16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Les colons ciblent les « villes mixtes » d’Israël

mercredi 7 juillet 2010 - 05h:24

Mya Guarnieri

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Des colons juifs prenant d’assaut le jardin d’une femme palestinienne âgée, on peut s’y attendre à Hébron, mais pas à Tel-Aviv, la ville cosmopolite. Pourtant c’est exactement ce qui est arrivé à Zeinab Rachayel, une habitante arabe de Yafo, la banlieue mixte de Tel-Aviv.

JPEG - 72.7 ko
Jaffa, appelée aujourd’hui Yafo par les Israéliens, était autrefois le centre culturel et économique de la Palestine.
[GETTY]




Rachayel était dans sa cour, ce dimanche après-midi, quand plusieurs bus pleins de colons de Cisjordanie sont arrivés, et se sont garés à côté. Armés de drapeaux israéliens, de jeunes hommes se sont massés sur le trottoir à l’extérieur en chantant « C’est notre terre ». Un par un, ils sont entrés dans son jardin, jusqu’à ce que Rachayel se retrouve face à des dizaines de jeunes colons âgés de vingt ans au plus.

Rachayel raconte : « Un autre est entré et il m’a dit, "Écoutez, vous ne restez pas ici. Yafo est juste pour les juifs. Sortez de Yafo" ». Ils ont continué à la menacer et l’intimider, répétant que la présence arabe dans Yafo est seulement provisoire.

Un centre culturel

Yafo était autrefois Jaffa, le centre culturel et économique de la Palestine. Ravagée pendant la guerre israélo-arabe de 1948, conflit qui a entouré la création de l’Etat juif, Jaffa a vu le nombre de ses habitants dégringoler, ceux-ci s’enfuyant ou étant expulsés de leurs maisons.

Des immigrants juifs ont rapidement pris leurs places, et en 1950, la municipalité de Tel-Aviv a avalé Jaffa, la rebaptisant Yafo.

Aujourd’hui, plus de 60 ans plus tard, les forces combinées des colons et de l’embourgeoisement de la ville font que la communauté palestinienne de la région se retrouve à nouveau face à une menace existentielle.

Ce dimanche après-midi, un des fils de Rachayel est arrivé. Il a utilisé sa ceinture, agitant la boucle, pour chasser les colons du jardin. Finalement, la police est arrivée, mais aucune arrestation n’a été faite.

Rachayel demande : « Si cela était arrivé à une famille juive, à l’inverse, qu’auraient-ils fait ? »

Elle souligne que, dans Yafo, comme dans d’autres secteurs mixtes d’Israël, les juifs et les Arabes ont longtemps profité de relations étroites. Rachayel a grandi à côté d’une famille juive et se rappelle comment les enfants étaient comme des frères et des soeurs pour elle.

Mais, dit-elle, les liens se sont distendus pendant la première Intifada. Et maintenant, avec les colons qui arrivent progressivement à Yafo, Rachayel sent que l’ambiance s’assombrit de nouveau. « C’est triste,  » me dit-elle.

Aller de l’avant

Sami Abu Shehadeh, le chef du Comité populaire de Yafo contre les démolitions de maisons, estime qu’environ 50 familles de colons se sont dispersées dans Yafo.

Ils ont commencé à emménager dans les villes mixtes à la suite du retrait d’Israël de la bande de Gaza en 2005, pour se faire bien connaître par les Israéliens juifs et recueillir un soutien dominant.

C’est aussi une tentative pour leur permettre de rester sur la scène politique, selon Abu Shehadeh.

« Si n’importe quel Premier ministre israélien avait le cran de faire sortir un colon de Cisjordanie, ils mettraient le feu à Israël de l’intérieur. Cela ne veut pas dire qu’ils vont aller manifester dans les colonies. Maintenant ils sont ici, au coeur. »

Écrivant dans Haaretz, le journaliste de droite Nadav Shragai disait qu’il considérait les colonies à l’intérieur des villes mixtes comme un front dans ce qui est appelée la guerre démographique entre les Arabes et les juifs.

