Ehud Barak décidait que le Parti travailliste devait rejoindre le cabinet d’extrême droite comprenant des fascistes absolus.
Sans oublier ceci : l’ancien Président d’Israël officiellement inculpé de viol.
Dans cette cacophonie, qui aurait fait attention à une phrase écrite par des juristes dans un document soumis à a Cour suprême ?
Le débat judiciaire concerne l’une des lois les plus révoltantes jamais décrétées en Israël.
Elle dit que l’épouse d’un citoyen israélien n’est pas autorisée à le rejoindre en Israël si elle vit dans les territoires palestiniens occupés ou dans un pays arabe « hostile ».
Les citoyens arabes d’Israël appartiennent à des hamulas (clans) qui s’étendent au-delà des frontières de l’état. Les arabes se marient généralement au sein de la hamula. C’est une coutume ancienne, profondément enracinée dans leur culture, provenant probablement du désir de maintenir la cohésion des propriétés familiales. Dans la Bible, Isaac avait épousé sa cousine Rebecca.
La « Green Line », fixée arbitrairement par les événements de la guerre de 1948, a divisé des familles. Un village se retrouvait en Israël, l’autre restait à l’extérieur du nouvel état, la hamula vivait des deux côtés. La Nakba créait ainsi une vaste diaspora palestinienne.
Un citoyen israélien mâle désirant épouser une femme de sa hamula la trouvera souvent en Cisjordanie ou dans un camp de réfugiés au Liban ou en Syrie. La femme rejoindra généralement son mari et intègrera sa famille à lui. En théorie, le mari pourrait la rejoindre à Ramallah, mais le niveau de vie y est beaucoup plus bas et toute sa vie - famille, travail, études - est centrée en Israël. En raison de la grande différence de niveau de vie, un homme dans les territoires occupés épousant une femme en Israël la rejoindra habituellement et recevra la citoyenneté israélienne, laissant derrière lui sa vie passée.
Il est difficile de savoir combien de Palestiniens, hommes et femmes, sont venus en Israël pendant les 41années d’occupation et sont ainsi devenus citoyens israéliens. Un bureau gouvernemental parle de vingt mille, un autre de plus de cent mille. Quel que soit le nombre, la Knesset a édicté une loi (officiellement « temporaire ») pour mettre un terme à ce mouvement.
Comme d’habitude chez nous, le prétexte en est la sécurité. Après tout, les arabes qui sont naturalisés en Israël pourraient être des « terroristes ».Il est vrai qu’aucune statistique n’a jamais été publiée concernant de tels cas - à supposer qu’il y en ait - mais depuis quand une allégation de « sécurité » a-t-elle besoin de preuves pour être démontrée ?
Derrière l’argument de sécurité se dissimule bien sûr un démon démographique. Les arabes représentent actuellement quelque 20% des citoyens israéliens. Si le pays devait être envahi par un flot d’épouses et d’époux arabes, ce pourcentage pourrait monter - Dieu nous en garde ! - à 22%. De quoi « l’état juif » aurait-il l’air dans ce cas ?
Le problème a abouti devant la Cour suprême, les requérants, juifs et arabes, arguant que cette mesure contredisait nos Lois fondamentales (notre substitut à une inexistante Constitution) qui garantissent l’égalité entre tous les citoyens. La réponse des juristes du Ministre de la Justice a vendu la mèche. Elle affirme, pour la première fois, en termes non équivoques, que :
« L’Etat d’Israël est en guerre avec le peuple palestinien, peuple contre peuple, collectif contre collectif ».
Il faudrait relire cette phrase plusieurs fois pour apprécier tout son impact. Il ne s’agit pas d’une phrase sortant de la bouche d’un politicien en campagne et qui disparaît avec son souffle, mais d’une phrase écrite par de prudents juristes qui pèsent soigneusement chaque lettre.
Si nous sommes en guerre avec « le peuple palestinien », cela signifie que chaque Palestinien, où qu’il soit, homme ou femme, est un ennemi. Cela implique les habitants des territoires occupés, les réfugiés dispersés à travers le monde aussi bien que les citoyens arabes en Israël même. Un maçon à Taibeh en Israël, un fermier près de Naplouse en Cisjordanie, un policier de l’Autorité Palestinienne à Jenin, un combattant du Hamas à Gaza, une écolière dans le camp de réfugiés de Mia Mia près de Sidon au Liban, un commerçant naturalisé étatsunien à New York - « collectif contre collectif ».
