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Le militantisme palestinien : une histoire ignorée

mercredi 21 décembre 2011 - 06h:29

Ramzy Baroud

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Essam Al-Batsh et son neveu, Sobhi Al-Batsh, sont les derniers d’une longue liste Palestinienne présentés comme des « militants » assassinés par Israël.

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Combattant de la résistance palestinienne dans la bande de Gaza - Photo : http://www.Zoriah.net

Les deux civils ont été pris pour cible alors qu’ils roulaient en voiture dans le centre-ville de Gaza le 8 Décembre. Selon un communiqué de l’armée israélienne, « (Ils) étaient affiliés à un escadron terroriste qui prévoyait d’attaquer des civils et des soldats israéliens à travers la frontière ouest » (Reuters, Décembre 8).

Un autre « militant » avait été assassiné deux jours plus tôt. Des avions militaires israéliens « avaient ciblé deux groupes de militants qui s’apprêtaient à tirer des roquettes sur le sud d’Israël », selon l’Associated Press. L’AP cite des officiels israéliens comme disant que l’armée « continuera à prendre des mesures contre ceux (qui) utilisent la terreur contre l’Etat d’Israël. »

Il n’y a vraiment pas grand-chose à faire pour abattre un « militant » dans Gaza. Il suffit à des agents du renseignement militaire israélien de sélectionner une arme et de zoomer sur la personne choisie un jour donné. Ce n’est pas vraiment une tâche difficile étant donné que toute la population de la bande de Gaza est assiégée dans sa prison à ciel ouvert. La même déclaration concernant un « militant » assassiné peut être à chaque fois réutilisée, avec toujours les mêmes justifications sans surprise.

Les justifications israéliennes ne disent rien sur l’histoire qui est à la base de ce « militantisme ». Pour savoir pourquoi certains jeunes hommes à Gaza décident de dissimuler leur visage et de porter des armes, il faut laisser de côté la vision réductrice des médias sur la lutte armée à Gaza. Cela remonte à bien avant les élections de 2006... bien avant le blocus imposé en 2007, la guerre de l’hiver 2008-2009 et même l’existence du Hamas et du Fatah.

Le phénomène a débuté peu après la Nakba - la « catastrophe » en 1948 pour les Palestiniens, c’est-à-dire la destruction de la Palestine et la mise en place de l’état israélien d’aujourd’hui. Dans le même temps, près de 250 000 Palestiniens ont été expulsés ou contraints de s’enfuir rien vers Gaza. Une population déplacée aspirait à retourner chez elle, et nombreux étaient ceux qui voulaient récupérer leurs biens les plus précieux qu’ils avaient enterrés dans leurs villages en Palestine. Certains voulaient simplement récolter leurs champs, tandis que d’autres voulaient retrouver des membres de leur famille disparus pendant l’expulsion forcée de Palestine.

Après qu’ils aient traversé les limites de l’état israélien nouvellement créé, de nombreux réfugiés ne sont jamais revenus. Mais l’audace des « fedayins » - les combattants de la liberté - commençait maintenant à croître rapidement.

Les réfugiés ont fini par s’organiser, avec ou sans l’aide de l’armée égyptienne qui était encore stationnée à la périphérie de Gaza et à la frontière sud du désert du Sinaï. Les groupes se sont rapidement données des noms et se sont transformés en organisations, leurs membres se trouvant des tenues militaires. Les combattants utilisaient le kuffiyeh - foulard traditionnel - pour se couvrir le visage afin de le dissimuler aux yeux de ceux qui collaboraient avec les Israéliens - en nombre croissant également.

Au fil du temps, les commandos de la guérilla palestinienne ont commencé à effectuer des frappes audacieuses profondément à l’intérieur d’Israël. Les fedayins étaient surtout de jeunes réfugiés palestiniens, mais aussi pour une part des combattants égyptiens. Leurs opérations s’enhardissaient de jour en jour, tandis qu’ils s’infiltraient en Israël comme des fantômes dans la nuit, avec des armes rudimentaires et des bombes artisanales. Ils visaient les soldats israéliens, volaient leurs armes et revenaient avec ces nouvelles armes la nuit suivante. Certains voulaient aller jusque dans leurs villages en Palestine pour « récupérer » depuis des couvertures jusqu’à l’argent qu’ils avaient économisé mais qu’ils n’avaient pas pu emmener avec eux lors de leur expulsion. Ceux qui ne revinrent jamais eurent des funérailles de « martyrs ». Après chaque opération de fedayins, l’armée israélienne frappaient les réfugiés de Gaza, générant un soutien encore plus fort et amenant de nouvelles jeunes recrues. Le mouvement des commandos était alors en pleine croissance.