« Israël, en tant qu’Etat des juifs, perd son emprise sur ces villes, » écrivait-il, ajoutant, «  les colons de Judée et Samarie ont envoyé les meilleurs d’entre eux et leurs meilleurs rabbins [à Yafo], Acre, Lod et Ramle ».

Chasser les Arabes

JPEG - 23.1 ko
La ville et ses alentours ont été dévastés pendant la guerre israélo-arabe de 1948.
[GETTY]

Bemuna, une entreprise de construction dont le nom signifie « dans la foi », aspire à faire venir 20 autres familles à Ajami, un secteur majoritairement palestinien considéré comme le coeur de la fragile communauté arabe de Yafo. Bemuna a planifié la construction d’un ensemble d’appartements qui seront exclusivement pour les juifs religieux nationalistes.

« Ils ont commencé à Jérusalem-Est, » selon Abu Shehadeh. « Après ils ont fait un grand projet à Lod. Puis ils sont allés à Akko. Maintenant, ils viennent à Yafo ».

Bemuna prétend que le projet a pour objectif le renforcement de la communauté juive. Mais les critiques font remarquer que plutôt que de construire dans l’un des secteurs juifs défavorisés de Yafo, Bemuna préfèrer acheter des terres là où très peu de juifs vivent. Selon les critiques, le projet de construire à Ajami est, au mieux, une provocation ; au pire, une tentative de pousser les Arabes hors du secteur.

Abu Shehadeh et d’autres membres de la direction locale sont inquiets de la nature fermée de ce développement. « Nous avons considéré cela comme du racisme, donc nous sommes allés devant les tribunaux. »

Le juge du district de Tel-Aviv, Yehuda Zaft, a débouté les plaignants qui contestaient la sélection discriminatoire des habitants dans le cadre du projet, plainte qui a été déposée par plus d’une douzaine d’organisations, y compris l’Association pour les Droits civique en Israël (ACRI). Le groupe a fait appel de la décision et le 21 juin, l’affaire viendra devant la Cour suprême israélienne.

Créer une réalité nouvelle

Mais quelle que soit la décision de la Cour suprême, Yafo restera en proie à ses problèmes.

Les habitants sont profondément préoccupés par l’ouverture récente d’une yeshiva, une institution juive pour les études religieuses. Comme beaucoup l’ont constaté en Cisjordanie, la yeshiva est un lieu de formation idéologique pour les religieux nationalistes qui veulent rejoindre l’armée. Et celle de Yafo est dirigée par le rabbin Eliyahi Mali, qui arrive de la colonie de Bet El (au nord et en limite de Ramallah).

Intervenant sur la Chaîne 7 israélienne, le rabbin Mali a dit considérer son travail à Yafo comme « la plus importante des missions », ajoutant que si les colonies en Cisjordanie « envoyaient un dixième de leurs résidents vers les grandes villes... ce dixième de colons, imprégnés de leur foi, implanteraient une communauté, une yeshiva, et un centre au milieu de la population juive, ce qui créerait une réalité différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. »

Selon Abu Shehadeh : « Dans leur vision, ce quartier (palestinien) n’existera plus dans dix ans. »

Ce sentiment est partagé par les habitants arabes : la yeshiva est signe d’une prise de pouvoir, d’une tentative de transformer Yafo en une colonie de Cisjordanie.

Les habitants palestiniens disent avoir été harcelés verbalement par des élèves de la yeshiva. Depuis, ils évitent l’immeuble et sa rue, de crainte de nouvelles altercations.

Pour Ihlas Yatten, habitant palestinien de Yafo, la yeshiva et les colons sont « dangereux ». « Que viennent-ils faire ici ? » demande-t-elle.

« Je ne sais pas pourquoi l’Etat le leur permet. Ils ne peuvent pas leur interdire d’entrer ici ? Quoi, est-ce qu’ils ont laissé entrer (les Arabes) à Bnei Brak ? » ajoute-t-elle en parlant de la ville juive orthodoxe proche de Tel Aviv.

Aux plus forts enchérisseurs

JPEG - 24.7 ko
La banlieue est un site de premier choix pour l’immobilier où le terrain se vend aux plus offrants.
[Mya Guarnieri]

Ses propos pointent le rôle de l’embourgeoisement dans les problèmes de Yafo.

