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Comment l’Autorité de Ramallah brade l’unité palestinienne

mercredi 20 juillet 2011 - 16h:40

Ramzy Baroud

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Si vous étiez un employé du gouvernement palestinien, il y aurait de fortes chances que vous ne receviez que la moitié de votre salaire habituel ce mois-ci.

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Le "premier ministre" palestinien Fayyad salué à son passage par les milices mises en place par l’AP de Ramallah avec le concours des Etats-Unis et d’Israël - Photo : Loay Abu Haykel

L’autre moitié ne sera disponible que lorsque les donateurs internationaux seront suffisamment généreux pour éponger l’énorme pénurie de fonds à laquelle est actuellement confrontée l’Autorité palestinienne (AP).

Avec un déficit constant d’environ 640 millions de dollars US, le gouvernement de l’AP du premier ministre Salaam Fayyad connaît une de ses pires crises financières. Mais l’économie palestinienne n’est pas une véritable économie par rapport aux normes universellement reconnues. Elle survit en grande partie grâce aux transferts des pays donateurs. Ces fonds ont largement permis à Israël d’échapper à sa responsabilité financière en tant que puissance occupante en vertu des articles de la Quatrième Convention de Genève.

Ces mêmes fonds ont aussi maintenu à bout de bras une direction palestinienne qui tente de garantir sa propre survie en servant les intérêts de ses principaux financiers.

Mais ces fonds sont en train de s’assécher. Cela pourrait être dû à une tentative politique afin de dissuader le président Mahmoud Abbas de réclamer la reconnaissance d’un Etat palestinien aux Nations Unies en septembre prochain. Les responsables de l’AP ont été fortement irrités par ces retards dans les transferts, critiquant les pays donateurs - dont des pays arabes - pour ne pas avoir honoré leurs engagements financiers.

Yasser Abed Rabbo, le secrétaire général de l’OLP [Organisation de Libération de la Palestine], a parlé d’une crise « sans précédent » sur les ondes de Voice of Palestine. « La situation est devenue très compliquée pour l’Autorité palestinienne en raison de l’incapacité des pays arabes à respecter leurs promesses financières. »

Fayyad a qualifié « d’ironie » le fait que la crise actuelle se produise à un moment où l’Autorité palestinienne avait réduit sa dépendance envers l’aide étrangère de près de la moitié - passant de 1,8 milliard de dollars en 2008 à 970 millions - selon le Jerusalem Post. Maintenant, même cette moitié est réduite puisque seuls 331 millions de dollars sur les 970 promis ont été perçus.

Les plus hauts responsables de l’AP établissent maintenant ouvertement un lien entre la retenue à la source de ces fonds et la réalité politique en Palestine. Fayyad a insisté pour dire que « la crise ne dot pas jeter le doute sur notre préparation pour la mise en place d’un Etat », tandis que Abed Rabbo a affirmé que la crise ne stopperait pas les efforts de l’AP pour revendiquer un Etat indépendant le long des lignes d’avant la guerre de 1967.

L’AP comprend sans aucun doute le coût financier de toute aventure politique qui sera jugée défavorable à Israël - surtout depuis qu’elle se voit constamment rappelée les « liens historiques » et les « valeurs communes » qui unissent Israël et les Etats-Unis.

Un rappel en a été la marge énorme à la Chambre américaine des Représentants en Juillet 2011. Par un « vote écrasant de 406 contre 6 », a rapporté l’AFP, les législateurs des États-Unis « ont averti les Palestiniens qu’ils risquent des réductions de l’aide américaine s’ils poursuivent leur tentative d’une reconnaissance par les Nations Unies d’un futur Etat qui ne soit pas défini dans des négociations directes avec Israël. »

Le message fait écho à une autre vote sur une résolution similaire au Sénat américain.

Ce soutien inconditionnel d’Israël par les Etats-Unis rend la tâche beaucoup plus facile pour les diplomates israéliens. Ils peuvent à présent moins se concentrer sur les États-Unis et plus sur les pays européens qui ont promis de soutenir l’initiative étatique de l’AP.

