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Sans frontières

lundi 26 mars 2007 - 09h:19

Uri Avnery

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Uri Avnery - Gush Shalom

INCROYABLE ! Dans les livres scolaires palestiniens, il n’y a aucune trace de la ligne verte ! Ils ne reconnaissent pas l’existence de l’Israel même dans les frontières de 1967 ! Ils disent que « les gangs sionistes » ont volé le pays des Arabes ! C’est comme cela qu’ils empoisonnent l’esprit de leurs enfants !

Ces révélations éculées ont été éditées cette semaine en Israël et autour du monde. La conclusion est évidente en soi : l’autorité palestinienne, qui est responsable des livres scolaires, ne peut pas être un associé dans des négociations de paix.

Quel choc !

La vérité est qu’il n’y a là rien de neuf. Toutes les quelques années, quand tous autres arguments tombent pour refuser de discuter avec la direction palestinienne, le dernier argument jaillit à nouveau : les livres scolaires palestiniens demandent la destruction d’Israël !

Les munitions sont toujours fournies par une des institutions « professionnelles » qui traitent de cette question. Ce sont des fondations d’extrême-droite, déguisées en organismes « scientifiques » largement financés par des multimillionnaires Juif-Américains. Des équipes d’employés salariés passent an peigne fin chaque mot des médias et des livres scolaires arabes, avec un objectif pré-établi : démontrer qu’ils sont antisémites, qu’ils prêchent la haine d’Israël et veulent le massacre des juifs. Dans cette mer des mots, il n’est pas trop difficile de trouver des citations appropriées tout en ignorant tout le reste.

Tout est à nouveau parfaitement clair : les livres scolaires palestiniens prêchent la haine d’Israël. Ils fabriquent une nouvelle génération de terroristes ! Par conséquent, naturellement, il ne peut être question pour Israël et le monde de lâcher le blocus appliqué sur l’Autorité Palestinienne !

Bien, que dirions-nous de notre côté ? À quoi nos livres scolaires ressemblent-ils ?

La ligne verte apparaît-elle dans nos livres scolaires ? Reconnaissent-ils le droit des Palestiniens à établir un état de l’autre côté de nos frontières de 1967 ? Enseignent-ils l’amour pour les Palestiniens (ou même simplement l’existence des Palestiniens), ou le respect pour les Arabes en général ou une connaissance de l’Islam ?

La réponse à toutes ces questions est : absolument pas !

Récemment, le ministre de l’éducation Yuli Tamir a fait une déclaration ampoulée selon laquelle elle avait l’intention de faire mentionner la ligne verte dans les livres scolaires d’où elle a été effacée il y a presque 40 ans. La droite a réagi avec colère, et on n’en a plus entendu parler.

Du jardin d’enfants au dernier jour du lycée l’élève israélien n’apprend pas que les Arabes aient le moindre droit sur cette terre. Au contraire, il est clair que cette terre nous appartient à nous seuls, que Dieu nous l’a personnellement donnée, que nous en avons en effet été chassés par le Romains après la destruction de notre temple en l’année 70 (un mythe) mais que nous sommes revenus au début du mouvement sioniste. Depuis lors, les Arabes ont essayé à plusieurs reprises de nous annihiler, comme les Goyim l’ont fait à chaque génération. En 1936, les « bandes » (la formule israélienne officielle pour les combattants de la révolte arabe) nous ont attaqués et assassinés. Et ainsi de suite jusqu’au jour d’aujourd’hui.

Quand il s’extrait de son moulin pédagogique, l’élève Juif-Israélien « sait » que les Arabes sont des peuples primitifs avec une religion meurtrière et une pauvre culture. Il emporte cette vision des choses avec lui au moment où il (ou elle) rejoint l’armée quelques semaines plus tard. Là, cette vision est renforcée presque automatiquement. L’humiliation quotidienne des personnes âgées et des femmes - pour ne pas mentionner que ces deux catégories - aux checkpoints ne serait pas possible autrement.

La question est bien évidemment de savoir si les livres scolaires ont réellement autant d’influence sur les enfants.

