Beit Hanoun, bande de Gaza, le 30 octobre 2009
Par un calme matin d’octobre, Fida Zaneen, 19 ans, fredonne une chanson d’amour populaire tout en cueillant les olives dans le secteur frontalier de Beit Hanoun, pendant la cueillette annuelle.
« Ma grand-mère m’a appris les chants folkloriques. Ils étaient populaires dans toute la Palestine il y a des dizaines d’années. »
Saber Zaneen, 44 ans, et Khallil Nassir, 45 ans, chantent à pleins poumons les chants traditionnels de cueillette, séparant les queues et feuilles de leur fruit vert ou noir, dans le nord de la bande de Gaza.
Garder vivante la culture palestinienne est l’une des missions d’Initiative locale, un groupe de bénévoles de Beit Hanoun composé beaucoup de jeunes et de femmes, et dont est membre Fida Zaneen. Lors des initiatives du groupe, les participants arborent souvent les robes traditionnelles et les keffiehs palestiniens, et dansent la dabke avec darboukas et chants du groupe.
Créé en septembre 2007, Initiative locale s’est donné aussi d’autres missions : promouvoir le volontariat, établir un contact avec les familles marginalisées qui vivent dans les zones qui longent la Ligne verte, frontière séparant Israël et Gaza ; apporter un soutien psychosocial aux enfants marqués par les agressions et les tirs de l’armée israélienne ; aider financièrement les enfants dont les parents ont été assassinés ; valoriser le rôle des femmes et des jeunes dans la société.
Saber Zaneen, l’un des sept fondateurs et aujourd’hui coordinateur général, apporte des précisions sur les objectifs du groupe.
« Les secteurs frontaliers sont très dangereux et difficiles pour les familles et les agriculteurs qui y vivent et y travaillent, à cause des tirs et des bombardements israéliens sur n’importe quel Palestinien. Nous essayons d’aider ces gens qui ont choisi de rester sur leur terre. » Les agriculteurs dans la zone tampon, dans le nord et l’est de Beit Hanoun, ont quelques raisons de se sentir menacés : 8 Palestiniens ont été tués et plus de 33 blessés dans la zone tampon depuis le cessez-le-feu du 18 janvier, 3 des tués (3 enfants) et 12 des blessés (dont 6 enfants) ont été agressés dans ce secteur frontalier du nord et de l’est.
La zone, dit « zone tampon », est une zone à risques imposée par les Israéliens qui s’étend sur environ 30% des terres agricoles les plus fertiles de la bande de Gaza, une terre interdite allant de 300 mètres jusqu’à 2 kilomètres de large dans certains secteurs. Pour les autorités israéliennes, toute personne qui pénètre dans cette zone est susceptible d’être abattue par l’armée israélienne.
C’est en toute connaissance de la situation que les agriculteurs se battent non seulement pour accéder à leurs terres mais aussi pour y amener l’eau, et que les bénévoles d’Initiative locale accompagnent les fermiers pour les choses les plus simples : arroser leur terre, surveiller leurs abeilles, replanter les arbres arrachés par les bulldozers israéliens.
« Durant la guerre, les soldats israéliens ont détruit pratiquement tous les puits et toutes les pompes dans cette zone, » dit Zannen en parlant des terrains rasés à l’est de Beit Hanoun. « Nous accompagnons parfois les agriculteurs pour amener l’eau sur leurs terres. Nous voudrions que les puits et les pompes soient réparés, et que les agriculteurs puissent travailler sur leurs terres sans craindre d’être abattus. »
Initiative locale utilise l’action directe contre ce qu’ils considèrent la politique israélienne de punition collective des Palestiniens de Gaza. Pour mettre en évidence les problèmes et renforcer la solidarité entre les habitants de la zone tampon, le groupe organise des manifestations non violentes et des initiatives dans le secteur de la zone tampon.
Certaines de ces manifestations ont lieu près du check-point d’Erez, avec des ONG et d’autres groupes locaux, pour appeler à la fin du siège de Gaza, siège imposé peu après que le Hamas ait été élu en janvier 2006, et qui s’est resserré de plus en plus durement depuis juin 2007, quand le Hamas a pris le contrôle de Gaza.
