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Réseaux de la communauté palestinienne d’Europe et impact des nouvelles technologies (1/2)

mercredi 3 octobre 2007 - 15h:02

Sari Hanafi - Hommes et Migrations

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À partir du cas particulier du réseau Palesta, qui relie experts et scientifiques expatriés à la Palestine, Sari Hanafi analyse les relations entre réseaux et nouveaux médias. Il décrit comment un pays en voie de développement peut tirer parti de ses experts émigrés, grâce à une politique de mobilisation à distance et de mise en lien avec des programmes scientifiques, technologiques et culturels développés au pays.


Traditionnellement, on considère que la dispersion d’un peuple à la suite d’une émigration forcée contribue à la création de réseaux transnationaux. Dans cette perspective, tout processus de paix devrait conduire au rétablissement de liens économiques locaux et internationaux après une longue période de conflit.

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Sari Hanafi

L’étude des réseaux diasporiques des communautés palestiniennes met en évidence plusieurs formes de mise en réseau ainsi que des degrés variables d’institutionnalisation : réseaux familiaux gérés par des conseils de famille, réseaux de “village”, très importants aux États-Unis, réseaux nationalistes religieux généralement fondés sur l’appartenance à diverses organisations populaires liées à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ou au Hamas. Cependant, il existe en Europe et en Amérique du Nord des réseaux supranationaux très actifs, fondés sur l’arabité ou l’appartenance religieuse et rassemblant des groupes arabes d’origines nationales diverses.

J’ai montré dans un travail précédent que la valeur de l’analyse de réseau repose sur sa capacité à englober les réseaux formels et informels tout en maintenant une distinction entre l’appartenance institutionnelle et l’appartenance au réseau [1]. Être membre d’une institution comme l’Union générale des étudiants palestiniens en France n’implique pas automatiquement, entre les membres, l’existence de liens informels en dehors des réunions politiques. En fait, dans de nombreux pays occidentaux, les épicentres des mobilisations nationales et nationalistes se situent généralement au niveau des réseaux infra ou supranationaux tels que les “clubs de village” - les clubs de Bethleem et de Birzeit par exemple - ou bien au niveau des réseaux liés aux mosquées. S’il est vrai qu’Internet constitue un nouvel environnement reposant sur de la réalité virtuelle, mes recherches montrent qu’il a un impact important sur l’activation de ces réseaux. Je souhaite dans cet article étudier les relations entre mise en réseau et nouveaux médias à partir du cas particulier d’un réseau Internet nommé Palesta (Palestinian scientists and technologists abroad) mettant en lien des professionnels palestiniens et la Palestine.

Au cours des trois dernières décennies, l’ampleur de la migration scientifique et, plus largement, professionnelle, n’a fait que croître. Dans le cas palestinien, il faut analyser ce flux dans la perspective de l’exode massif qui a suivi la création de l’État d’Israël en 1948. Il n’existe aucune statistique fiable de cette migration professionnelle. Cependant, les recherches que j’ai menées entre 1996 et 1999 révèlent d’importantes concentrations dans les pays du Golfe, aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. De nouvelles communautés de professionnels sont apparues récemment. C’est le cas à Lille, où environ quarante-cinq Palestiniens, surtout des scientifiques et des ingénieurs, se sont installés au cours de la dernière décennie, après leurs études à Lille.

Seule possibilité, le retour temporaire

La difficulté pour trouver un mécanisme assurant le retour physique des réfugiés palestiniens semble de plus en plus atténuée par l’augmentation des communautés virtuelles. La crise du lien social avec la Palestine, qui a commencé avec l’installation de l’Autorité palestinienne et, parallèlement, l’impossibilité paradoxale d’y retourner, rend urgente la création de projets de lien dans le cyberespace. C’est dans ce contexte que fut établi en 1997 le réseau Palesta, afin de “tirer avantage des connaissances scientifiques et technologiques des professionnels expatriés au bénéfice du développement de la Palestine”. Il fonctionne autant comme un groupe de discussion que comme une banque de données sur la migration qualifiée des Palestiniens. S’il vise officiellement l’ensemble des communautés palestiniennes dans le monde, il se concentre essentiellement sur l’Europe et l’Amérique du Nord.

Les territoires palestiniens connaissant tout à la fois une grave crise économique et l’occupation israélienne, les retours définitifs sont rares, particulièrement depuis le début de la seconde Intifada [2]. La situation de ceux qui sont rentrés n’est pas exempte de paradoxes. Pour ceux qui provenaient de territoires rattachés à Israël en 1948, le retour s’est avéré être une migration nouvelle. Par ailleurs, le mouvement de retour est par nature éphémère, dans le contexte politique actuel, puisque Israël qui contrôle toujours l’immigration vers les territoires palestiniens n’accorde généralement pas le droit de résidence à ceux qui en reviennent.

