16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

La nuit tombe sur le Moyen-Orient

mardi 27 novembre 2007 - 17h:33

Robert Fisk - The Independent

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Ainsi où allons-nous à partir de cet instant ? Je parle dans l’obscurité parce qu’il n’y a aucune électricité à Beyrouth. Et chacun, naturellement, a peur. Un président était censé être élu aujourd’hui. Il n’a pas été élu. La corniche devant ma maison est vide. Personne ne veut circuler près de la mer.

JPEG - 13.2 ko
Robert Fisk pendant un cours donné à l’université Carleton au Canada en 2004.

Quand je suis allé chercher mon habituel fromage « manouche » pour le petit-déjeuner il n’y avait aucun autre consommateur dans le café. Nous avons tous peur. Mon chauffeur, Abed, qui a fidèlement voyagé avec moi à travers toutes les zones de guerre du Liban, craint de conduire la nuit. J’étais censé aller à Rome hier. Je lui ai épargné le voyage jusqu’à l’aéroport.

Il est difficile de décrire ce que l’on éprouve dans un pays qui repose sur un plat en verre. Il est impossible de savoir avec certitude si le verre se brisera. Quand une constitution s’effondre - car elle a commencé à s’effondrer au Liban - vous ne savez jamais quand le verre finira par céder.

Les gens sont en train de quitter leurs maisons, comme ils ont quitté leurs maisons à Bagdad. Je peux ne pas éprouver de crainte car je suis un étranger. Mais les Libanais ont peur. Je n’étais pas au Liban en 1975 lorsque la guerre civile a commencé mais j’étais au Liban en 1976 quand elle était en cours. Je vois beaucoup de jeunes Libanais qui veulent construire leurs vies dans ce pays mais qui ont peur, et ils ont raison d’avoir peur.

Que pouvons-nous faire ?

La semaine dernière, j’ai déjeuné chez Giovanni, un des meilleurs restaurants de Beyrouth, et j’avais invité mon ami Sherif Samaha qui est propriétaire de l’hôtel Mayflower. Au cours des 31 dernières années j’ai envoyé plusieurs de mes visiteurs au Mayflower. Mais Sherif était contrarié parce que j’avais laissé entendre qu’il y avait parmi ses clients des miliciens travaillant pour Saad Hariri, le fils de l’ancien premier ministre, assassiné - si vous en croyez la majorité des Libanais - par les Syriens le 14 février 2005.

Pauvre Shérif. Il n’a jamais eu de miliciens dans son hôtel. Ils étaient dans un bâtiment voisin. Mais Sherif est tellement Libanais qu’il a quand même offert de m’emmener dans sa voiture pour aller déjeuner. Il a raison d’être soucieux.

Une amie à moi, mariée à un médecin de l’hôpital universitaire américain, m’a appelé deux jours plus tôt. « Robert, vient voir le bâtiment qu’ils construisent à côté de chez nous, » m’a-t-elle dit. J’ai emmené Abed et nous sommes allés voir ce bâtiment si inquiétant. Il n’a presque aucune fenêtre. [...] C’est comme une prison appartenant à une milice. Et je suis sûr que c’est ce que l’on suppose. Ce soir je m’assieds sur mon balcon au moment d’une coupure d’électricité, alors que je dicte ce paragraphe. Et il n’y a personne dans la rue. Puisqu’ils ont tous peur.

Alors que peut bien écrire un correspondant au Moyen-Orient le samedi matin si ce n’est que le Moyen-Orient s’assombrit d’heure en heure. Le Pakistan. L’Afghanistan. L’Irak. La « Palestine ». Le Liban. Des frontières de l’Hindu-Kuch [frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan] à la méditerranéen, nous - les occidentaux - produisons (comme je l’ai déjà expliqué) un désastre infernal. La semaine prochaine, nous sommes censés croire à la paix à Annapolis, entre le pâle apparatchik américain et Ehud Olmert, le premier ministre israélien qui n’éprouve pas plus d’intérêt à voir naître un état palestinien que son prédécesseur Ariel Sharon.