Bien sûr les juristes n’ont pas inventé ce principe. Il a été accepté depuis longtemps dans la vie quotidienne, et tous les bras armés du gouvernement agissent en accord avec lui. L’armée détourne les yeux quand un avant-poste « illégal » est établi en Cisjordanie sur sol palestinien, et elle envoie des soldats pour protéger les envahisseurs. Les Cours israéliennes ont coutume d’imposer des verdicts plus durs aux accusés palestiniens qu’aux juifs coupables du même délit. Les soldats d’une unité de l’armée commandent des T-shirts montrant une femme arabe enceinte avec un fusil braqué sur son ventre et les mots : « 1 coup, 2 tués » (comme vu dans Haaretz cette semaine).
Il faudrait peut-être remercier ces juristes anonymes pour avoir osé formuler dans un document juridique la réalité qui jusqu’à présent avait été dissimulée de mille et une manières.
La vérité simple est que 127 ans après le début de la première vague d’immigration, 112 ans après la fondation du mouvement sioniste, 61 ans après la fondation de l’Etat d’Israël, 41 ans après le début de l’occupation, la guerre israélo-palestinienne continue sur toutes les lignes de front avec une vigueur intacte.
L’objectif inhérent à l’entreprise sioniste était et est toujours de faire du pays - au moins jusqu’au Jourdain - un état juif homogène. Tout au long de l’histoire sioniste israélienne, cet objectif n’a jamais été abandonné un seul instant. Chaque cellule de l’organisme israélien comporte ce code génétique et agit donc en conformité, sans avoir besoin d’une directive spéciale.
En imagination, je vois ce processus comme la nécessité urgente pour un fleuve d’atteindre la mer. Un fleuve aspirant à la mer ne reconnaît aucune loi, sinon la loi de gravité. Si les terrains le permettent, il coulera tout droit, sinon, il se fraiera un nouveau lit, formera des boucles comme un serpent, tournera à gauche et à droite, contournera les obstacles. Si nécessaire, il se divisera en deux rivières. De temps en temps, de nouveaux ruisseaux rejoindront son cours. Et à chaque minute il s’efforcera de rejoindre la mer.
Le peuple palestinien, bien sûr, s’oppose à ce processus. Il refuse de bouger, dresse des barrages, tente de repousser le courant. Il est vrai que depuis plus de cent ans il a été en retrait, mais jamais il ne s’est rendu. Il continue de résister avec la même persévérance que le courant du fleuve.
Tout ceci a été associé, du côté israélien, à un déni obstiné, se servant de mille et un prétextes, couvertures, slogans intéressés et contrevérités pharisaïques. Mais de temps à autre un éclair inattendu de lumière montre ce qui ce passe réellement...
C’est ce qui est arrivé cette semaine, quand une des écoles préparatoires à l’armée, destinée à former de futurs officiers, organisa une réunion d’élèves, la plupart d’entre eux en service actif ou réservistes, et les encouragea à parler librement de leurs expériences. Comme beaucoup d’entre eux revenaient de la guerre de Gaza et que les choses brûlaient dans leurs os (selon l’expression en hébreu), des détails choquants furent dévoilés. Ceux-ci se frayèrent un chemin jusqu’aux médias et furent publiés en long et en large dans les journaux et à la télévision.
Ils ne constitueront pas une surprise pour les lecteurs de cette rubrique. J’ai déjà écrit sur ce sujet, par exemple dans mon article « Black Flag » (31 janvier 2009). Amira Hass et Gideon Levy ont collecté des témoignages vécus des habitants de Gaza, racontant souvent les mêmes histoires. Mais il y a une différence : cette fois-ci, les faits sont divulgués par les soldats eux-mêmes, ceux qui ont participé aux événements ou les ont vus de leurs propres yeux.