Les détenteurs d’un passeport étranger sont considérés comme des touristes et se voient offrir un visa de trois mois quand ils viennent par avion, d’un mois seulement quand ils traversent les frontières terrestres. Même quand ils travaillent dans les zones palestiniennes, la chance d’obtenir un permis de travail ou un permis de séjour est minime, et ils doivent continuellement quitter le pays et y rentrer à nouveau avant l’expiration de leur visa afin de s’en voir accorder un nouveau. Ceux qui outrepassent le délai courent le risque de se voir à jamais refuser l’entrée en Israël et donc dans les territoires palestiniens. De la sorte, seul un retour physique temporaire est possible pour les professionnels palestiniens dont l’implication est pourtant vitale pour la construction d’une entité palestinienne.

Comment faciliter la transmission de l’expertise ? Si l’on suit Jean-Baptiste Meyer et ses collègues, deux politiques sont envisageables quand un pays en voie de développement souhaite tirer profit de ses émigrés hautement qualifiés : soit une politique de rapatriement - l’option retour -, soit une politique de mobilisation à distance et de mise en lien avec des programmes scientifiques, technologiques et culturels au pays - l’option diaspora [3]]. Si nous ne nous concentrons ici que sur la deuxième option, la première a également été tentée au travers du programme Tokten (Transfer of knowledge through expatriate nationals) des Nations unies.

Mobilisation à distance

Le retour des élites techniques étant demeuré marginal dans le cadre du programme Tokten, la mise en place ambitieuse du réseau Palesta avait pour but de lier directement au centre palestinien un groupe plus important de professionnels. Il existe dans le monde deux autres projets pionniers similaires, l’un pour l’Afrique du Sud, Sansa (South African network of skills abroad), l’autre pour la Colombie, Red Caldas (Network of Colombian technologists and scientists abroad).

Palesta fut fondé par le Bureau de la planification scientifique et technologique du ministère palestinien de la Planification et de la coopération internationale, avec l’aide des Nations unies. Le réseau rassemble des scientifiques et des professionnels mettant leur savoir et leur expérience au service de problèmes cruciaux pour le développement de l’économie palestinienne. Il propose des listes d’emplois dans de nombreuses institutions publiques, privées ou dans des ONG dans les territoires palestiniens, ainsi que des ateliers et un calendrier de manifestations publiques.

Il s’est fixé trois objectifs. Le premier consiste à impliquer les scientifiques et les experts dans des discussions visant à résoudre les problèmes scientifiques et technologiques fondamentaux pour l’économie de la Palestine. Le second consiste à tenir informés les Palestiniens expatriés des développements et des programmes en cours au pays dans le domaine des sciences et de la technologie afin qu’ils soient prêts à s’y investir pleinement quand leur présence sera nécessaire en Palestine. Enfin, il s’agit d’obtenir l’assistance de ces expatriés pour l’identification et le lancement de nouveaux projets utiles au développement économique.

Palesta voulait devenir un instrument familier et puissant pour les décideurs palestiniens comme pour les communautés professionnelles expatriées. En dépit de ses objectifs ambitieux, ses résultats sont mitigés. Depuis son lancement en 1997, le réseau a connu deux phases, une phase d’institution centralisée (1997-1999) et une phase de réseaux décentralisés permettant la mise en lien des périphéries (1999-2001), avant d’entrer en hibernation.
Deux ans après sa création, la banque de données Palesta contenait les noms de mille trois cents professionnels palestiniens expatriés, dont seulement un tiers - environ quatre cent quatre-vingts - était des membres actifs dont les contacts avaient été mis à jour. Selon une étude réalisée par Palesta, ses membres actifs sont concentrés aux États-Unis - 56 % des membres - tandis que seulement 17 % vivent en Europe.

Il semble que le réseau n’ait pas réussi à mieux pénétrer les communautés d’Europe en raison de différences dans l’origine des migrants : les Palestino-Américains viennent en majorité des territoires palestiniens, où se trouve le réseau, tandis que les Palestiniens d’Europe viennent plutôt de la Palestine historique. De même, les pays du Golfe et la Jordanie sont sous-représentés. Selon cette enquête, les membres sont plutôt jeunes : plus de 37 % ont entre 30 et 39 tandis que 30 % ont entre vingt et vingt-neuf ans. Cela n’est pas significatif en termes de formation, puisque 41 % des membres possèdent un doctorat et 15 % l’équivalent d’une maîtrise. Les femmes sont fortement sous-représentées puisqu’elles ne constituent que 7 % des membres.