Depuis la plus petite enfance, les enfants assimilent l’atmosphère de leur environnement. Les conversations à la maison, les images à la télévision, les événements dans la rue, les avis des camarades de classe à l’école - tout cela les influencent bien davantage que des textes dans des livres qui de toute façon sont interprétés par les professeurs qui eux-mêmes ont été soumis à des influences.

Un enfant arabe voit à la télévision une vieille femme pleurant la démolition de sa maison. Il voit sur les murs dans la rue des photos de martyrs morts en héros, les enfants de ses voisins qui ont donné leur vie pour leur peuple et leur pays. Il entend ce qui est arrivé à son cousin qui a été assassiné par des juifs méchants. Il apprend par son père qu’il ne peut pas acheter de la viande ou des oeufs, parce que les juifs ne lui permettent pas de travailler et d’amener ainsi la nourriture sur la table.

À la maison il n’y a pas d’eau pour la majeure partie du journée. La mère parle du grand-père et de la grand-mère qui ont langui pendant 60 années dans un misérable camp de réfugiés au Liban. Il sait que sa famille a été chassée de son village qui se trouve dans ce qui est devenu Israël et que des juifs y vivent maintenant. Le héros de sa classe est le garçon qui a bondi sur un tank israélien, ou qui a osé jeter une pierre depuis une distance de 10 mètres vers un soldat qui brandissait une arme dans sa direction.

Nous sommes allés par le passé dans un village palestinien afin d’aider les habitants à reconstruire une maison qui avait été démolie le jour précédent par l’armée israélienne. Tandis que les adultes travaillaient à terminer le toit, les enfants du village se sont réunis autour de Rachel, mon épouse, montrant un vif intérêt pour son appareil-photo. La conversation qui a démarré s’est déroulée comme ceci : D’où êtes-vous ? D’Amérique ? Non, d’ici. Êtes-vous messihiin (chrétiens) ? Non, Israéliens. Israéliens ? (Rire général.) les Israéliens sont comme ceci : Boum, boum, boum ! (Ils prennent des poses des soldats en position de tir.) Non, vraiment, d’où êtes-vous ? D’Israël, nous sommes des juifs. (Ils échangent des regards.) Pourquoi venez-vous ici ? Pour aider dans le travail. (Chuchotements et rires.) Un des garçons interpelle son père : cette femme dit qu’ils sont des juifs. C’est vrai, confirme le père embarrassé, ils sont juifs, mais de bons juifs. Les enfants reculent. Ils ne semblent pas convaincus.

Que peuvent changer à cela des livres scolaires ?

Et du côté juif israélien ? Depuis son plus jeune âge, l’enfant voit les images des attaques-suicide à la télévision, des corps volatilisés, des blessés emmenés dans des ambulances dans les hurlements de leurs sirènes. Il entend dire que les nazis ont abattu toute la famille de sa mère en Pologne, et dans sa conscience les nazis et les Arabes deviennent un. Dans les nouvelles quotidiennes il entend de mauvais propos au sujet de ce que les Arabes font, qu’ils veulent détruire l’état et nous jeter à la mer. Il apprend que les Arabes veulent tuer son frère, le soldat, sans aucune raison, juste parce que sont des meurtriers. Rien ne l’atteint au sujet de la vie dans les « territoires », situés peut-être juste à quelques kilomètres de distance. Jusqu’à ce qu’il soit à l’armée, les seuls Arabes qu’il rencontre sont les ouvriers arabes israéliens effectuant les travaux pénibles. Quand il rejoint l’armée, il ne les voit qu’à travers le viseur de son fusil, chacun d’eux étant un « terroriste potentiel ».

Pour qu’un changement dans des livres scolaires ait une quelconque valeur, c’est la réalité sur le terrain qui doit d’abord changer.

Est-ce que cela signifie que les livres scolaires n’ont pas d’importance ? Ils ne doivent pas être sous-estimés.