Zaneen évoque l’élan qui a poussé à la création du groupe. « C’était après que l’armée israélienne ait bombardé à deux reprises des groupes d’enfants dans Beit Hanoun en 2007. J’ai vu des morceaux minuscules de leurs corps, partout sur le sol. Je n’avais jamais rien vu d’aussi dur. »
Le premier incident auquel se réfère Zaneen s’est produit le 21 août 2007, où Abdul Khader Ashoor, 13 ans, et Fadi Kafarna, 11 ans, ont été visés par un missile israélien. D’après un témoignage recueilli auprès d’un enfant blessé dans le bombardement par le Centre palestinien pour les droits humains (PCHR), les garçons s’en allaient cueillir des fruits dans un endroit où se trouvait une position de tirs de roquettes artisanales quand ils ont été touchés par le missile.
Huit jours plus tard, trois enfants de la famille Abu Ghazala ont aussi été tués par un missile sol/sol israélien. Le PCHR rapporte que Mahmoud, 8 ans, Sara, 9 ans, et Yehya, 12 ans, rassemblaient leurs moutons à environ deux kilomètres de la clôture qui fait office de frontière quand ils furent atteints par le missile, ils étaient alors à 40 mètres d’une position de lance-roquettes et il n’y avait aucun résistant dans le secteur à ce moment-là.
En septembre de la même année, après avoir mobilisé les habitants concernés de Beit Hanoun, les sept volontaires se sont réunis pour la première fois en tant qu’Initiative locale. Depuis, le groupe s’est agrandi et il comprend maintenant environ 20 bénévoles femmes et 30 bénévoles hommes. Leurs âges varient, depuis l’âge d’ados jusqu’à l’âge de parents.
Fida Zaneen suit des études d’ingénieur à l’université. Elle parle couramment l’anglais et sert souvent de traductrice lors des visites de délégations et journalistes internationaux, et participent en même temps aux manifestations non violentes.
Ibrahim Kaloub, 17 ans, l’un des plus jeunes volontaires, donne quelques informations sur leurs activités. Une compilation vidéo montre des activités psychosociales, avec des clowns qui visitent les familles des secteurs frontaliers, des manifestations dans la « zone tampon », des célébrations du Jour de la Terre palestinien, des cueillettes d’olives de 2008 et des incursions de chars d’assaut et bulldozers israéliens le long des secteurs frontaliers.
Durant les dix premiers jours d’octobre, les bénévoles d’Initiative locale ont participé à la cueillette des olives dans cinq fermes proches de la frontière. Mohammed Zaneen habite à l’est de Beit Hanoun. Au fil des années, avec les nombreuses incursions israéliennes, la famille a vu disparaître ses dix dunums (un hectare) d’oliveraies sous les bulldozers israéliens, qui ne leur ont laissé que 18 arbres comme seuls moyens d’avoir de l’huile et des olives.
Zaneen dit qu’en huit jours de travail, ils ont fait la cueillette sur plus de 100 oliviers dans ces secteurs au nord et à l’est de Beit Hanoun, mais cette cueillette a été maigre. Il évoque les diminutions biennales naturelles de la production d’olives comme l’une des raisons de la pauvre cueillette de cette année, mais il dit aussi que le facteur le plus significatif a été l’arrachage aux bulldozers par les Israéliens de centaines d’oliviers sur les zones frontalières - soit 90% des arbres - pendant les massacres israéliens de Gaza l’hiver dernier.
Avec le siège étouffant de Gaza, les couples sans emploi, la flambée de prix, le simple fait d’exister est devenu un défi quotidien pour 90% de la population de Gaza qui vivent dans une extrême pauvreté.
Zaneen connaît la région et est extrêmement conscient de l’immense pauvreté des familles, notamment des orphelins d’un ou deux parents. Dans les cas les plus graves, il recherche une aide financière auprès des soutiens locaux et internationaux.
