Dans ces temps difficiles pour la poésie, Mahmud Darwich, l’homme qui a du mal à sourire, résiste. Le poète par excellence du Maroc à l’Irak, né en 1941 dans le village palestinien de Birwa, tout près d’ Acre, rayé de la carte par les milices juives il y a 7 ans, vit entre Ramallah (Cisjordanie) et Amman, récite dans les stades de Beyrouth ou voyage au Caire.
Pour rentrer chez lui il lui faut un permis du gouvernement hébreu. Il est rarement accordé. « Parfois je vais voir la terre de mon enfance. Le lieu de ma langue maternelle est ici », commente Darwich, qui reçoit « El Pais » à Ramallah pour la sortie de la nouvelle édition de ses « Poèmes choisis » (Pre-Textos), traduits par Luz Gomez Garcia.
Saisi par un vrai pessimisme, il n’aime pas l’évolution des pays musulmans, chaque jour plus ancrés dans la religion ; il déteste la politique des Etats-Unis et d’Israël dans la région et ne voit pas la moindre solution à l’éternel conflit. Il lui reste une seule lueur à laquelle s’accrocher. Son rêve : « Améliorer sa poésie. Ecrire de la poésie pure ».
Dans son bureau beau et soigné et à la fois modeste du Centre culturel Shakakini, Darwich explique que sa poésie n’est pas facile « Il faut connaître la mythologie du Moyen-Orient. Je n’aime pas écrire des poèmes univoques, ils doivent avoir de multiples interprétations ». Et en évolution constante, il aborde maintenant la cause palestinienne, dont il a été le grand porte-drapeau, d’une autre façon. « Je crois qu’il n’y a pas de rupture entre le passé et le présent, qu’on peut trouver les mêmes motivations tout au long de mon ?uvre. Mais maintenant je soigne plus l’esthétique, et pas seulement le reflet de la réalité. Je veux humaniser notre cause. Les palestiniens sont des êtres humains qui rient, vivent, et ont même une mort normale. Ils ne meurent pas toujours assassinés. »
Quand on lui dit qu’il y a des gens qui n’apprécient pas son ?uvre, il répond : « Oui, mais il y en a qui préfère la poésie que j’écris maintenant. Je rougis de le dire, mais je suis le poète le plus connu du monde arabe, j’ai de nouveaux lecteurs, beaucoup sont très jeunes, et achètent mes livres. J’appartiens encore au futur, qui est dans les jeunes générations ».
Aussi, les tendances actuelles, selon lui, sont un terrain fertile pour la création poétique. « Les nouvelles technologies et médias ont pris le pas sur la poésie. Elle n’a plus la place qu’elle avait autrefois dans le monde. Ce n’est pas une crise exclusive au monde arabe, c’est sur toute la planète. Il n’y a plus de lecteurs de Lorca ou d’Alberti ».
On aura beau lui imposer les tendances modernes et malgré les nombreuses critiques qu’il reçoit de ses compatriotes, il ne renoncera pas. C’était son rêve. « Pour écrire de la poésie pure, il faut se libérer de la pression de l’Histoire, même si je sais que ce n’est pas possible. Je veux que ma poésie se rapproche de la musique, quelque chose que tout le monde peut comprendre. Et que mon pays soit libre. Après je pourrais dire de bonnes choses sur Israël. Ensuite je pourrai choisir l’exil, si je veux. Je souhaite que mon pays ait une vie normale. Je ne veux ni héros, ni victimes ».
La poésie, comme les territoires palestiniens, subit un siège. Le centre culturel que dirige le poète a été pris d’assaut en 2002 : « Les soldats israéliens ont détruit une partie des archives. Je n’ai pas tout perdu. C’était juste une sanction parce que j’avais reçu une délégation d’écrivains, parmi lesquels José Saramago, Wole Soyinka et Juan Goytisolo », explique t-il. A cette époque j’étais entrain d’écrire « Etat de siège ». Je l’ai écrit avec les chars en bas de chez moi. Ca a été une grande thérapie pour l’âme. La poésie te fait te sentir libre, te mène ailleurs. Peut-être est-ce une illusion, mais elle est essentielle », indique Darwich.