Du réseau centralisé au n ?ud central

L’architecture du réseau au cours de cette première phase eut d’importantes conséquences sur les thèmes discutés ainsi que sur la construction de l’identité de ses usagers par rapport à la Palestine. Étant donné les limitations à la libre circulation des Palestiniens de la diaspora vers les Territoires, la liste de discussion de Palesta représente une formidable opportunité pour, à moindre coût, ouvrir le dialogue entre des individus séparés géographiquement. Malgré l’objectif affiché de privilégier la discussion de problèmes techniques liés au développement de la Palestine, l’étude du contenu des messages envoyés par les professionnels expatriés montre en fait un plus grand intérêt pour les questions politiques et pratiques.

Le forum Palesta contribua à faire naître d’importants débats sur le retour ou sur les visites des expatriés dans les Territoires palestiniens. Ainsi, lors d’un débat sur la contribution de la diaspora au développement palestinien sont mises en avant les erreurs de politique économique commises par l’Autorité palestinienne ainsi que son incapacité à convaincre les entrepreneurs palestiniens de la diaspora d’investir dans les Territoires. Par ailleurs, l’analyse révèle aussi que si la réalisation des objectifs de Palesta s’appuyait sur une aide et une participation inconditionnelle de la diaspora envers le nouvel État - quasi-État - palestinien, les membres du réseau, pour leur part, subordonnaient cette aide à la résolution préliminaire des problèmes pratiques.

Certains messages traitaient du problème des deuxième et troisième générations de la diaspora qui, dans les pays occidentaux, n’ont pas toujours accès à une éducation en langue arabe. Inversement, chez les Palestiniens des Territoires, les questions de la deuxième génération diasporique, de la migration transnationale palestinienne ou même celle de l’assimilation dans les pays d’accueil étaient manifestement absentes. De la sorte, si certains points relatifs à la culture, la politique, l’économie, l’éducation et la santé furent débattus plus en profondeur que ne le prévoyaient les objectifs, il semble qu’ils aient été incapables de prendre en compte les attentes de ses membres et de modifier ses buts et leur mode de mise en ?uvre. Un débat révèle en particulier la profondeur de la crise liée à la conception même de la liste.

À la question “qui dirige la liste ?”, certains membres exprimèrent leur irritation quant au travail dit “d’édition” des messages réalisée par le personnel de Palesta : pour eux, il s’agissait avant tout d’une forme de censure. Le caractère passionné de ce débat incita les dirigeants de Palesta à envoyer aux membres en octobre 1999 un questionnaire sur leur opinion à propos du réseau.
La critique la plus importante que l’on puisse formuler à l’encontre de Palesta est qu’il fonctionnait comme une institution et non comme un réseau.

Une institution est un modèle hiérarchique de mise en lien tandis que celui du réseau se doit d’être horizontal. Palesta se contentait de connecter les membres au réseau sans les connecter entre eux. Cette formulation négligeait l’importance du lien à tisser entre les différentes communautés palestiniennes de façon à empêcher l’assimilation dans le pays d’accueil et à permettre la transmission de l’héritage palestinien. Un tel lien pouvait en retour faciliter les contacts avec les Territoires. Or, ces liens sont évidemment impossibles si les membres de Palesta ne peuvent connaître leurs adresses électroniques respectives. Cette contradiction met en évidence la relation paradoxale entre le réseau transgéographique Palesta et le contenu du discours initial tenu par les dirigeants de Palesta à propos d’une entité définie géographiquement et biologiquement : un Palestinien à l’étranger n’a besoin que du lien avec le centre.



- Réseaux de la communauté palestinienne d’Europe et impact des nouvelles technologies (partie 2/2)


Notes :

[1] Sari Hanafi, Here and their : the Palestinian diaspora from social and political perspective, Ramallah, Muwatin et Beyrouth, Institute of Palestine Studies, 2001, en arabe.

[2] Dix ans après le processus d’Oslo, on estime le nombre de retours à environ deux cent mille, dont le quart aurait profité d’un séjour en Palestine pour rester au-delà du temps permis.

[3] Jean-Baptiste Meyer et al., “Turning brain drain into brain gain : the Colombian experience of the diaspora option”, Science, technology and society, 2(2), 1997, disponible sur http://sansa.nrf.ac.za/documents/stsjbm.pdf


Du même auteur :

- Réfugiés palestiniens, citoyenneté et Etat - partie 1/2
- Réfugiés palestiniens, citoyenneté et Etat - partie 2/2

Sari Hanafi - Publié dans Hommes et Migrations, n° 1253, janvier-février 2006


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