européens, l’analyse juridique montre que la fondation d’Israël comme son existence restent en soi des crimes de guerre parce qu’une réparation adéquate signifie la fin de la Nabka mais aussi de l’Etat qui a émergé de cette catastrophe. À cet égard, il n’est pas abusif d’invoquer la responsabilité de la communauté internationale dans la reconnaissance de l’Etat d’Israël et de l’assistance tant idéologique que matérielle qui lui a été apportée depuis des décennies.

Selon Elna Sondergaard, professeur de droit international public à l’Université américaine du Caire, il incombe aux avocats internationaux, en l’absence d’initiatives visant à faire appliquer la responsabilité de l’Etat d’Israël, à prendre sur eux de "porter les cas juridiques devant les tribunaux et les instances des Droits de l’Homme" qui concernent six décennies de crimes israéliens contre les Palestiniens. Ne pas faire cela fait perdre toute confiance dans les solutions légales ce qui ouvre la voie à la rébellion comme seule option et que la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît en tant que telle.

En effet, en attendant que des mesures juridiques efficaces soient prises, il est inévitable qu’un nombre de plus en plus croissant d’Arabes et de Palestiniens dépossédés ne voient que la solution de la résistance directe. En cela, le droit international est de leur côté en lieu et place de ses propres échecs.

De la même auteure :

- Attente désespérée à la porte de Gaza
- Chantage israélien à Rafah
- Réfugiés irakiens et palestiniens : la quête de la dignité
- Liban : « Les cartes, il nous les faut ! »

27 décembre 2007 - Al-Ahram Weekly Online - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/877...
Traduit de l’anglais par D.Hachilif


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