Depuis son enfance, il a connu des traumatismes : le dépouillement, la prison, l’exil. Sa famille a été expulsée de Galilée en 1948. Puis le retour clandestin alors qu’il avait un an. L’activisme politique de gauche l’a mené en prison. Au début des années 70 il commença son pèlerinage. Il marcha jusqu’à Moscou, puis jusqu’au Caire, ensuite au Liban. Et de nouveau, en 1982, pendant le siège israélien, à Beyrouth. « L’exil fait partie de moi. Quand je vis en exil j’amène ma terre avec moi. Quand je vis sur ma terre, je sens l’exil avec moi. L’occupation est exil. L’absence de justice est exil. Attendre des heures à un check point est exil. Savoir que le futur ne sera pas meilleur que le présent est exil. L’avenir est toujours pire pour nous. C’est l’exil.
L’arrogance est l’ennemie de l’intelligence
Il s’est mis une carapace qui lui a permis, depuis des années, de dominer ses sentiments. Mais, comme le thé brûlant qu’on sert en Palestine, il y a encore beaucoup de feu en lui, bien qu’exprimé sans exagération.
Question : Dans votre poème « Contrepoint » dédié à Edward Saïd, vous écrivez : « Ne vous fiez ni au cheval, ni à la modernité ».
Réponse : Je fais allusion aux Indiens d’Amérique. Les blancs représentent la modernité dans ce cheval. On peut l’appliquer à ce qui se passe aujourd’hui au Proche-Orient. Le char est ici ce cheval.
Q : Les pays arabes prennent de la distance avec la modernité. Le phénomène religieux ne cesse de s’amplifier.
R : Les peuples sont beaucoup plus croyants qu’il y a 40 ans, à cause de la dépression et du conflit entre les extrémismes israélien et musulman. Que fait Israël dans les fermes libanaises de Cheba ? Offrir uniquement une justification politique au Hezbollah ? Quel est le résultat de l’invasion de l’Irak ? Donner de la force à ces mouvements. Personne dans le monde arabe ne croit à la politique américaine. La religion est la réponse simple à des questions complexes.
Q : Peut-on enrayer cette islamisation ?
R : Oui, s’il y avait stabilité, justice, dignité et démocratie. S’il y a espoir et travail, les gens seraient plus modérés. Les Etats-Unis doivent se retirer d’Irak et arrêter de promettre la démocratie avec les chars. Israël doit comprendre qu’on ne peut pas avoir le monopole de la terre et le monopole de l’histoire dans ce pays. Un dirigeant israélien a dit qu’ils feraient subir un holocauste aux palestiniens. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils utilisent ce terme en parlant de nous. Ils sont entrain de devenir fous. Ils ont perdu l’intelligence parce que l’arrogance est l’ennemie de l’intelligence.
Q : Quelle est la meilleure façon de lutter contre l’occupation ?
R : C’est une prison. Notre vie n’est pas une vie, mais c’est mieux que la mort. C’est très triste de vivre sous occupation. La première Intifada (celle des pierres contre les chars) est une référence. Elle a provoqué un changement dans la communauté juive mondiale et l’opinion publique de la planète a mieux compris le peuple palestinien. Je ne pense pas que nous reviendrons sur cette voie. Je ne vois pas de solution. Le processus de paix a échoué. Militairement, nous sommes impuissants. Le présent est très fragile. Personne n’entrevoit d’avenir. Seul le passé est fort. Il n’y a pas de lumière au bout du tunnel, tout est noir. L’actuel processus de paix n’aboutit à rien : Israël rend la paix impossible.
Propos recueillis par Juan Miguel Muñoz
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11 mars 2008 - El Païs - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction de l’espagnol : C.B