L’Autorité de la Terre d’Israël, sous contrôle du gouvernement, vend au plus offrant. Dans le cas de la parcelle des 20 logements de colons, ce fut Bemuna. C’est l’argent qui décide qui peut acheter et où.

Les habitants palestiniens de Yafo font remarquer que pour la plupart, dans leur communauté, ils sont pauvres. Et Ajami est le maillon le plus faible. Perché sur le haut d’une colline, près de la mer, Ajami est aussi un site de premier choix pour l’immobilier.

Yehudit Ilani, résident israélien juif d’Ajami et défenseur des droits à la terre et au logement pour les Palestiniens, explique que le gouvernement israélien a des règles strictes pour les habitations à Yafo.

Si une famille qui grandit ajoute une pièce à sa maison ou si elle ne laisse pas l’extérieur de l’habitation conforme aux normes de l’Etat, elle s’expose à des amendes astronomiques, à l’expulsion et à la démolition.

Une fois la maison vidée ou détruite, l’Autorité de la Terre peut vendre la parcelle.

«  Il y a 498 cas devant les tribunaux pour l’expulsion d’habitants de leurs maisons, » explique Ilani. Tous, sauf un, concernent des familles arabes. La seule famille juive confrontée à une expulsion est une famille Mizrahi (juif arabe) désargentée.

Ilani dit qu’il existe d’autres habitants à risquer aussi l’expulsion, car l’Autorité de la Terre aimerait profiter d’un marché juteux. Ces familles seraient indemnisées, explique-t-elle, « mais pas suffisamment pour racheter sur le marché ».

Ilani souligne que, comme la communauté palestinienne est « en train d’être mise à l’écart », l’Etat pourrait faire le choix de ne pas vendre les propriétés. « Il se cache derrière le marché, et nie se baser sur un principe nationaliste », dit-elle. « L’embourgeoisement est utilisé comme méthode de nettoyage ethnique, effectivement. »

De la mixité à la ségrégation

Ilani dit que les Israéliens juifs qui décident de vivre à Yafo ne sont pas le problème. C’est la politique de l’Etat qui « entre dans un projet beaucoup plus vaste » qui menace la région.

Cela entraîne des implications dangereuses pour l’Etat, dit Ilani. « La société est basée complètement sur la ségrégation. Il n’y a que dans les villes mixtes que l’on trouve une certaine forme d’échanges, de dialogue, de connaissance de l’autre. Les villes mixtes pourraient être le cadre d’une façon de vivre ensemble. »

Mais l’embourgeoisement et les colons sont en train de ruiner cet espoir, petit à petit.

Esther Saba est palestinienne et habite Yafo, elle a été confrontée à une démolition pour avoir ajouté une structure à sa maison sans autorisation. Elle souligne que lorsque les bulldozers sont arrivés, des militants israéliens juifs ont joué un rôle essentiel dans le sauvetage de sa maison, en se mettant devant et en montant sur le toit pour la garder.

« Il n’y a aucun problème avec les juifs ordinaires, » dit Saba. « Nous avons de très bons rapports ».

Mais la présence croissante de colons est préoccupante, dit Saba. « Ils ne veulent pas (d’Arabes) ici, à Yafo. »

Ni Bemuna, ni la yeshiva de Yafo n’ont voulu répondre à nos multiples sollicitations pour recueillir leurs commentaires.



* Mya Guarnari est journaliste indépendante, basée à Tel Aviv. Elle écrit régulièrement pour The Huffington Post et le Jerusalem Post. Ses articles sont publiés en anglais notamment sur Al Jazeera, The National (Abu Dhabi), Ha’aretz, Electronic Intifada, The Jewish Daily Forward, Maan News Agency, Mondoweiss... Elle possède une maîtrise des Beaux-Arts de l’université d’Etat de Floride.

Elle peut être contactée par courriel : myaguarnieri@gmail.com
Son site : Mya Guarnieri


Du même auteur :

- Le blocus israélien étrangle l’agriculture de Gaza

21 juin 2010 - Al Jazeera - traduction : Cha’am/JPP


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.