Le phénomène s’est rapidement développé parmi les jeunes palestiniens à Gaza - non pas à cause d’un quelconque désir inexplicable pour la violence mais parce qu’ils ont vu dans les fedayins la possibilité d’une évasion héroïque de leur propre vie remplie d’humiliations. En effet, le mouvement des fedayins était l’antithèse de la soumission endurée par les réfugiés. C’était la manifestation de toute la colère et toute la frustration qu’ils ressentaient. Ils voulaient simplement rentrer chez eux, et cette liberté dans la lutte semblait le seul moyen pratique de faire de ce souhait une réalité.

Alors que les réfugiés restaient confinés dans leurs tentes et que de plus en plus de Palestiniens étaient assassinés dans des incursions militaires israéliennes et par des tireurs isolés, le nombre des fedayins se multipliait. A l’occasion d’une visite historique dans Gaza en 1955, le dirigeant égyptien du moment, Gamal Abdel Nasser, fit la promesse de continuer à combattre jusqu’à ce que toute la Palestine soit libérée. Peu après, confrontés à de fortes exigences pour qu’elle agisse, l’Egypte a décidé de mettre en place dix bataillons de la Garde Nationale composés en grande partie du Palestinien fedayins et commandés par des officiers égyptiens. C’était le reflet d’une tentative égyptienne de prendre la charge la situation et de contrôler les centres palestiniens de commandement et leurs factions armées. Les escarmouches à la frontière ont atteint un point culminant, donnant lieu parfois à de véritables batailles. Les attaques israéliennes à coups de mortier ont frappé beaucoup de secteurs dans Gaza. Il n’y avait aucun endroit sûr où s’abriter.

Les organisations ont changé de nom. Le fedayins se sont mis à porter des kuffiyehs de différentes couleurs. Mais sur le fond, peu de choses avaient changé. La pauvreté était toujours la même. Comme toujours, les droits de l’homme continuaient à être violés. Pas un seul réfugié n’est rentré chez lui. Et trois, sinon quatre générations de fedayins ont poursuivi la lutte.

D’une certaine façon, la perception de ces hommes masqués par les médias est demeurée en grande partie la même. Le « militant » a toujours été traité comme un élément dérangeant et inexplicable. Au mieux, il a servi de rappel non pas d’une histoire poignante qui doit être déterrée et comprise, mais d’une raison pour laquelle Israël est, et restera toujours menacé par des Palestiniens aux visages masqués. Quand un ainsi nommé « militant » est brutalement assassiné, peu de justifications sont fournies. Si des « militants » répliquent à un massacre, de tels effets en retour vont probablement servir de casus belli pour une escalade militaire israélienne déjà prévue depuis longtemps.

Il est important de comprendre que ce « militantisme » dans Gaza n’est lié à aucune organisation palestinienne en particulier, qu’il ne dépend pas d’une idéologie ou d’un dirigeant spécifique. Le phénomène avait en effet précédé toutes les organisations et toutes les individualités qui constellent le paysage politique de Gaza. Il a été provoqué tout simplement par la Nakba et toutes les tragédies qui s’en sont suivies.

Fort heureusement, ces « militants » - ou fedayins, ou même ces « terroristes » selon les normes d’Israël et de ses inconditionnels - continueront d’exister aussi longtemps que le conflit n’aura pas été résolu selon les normes incontournables de justice et d’équité.

Quant aux médias, il appartient aux journalistes de réfléchir et d’aller un peu plus loin que la seule contemplation des restes calcinés d’un oncle et de son neveu - et de voir au-delà des accusations si habituelles et totalement fausses qui sont la pierre angulaire des déclarations officielles israéliennes.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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13 décembre 2011 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net Claude Zurbach


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