Et quels désastres infernaux créons-nous ? Laissez-moi citer la lettre d’une lectrice de Bristol. Elle me demande de citer un professeur de l’université de Bagdad, un homme respecté dans sa communauté, qui raconte une histoire tirée d’un réel enfer ; vous devriez la lire. Voici ses propres termes :

« Les ?chevaliers d’A’adhamiya’ sont une nouvelle force qui a commencé son travail avec les Américains pour les conduire jusqu’aux militants des organisations Al-Qa’ida, Tawheed et Jihad. Cette force de 300 hommes armés lancent ses incursions très tôt à l’aube, portant des uniformes noirs et des masques noirs pour cacher leurs visages. Leurs descentes ont commencé il y a trois jours, entraînant l’arrestation d’environ 150 citoyens d’A’adhamiya. [...] Ces actes ont eu comme conséquence de violentes réactions de la part d’Al-Qa’ida. Ses militants, les militants de Tawheed et du Jihad ont collé des affiches sur les murs des mosquées, particulièrement sur la mosquée d’Imam Abu Hanifa, menaçant de mort le Parti Islamique, les groupes révolutionnaires d’Al-Ishreen et l’organisation sunnite Diwan parce que ces trois groupes ont participé à la création des ?Chevaliers d’A’adhamiya’. Quelques crimes ont déjà eu lieu, visant deux dirigeants du Diwan et un dirigeant du Parti Islamique. »

« Des militants d’Al-Qa’ida sont postés dans les rues, arrêtant les gens et leur demandant leur identité... Ils ont avec eux des listes de noms. N’importe qui dont le nom est sur ces listes est alors enlevé et emmené vers une destination inconnue. Onze personnes ont été enlevées jusqu’à maintenant dans la rue Omar Bin Abdul Aziz. »

L’auteur transmet le récit d’une amie professeur a été enlevée et conduite dans une prison. « Ils m’ont aidée à m’asseoir sur une chaise (j’avais les yeux bandés) puis quelqu’un est venu et m’a pris la main en disant, « nous sommes Muhajeen, nous vous connaissons mais nous ne savons pas d’où vous venez. » Ils n’ont pas pris mon portefeuille ni ne m’ont fouillée. Ils m’ont seulement demandé si j’avais un pistolet. Une heure ou un peu plus tard, l’un d’entre eux est venu me demander de les accompagner. Ils m’ont conduite à ma voiture qui était dans la rue et ne dirent rien de plus. »

Ainsi qui sont ces ?Chevaliers d’A’adhamiya’ ? Qui les paye ? Que faisons-nous au Moyen-Orient ?

Et comment pouvons-nous même prétendre à une stature morale au Moyen-Orient alors que nous refusons toujours de reconnaître le fait - réitéré par Winston Churchill, Lloyd George, et les détails donnés par les diplomates américains lors la première guerre mondiale - qu’un génocide des Arméniens s’est produit en 1915 ?

Voici la position officielle du gouvernement britannique sur le massacre de 1,5 million d’Arméniens en 1915. « Officiellement, le gouvernement reconnaît la force de l’émotion [note, lecteur, « la force de l’émotion »] au sujet de ce qu’il décrit comme un épisode terrible de l’histoire, et il reconnaît comme tragédie les massacres de 1915 et 1916. Cependant, ni le gouvernement actuel ni les gouvernements britanniques précédents n’ont jugé que l’évidence était suffisamment forte pour être persuadés que ces événements devraient être classés dans la catégorie des génocides telle qu’elle est définie par la Convention de 1948 des Nations Unies sur le Génocide. »

Alors que nous sommes encore incapables de dire le droit pour la première guerre mondiale, comment au nom de Dieu pourrions-nous justifier une troisième guerre mondiale ?


Du même auteur :

- Les empreintes de l’histoire
- Bienvenue la « Palestine »
- Blair, un politicien qui a échoué dans tout ce qu’il a entrepris au Moyen-Orient
- Vanunu : l’homme qui en savait trop

24 novembre 2007 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://news.independent.co.uk/fisk/...
[Traduction : APR - Info-Palestine.net]


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.