L’armée a été Choquée, Surprise, Révoltée. Le Menteur officiel de l’armée, qui porte le titre de Porte-parole de l’Armée, avait auparavant nié tout fait de ce genre. Maintenant il promet que l’armée enquêtera sur tout incident « comme le cas pourrait le requérir ». L’Avocat-général militaire a ordonné au bras investigateur de la police militaire d’ouvrir une enquête. Comme ce même avocat-général se vantait dans le passé que ses officiers avaient été engagés tout au long de la guerre dans chaque poste de commandement de chaque ligne de front, il faudrait être plus que naïf pour prendre au sérieux cette déclaration.
On peut faire confiance à l’armée pour garantir que rien de tangible n’émergera de cette enquête. Une armée enquêtant sur elle-même - comme toute institution enquêtant sur elle-même - c’est une farce. Dans ce cas c’est encore plus farce, puisque les soldats devront témoigner sous les yeux de leurs commandants, pendant que leurs camarades écoutent. Lors de la réunion d’élèves, ils ont parlé librement, croyant que seuls les présents entendraient. Même ainsi, il fallait pas mal de courage pour tout dire. Et comme chacun d’eux ne pouvait parler que de ce qui était arrivé dans sa proximité immédiate, seuls quelques cas ont été évoqués. L’armée n’a l’intention d’enquêter que sur ces seuls cas-là.
Mais le tableau est bien plus vaste. Nous avons entendu parler de bien des cas du même genre, et ils étaient à l’évidence un phénomène largement répandu. Une femme et ses enfants ont été expulsés de leur maison par des soldats, au milieu des combats, et tout de suite après ils ont été abattus à courte portée par d’autres soldats qui avaient ordre de tirer sur tout ce qui bougeait. Des vieillards et des enfants marchant en terrain découvert ont été abattus de sang-froid par des tireurs qui les voyaient clairement dans les téléobjectifs de leurs viseurs, et qui avaient ordre de considérer toute personne en mouvement comme un « terroriste ». Des maisons ont été détruites sans aucune raison, simplement parce qu’elles étaient là. Les biens à l’intérieur des appartements ont été vandalisés juste pour le plaisir, « parce qu’ils appartenaient à des arabes ». Des soldats ont éventré des sacs de nourriture des agences onusiennes destinés aux populations affamées, parce qu’ils « allaient aux arabes ».
Je sais que de telles choses arrivent dans chaque guerre. Un an après la guerre de 1948 j’ai écrit un livre sur ce sujet, intitulé « The Other Side of the Coin » (Le revers de la médaille). Toute armée combattante a sa part de psychopathes, de désaxés et de sadiques, aux côtés d’honnêtes soldats. Mais même certains des soldats normaux peuvent être pris de folie furieuse en pleine bataille, perdre le sens du bien et du mal et se conformer à « l’esprit de l’unité », s’il se trouve être tel.
Il est arrivé quelque chose à notre armée. Ses commandants ne se lassent jamais de l ?appeler « l’Armée la plus Morale au Monde », ce qui est devenu un slogan comme « Guinness est bon pour vous ». Mais ce qui s’est passé pendant l’opération à Gaza témoigne d’une détérioration massive.
Cette détérioration est un résultat naturel de la définition de la guerre telle qu’elle est utilisée dans le document soumis à la Cour suprême. Ce document doit provoquer saisissement et condamnation, et servir de signal d’alarme pour toute personne à qui l’avenir d’Israël est cher.
Cette guerre doit se terminer. Le fleuve doit être canalisé dans un lit différent, pour que ses eaux rendent le sol fertile - avant que nous ne nous soyons rendus complètement bestialisés à nos propres yeux, et aux yeux du monde.
* Uri Avnery est un écrivain israélien et un activiste de la paix du mouvement Gush Shalom (Bloc de la Paix). Il a participé au livre collectif de CounterPunch “The Politics of Anti-Semitism”.
Du même auteur :
"Pas vous ! Vous !!!" - 9 avril 2008
Je suis venu, j’ai vu, j’ai détruit ! - 22 mars 2008
Et quoi de neuf pour l’Iran ? - 8 octobre 2007
Sans frontières - 26 mars 2007
Face à La Mecque - 25 février 2007
Le dilemme de Grossman - 6 décembre 2006
Agatha sous la pluie - 10 juillet 2006
23 mars 2009 - Counterpunch - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.counterpunch.org/avnery0...
Traduction de l’anglais : Marie Meert