Khalil Nassir, 45 ans, est un autre des fondateurs. Pendant le massacre israélien de Gaza cet hiver, Nassir était infirmier volontaire dans le secteur.
Mahmoud Billih, 17 ans, est toujours en tête des manifestations. Lui aussi, il est membre d’Initiative locale depuis le début.
Il évoque le jour où Initiative locale et des militants internationaux ont apporté le cadavre d’un martyr de la zone tampon Est de Beit Hanoun. « Ce fut un acte très important. Sa famille ne savait pas s’il était vivant ou non. Quand son père a pu allonger son fils pour qu’il se repose, lui aussi a pu se reposer. »
Gassem Kafarni, 23 ans, ingénieur, un autre membre dès l’origine du groupe, se souvient : « Saber (Zaneen) a dit, "Nous avons besoin de volontaires prêts à risquer leur vie pour aider les familles à vivre sur leurs terres". J’étais prêt. »
Kafarni parle des familles qu’Initiative locale avait l’habitude de visiter avant que leurs maisons ne soient détruites lors des récents massacres israéliens.
« Nous avions l’habitude de visiter environ 13 familles qui vivaient dans des conditions très difficiles. Elles habitaient près de la clôture/frontière et avaient beaucoup de problèmes à cause des soldats israéliens. Aucun autre groupe n’allait les voir ; elles ont reçu des aides en produits alimentaires secs (avec 10% d’eau environ, plus faciles à transporter et à conserver - ndt), mais pour le reste, on les avait complètement ignorer. Nous y sommes allés, apportant des jouets pour les enfants et jouant avec eux. Ils étaient toujours très heureux de nous voir. Mais maintenant, leurs maisons n’existent plus. »
Shabaan Garmut, 60 ans, fait partie des familles qui ont une maison près de la frontière. « Il y a toujours eu des tirs de soldats israéliens, » dit Kafarni. « Et puis à la fin, Garmut a dit à sa famille d’aller vivre ailleurs, pour sa sécurité. Mais elle a voulu rester dans sa maison. »
Kafarni dit que les soldats israéliens empêchaient Garmut d’aller à ses puits, et par conséquent d’arroser ses trois dunums de plantations d’oliviers et de citronniers.
« Nous avons organisé des marches de sécurité jusqu’à sa terre, en amenant de nombreux journalistes qui filmaient sur place, de sorte que les soldats israéliens ne tiraient pas de trop près. Nous avons aussi amené de nouveaux arbres et les avons plantés pour remplacer ceux que les bulldozers israéliens avaient rasés. »
Au cours du massacre israélien de Gaza, la maison de Garmut a été détruite et sa terre dévastée.
Selon Saber Zaneen, environ 80 maisons ont été démolies dans la zone tampon au nord et à l’est de Beit Hanoun - faisant au moins 400 sans-abri.
Après les attaques, Initiative locale a organisé pendant un temps des cours de secourisme en cas d’urgence pour les agriculteurs et les civils des secteurs frontaliers, pour mieux leur permettre de travailler et vivre sur cette terre, et de les préparer aux attaques israéliennes.
Les bénévoles sont également engagés dans des actions en faveur des enfants traumatisés. En juin 2009, Initiative locale a organisé une journée de cerfs-volants, Laissez-moi jouer librement, dans le secteur frontalier, impliquant aussi des enfants avec des besoins particuliers ou handicapés physiquement. Amal Nassir, 21 ans, est travailleuse sociale et l’une des sept fondateurs d’Initiative. « Je ne crains pas d’aller sur les zones frontalières, » dit-elle, malgré la réalité des tirs des soldats israéliens. « Le plus dur pour moi est d’entendre les enfants parler de ce qu’ils ont vécu et de leurs souffrances pendant la dernière guerre. »
Pour Fida Zaneen et Nassir, être une femme ne pose pas de limites à leur engagement. « Nous sommes à égalité ; nous pouvons faire tout ce que font les hommes, rien ne nous est interdit, » dit Nassir.
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30 octobre 209 - IPS - traduction : JPP