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Mourir devant la frontière : Israël serre la vis à Gaza

mardi 30 octobre 2007 - 06h:10

Alain Campiotti - Le Temps

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L’armée israélienne a commencé à fermer le robinet du pétrole et de l’électricité. Ehoud Olmert veut épargner les hôpitaux : ils sont déjà touchés.

Ehoud Barak avait donné son feu vert jeudi. La punition a commencé dimanche. L’armée israélienne, obéissant à son ministre, a fermé un peu le robinet du carburant qui entre à Gaza. L’électricité se fera plus rare dans la foulée : la ville a déjà connu hier une demi-journée sans courant. Ce resserrement du n ?ud coulant énergétique autour du territoire n’ira pas jusqu’à la crise humanitaire, a promis Ehoud Olmert lors de sa dernière rencontre avec Mahmoud Abbas. Les besoins des hôpitaux seront satisfaits, a ajouté le premier ministre. Le problème, c’est que les hôpitaux sont déjà en crise : les produits anesthésiants, par exemple, sont retenus à la frontière. Et les patients qui doivent être opérés en urgence ne sont pas sûrs de pouvoir sortir de Gaza. Il arrive même qu’ils meurent faute de soins, à Erez, l’unique point de sortie de ce bout de terre qu’Israël a déclaré « entité ennemie » depuis que le Hamas en a pris le contrôle par la force. Or les patients qui parviennent à aller se faire soigner au dehors sont à peu près les seuls Palestiniens qui sortent encore de la nasse.

En haut de la rue Nasser, près de la vieille ville, un toit de bâche couvrait vendredi l’impasse à côté de la maison Shuhaiber. Tout le quartier était là, pour manger du riz et du b ?uf, sur des chaises en plastique. C’était un repas mortuaire. Les portraits du défunt étaient exposés dans l’échoppe d’angle. Nemer Mohammed Shuhaiber jeune, septuagénaire, entouré de Cheikh Yassin et d’Abdel Aziz Rantisi, les deux chefs assassinés du Hamas.

Nemer Shuhaiber était le mukhtar de cette partie de la ville, autrement dit le parrain ou le juge de paix, en tout cas le chef du puissant clan Shuhaiber. L’histoire de sa mort s’est répandue dans la région comme une légende, avec les altérations que provoquent les tensions palestiniennes. Le c ?ur, un ulcère, le diabète ? Le lieu du décès est lui-même en dispute. Mais tout le monde sait ce qui est arrivé la semaine dernière. Et Mustafa Shuhaiber, le neveu, organisateur du repas mortuaire, donne la version officielle : « Mon oncle, à 75 ans, était un roc. Un c ?ur solide. Mais il a eu un problème, et les Israéliens l’ont tué. »

Le problème, c’était du sang dans l’estomac. La famille a conduit le malade à l’Hôpital Shifa, au bas de la rue Nasser. Khaled Khadoura, l’infirmier qui l’a reçu, raconte ce qui s’est passé : « Il fallait opérer le mukhtar, mais le Shifa n’est plus équipé pour ça. Des contacts ont été pris avec un hôpital d’Ashkelon, en Israël. Le transport après la sortie du territoire a été organisé. »

L’ambulance est partie pour Erez lundi. Mustafa Shuhaiber dit que le véhicule n’a pas pu aller jusqu’au point de passage : « Les gardes ont tiré un coup de feu. » Erez n’est qu’à un quart d’heure de la ville. L’ambulance est revenue à l’aube, le mardi. Après six heures de fouille et de vérification, les agents du Shin Bet ont refusé l’entrée en Israël. Il y a un dernier désaccord entre ceux qui disent que Nemer est rentré chez lui pour mourir, et ceux qui assurent qu’il est mort à Erez, dans l’ambulance que les gardes retenaient. Selon l’organisation israélienne Médecins pour les droits de l’homme, au moins cinq Palestiniens sont décédés depuis juin après que le passage leur a été refusé à Erez.

Avant le coup de force du Hamas, et le bouclage total du territoire, 700 Palestiniens quittaient chaque mois Gaza pour aller se faire opérer en Israël, en Cisjordanie ou dans un Etat arabe voisin. Le nombre a été diminué par trois. Ce sont les chiffres de l’OMS, que les Israéliens contestent. Lundi, au moment de la première tentative des Shuhaiber, Mahmoud Abu Taha, qui avait perdu un tiers de son poids après l’ablation d’une tumeur dans l’intestin, s’est aussi présenté à Erez muni d’une autorisation. Après trois heures d’attente, il a été refoulé, et son père arrêté : soupçon d’activités terroristes, a expliqué le Shin Bet.

Il y a une recette pour passer la frontière sans problème : accepter de collaborer. Dans une douzaine de cas, dont six témoignages recueillis par Ma’ariv, quotidien israélien, des patients palestiniens ont eu ce marché en main : ils pourraient aller se faire soigner en Israël s’ils acceptaient de devenir informateurs. A Yasser Hiyya, le Shin Bet a demandé des informations sur son frère, cadre du Fatah, qu’Israël a tenté par deux fois d’éliminer. Il a refusé. Comme le journaliste Bassam Wahedi, qui avait besoin d’une opération pour continuer à voir. « Sauvez mes yeux pour informer Israël ? Ce serait une affreuse trahison », a-t-il dit ensuite. Ces histoires courent à Gaza. Et une sourde rumeur : ceux qui ont obtenu de sortir, qu’ont-ils promis en échange ?


Le salaire des Qassam

Un Qassam, quinze minutes d’électricité. C’est le tarif annoncé à Jérusalem. Chaque fois qu’un missile de fortune sera tiré vers le territoire israélien, le courant à Gaza sera coupé pendant un quart d’heure. Comme mille Qassam ont été tirés depuis juin, la facture, si ça continue, sera salée. Gaza reçoit plus de la moitié de son jus d’Israël, et la presque totalité de son pétrole, dont une partie sert à faire tourner les centrales. Cette augmentation de la pression arrive alors que le million et demi de Palestiniens du territoire vivent déjà dans des conditions aux limites du supportable. L’ONU affirme que ces limites sont déjà franchies. Les agences des Nations unies sont très impliquées à Gaza et gèrent tant bien que mal sa survie, fournissant de la nourriture à 75% de la population.

Punitions collectives

Ban Ki-moon, le secrétaire général, vient de demander à Israël de ne pas mettre en ?uvre, dans le territoire déjà réduit à un régime maigre, des pressions qui seraient des punitions collectives. Les Palestiniens, dans leur cage, ont depuis un certain temps le sentiment qu’ils sont collectivement punis.



Du même auteur :

- La diplomatie suisse s’aventure dans Gaza aux mains du Hamas
- La grande cassure des chrétiens libanais
- « Pour la paix, nous les Palestiniens avons fait notre partie du chemin »

Alain Campiotti, envoyé spécial à Gaza - Le Temps, le 29 octobre 2007


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