L’AP est bien sûr très vulnérable face à ces menaces, malgré son insistance à dire le contraire. Une fois que les Etats-Unis et d’autres commencent à agiter la carte du blocage de fonds, n’importe quel programme politique de l’AP dégénérera en bavardages politiques indécis et même autodestructeurs. Le manque de fermeté dans le vocabulaire politique dont use l’AP peut être attribué à sa crainte qu’avec la simple décision de retenir les fonds - couplée à une décision israélienne de bloquer les taxes collectées au nom de l’Autorité palestinienne - son gouvernement ne survivrait pas plus de quelques semaines.

Il faut se souvenir que la Cisjordanie et Jérusalem-Est sont des territoires occupés. Privée de même un semblant de souveraineté territoriale et gérant une économie nationale basée sur les donations externes, l’AP n’a aucune indépendance politique en dehors des marges autorisées par les Etats-Unis et Israël, deux pays qui veulent avec acharnement détruire le projet national palestinien.

L’AP a été aux prises avec cette situation impossible depuis sa création en 1994. Etre le gardien des intérêts nationaux palestiniens tout en satisfaisant les intérêts politiques d’Israël et les attentes des Etats-Unis, est un exploit impossible. Cette énigme a presque toujours été solutionnée au détriment des Palestiniens eux-mêmes. La dernière victime en est l’accord unitaire signé en Egypte le 27 avril entre le Hamas et le Fatah, le parti de l’Autorité palestinienne au pouvoir.

L’unité est essentielle pour qu’existe un programme politique cohérent en faveur des droits palestiniens et d’un possible Etat. Lorsque l’accord a été signé officiellement au début du mois de mai, on s’attendait à ce que divers comités soient en mesure de finaliser rapidement le processus visant à fixer une date pour des élections et de mettre un terme définitif à la querelle de quatre ans entre les deux organisations.

Mais une contre-stratégie israélienne a immédiatement été mise au point. Le 4 mai, alors que les Palestiniens célébraient leur union, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a mené l’offensive depuis Londres. « Ce qui s’est passé aujourd’hui au Caire est un coup terrible pour la paix et une grande victoire pour le terrorisme », a-t-il déclaré (tel que rapporté par Reuters). Les Etats-Unis ont fait écho aux propos de Netanyahou pressenti, tandis que les pays de l’UE ont répondu « avec prudence », et le bras de fer a commencé.

Encore une fois, Abbas et l’Autorité palestinienne ont été confrontés à un dilemme dans leurs priorités. L’unité nationale en Palestine a eu à souffrir un nouveau coup. « Le président palestinien ne veut pas avoir à mener deux batailles diplomatiques : l’une pour la reconnaissance d’une alliance avec les islamistes et l’autre pour un vote de l’ONU en faveur d’un Etat dans le même temps, » a déclaré un officiel de l’OLP (tel que cité par l’Associated Press et Ha’aretz).

« Le vote de l’ONU serait une étape largement symbolique par laquelle les Palestiniens espèrent néanmoins améliorer leur moyen de pression sur Israël », selon un communiqué de l’AP. « Symbolique » peut-être, mais en tout cas une priorité, pour Abbas, et qui passe avant l’urgence d’une unité nationale et d’un programme politique unifié.

Pendant ce temps, les forces de l’AP - entraînées et armées par les Etats-Unis et en coordination constante avec l’armée israélienne - ont arrêté 68 membres du Hamas ces dernières semaines, selon un rapport publié par l’Agence d’Informations Maan qui reprend un communiqué du Hamas.

Alors que Mahmoud Abbas est désormais à la tête d’une mission diplomatique qui vise à rallier un soutien pour son initiative devant les Nations Unies, Fayyad tente de recueillir des fonds pour soutenir l’économie palestinienne pour quelques mois de plus. Dans le même temps, l’unité nationale palestinienne - sans laquelle les Palestiniens resteront désespérément fragmentés et vulnérables face aux pressions et décisions extérieures - ne sera qu’un peu d’encre sur du papier.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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13 juillet 2011 - Article communiqué par l’auteur
Traduction : Claude Zurbach


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