Je me rappelle avoir donné une conférence dans un des kibbutzim vers la fin des années 60. Après que j’aie eu expliqué la nécessité d’établir un état palestinien à côté de l’état israélien (une idée assez révolutionnaire à l’époque), un des kibbutzniks s’est levé et a demandé : « Je ne comprends pas ! Vous voulez que nous rendions tous les territoires que nous avons conquis. Les territoires sont quelque chose de réel, de la terre, de l’eau. Que devons-nous obtenir en retour ? Des mots abstraits comme la “paix” ? Qu’est-ce que cela nous ammènera en pratique ? »

J’ai alors répondu que du Maroc jusqu’à l’Irak, il y a des dizaines de milliers de salles de classe, et dans chacune d’entre elles est accrochée une carte. Sur toutes ces cartes, le territoire israélien est mentionné comme étant « la Palestine occupée » ou alors laissé en blanc. Tout de ce dont nous avons besoin, c’est que le nom d’Israël apparaisse sur ces milliers de cartes.

Quarante ans ont passé, et le nom « Israël » n’apparaît pas dans les livres scolaires palestiniens, ni, je suppose, sur n’importe quelle carte dans les écoles du Maroc à l’Irak. Et le nom « Palestine » n’apparaît, naturellement sur aucune carte dans une école israélienne. Seulement quand le jeune israélien rejoint l’armée, il voit une carte « des territoires », avec son puzzle dément entre zones A, B et C, colonies et routes d’Apartheid.

Une carte est une arme

Depuis mon enfance en Allemagne entre les deux guerres mondiales, je me souviens d’une carte accrochée sur le mur de ma salle de classe. Sur cette carte, l’Allemagne avait deux frontières. On voyait (en vert, si je me rappelle bien) la frontière existante, qui avait été imposée par le traité de Versailles après la première guerre mondiale. L’autre, marqué en rouge flamboyant, était la frontière d’avant la guerre. Dans les milliers de salles de classe en Allemagne (alors dirigée par la sociale-démocratie) les élèves ont eu chaque jour devant leurs yeux l’injustice terrible faite à l’Allemagne quand des morceaux d’elle-même « lui ont été arrachés » de chaque côté. Ainsi a été construite la génération qui a rempli les rangs de la machine de guerre nazie pour la deuxième guerre mondiale.

(Par ailleurs, environ cinquante ans, après j’ai fait une visite de courtoisie à cette école. J’ai interrogé le principal au sujet de cette carte. Dans les minutes qui ont suivi, elle a été extraite des archives.)

Non, je ne fais pas la promotion des cartes. Particulièrement pas des cartes dans les écoles.

Je répète ce que j’ai dit alors : le but doit être que l’enfant dans Ramallah ait devant ses yeux, sur le mur de sa salle de classe, une carte sur laquelle l’état israélien est mentionné. Et que l’enfant dans Rishon-le-Zion ait devant ses yeux, sur le mur de sa salle de classe, une carte sur laquelle l’état de Palestine est indiqué. Pas par la contrainte, mais suite à un accord.

Ceci est naturellement impossible tant qu’Israël n’aura aucune frontière. Comment quelqu’un peut-il dessiner un état sur une carte alors qu’il a consciemment refusé depuis le premier jour de définir ses propres frontières ? Pouvons-nous vraiment exiger que le ministère palestinien de l’éducation édite une carte sur laquelle tout territoire de la Palestine se trouve à l’intérieur d’Israël ?

Et d’autre part, comment quelqu’un pourrait-il écrire le nom « Palestine » alors qu’il n’y a aucun état palestinien ? Après tout, même la plupart de ces politiciens israéliens qui prétendent - au moins publiquement - soutenir la « solution à deux-états » se donneront beaucoup de peine pour éviter d’indiquer où la frontière entre les deux états devrait être placée. Tzipi Livni, la ministre des affaires étrangères, était totalement opposée à l’intention annoncée de sa collègue Yuli Tamir, ministre de l’éducation, de faire mentionner la ligne verte, de peur qu’on ne la considère comme une frontière.

La paix comprend une frontière. Une frontière fixée par accord. Sans frontière, il ne peut y avoir aucune paix. Et sans paix, c’est la pire des hypocrisies d’exiger quelque chose de l’autre bord, que nous refusons totalement de faire nous-mêmes.

24 mars 2007 - Gush-Shalom http://www.gush-shalom.org
Traduction : Claude Zurbach [Info-Palestine]

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- Face à la Mecque


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