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Pourquoi le tribunal international sur le Liban cause-t-il tant de remous ?

mardi 26 juin 2007 - 13h:15

Georges Corm - La Vanguardia

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Peu de personnes comprennent les interminables délibérations, voir les querelles, à
propos de la mise sur pied d’un tribunal à caractère international pour juger des
assassins de l’ancien premier ministre Rafik Hariri, tué à Beyrouth dans un attentat
terroriste le 14 février 2005.

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Georges Corm

Déjà, de par sa nature même, cet attentat a mis en cause
la stabilité du Liban. Or, il s’avère de plus en plus que le Conseil de sécurité des
Nations Unies en décidant d’abord de la création d’une Commission d’enquête
internationale (résolution 1595 du 7 avril 2005), puis de la constitution d’un tribunal
international (résolution 1664 du 29 mars 2006), a contribué à jeter de l’huile sur le
feu et à aggraver la déstabilisation dans laquelle le pays est désormais enfoncé,
comme le montrent la série des autres attentats qui ont suivi et les évènements
sanglants de la semaine dernière (voir La Vanguardia du 24 mai).

Plusieurs questions se posent ici qui ne sont que très rarement débattues. Tout
d’abord, il s’agit de savoir pourquoi un assassinat survenu au Liban, même commis
par des moyens terroristes, doit-il faire l’objet d’une Commission d’enquête
internationale ? De plus, en l’absence jusqu’aujourd’hui du moindre résultat concluant
en deux ans d’enquête internationale avec l’appui de la justice libanaise, pourquoi ce
désir frénétique de la part de la France et des Etats-Unis de créer immédiatement un
tribunal international (même si une minorité de juges libanais y siègeront) sur cet
assassinat et ceux qui ont suivis et ce avant même la fin des travaux de la
Commission ?

Après tout, il ne s’agit pas d’un crime contre l’humanité ou même d’un crime de
guerre, là où la mise en place d’une justice pénale internationale est nécessaire et
salutaire pour dissuader des auteurs potentiels futurs de tels crimes. Combien
d’hommes politiques éminents n’ont-ils pas été assassinés dans des conditions
dramatiques, tels John Kennedy, Olof Palme, Aldo Moro pour ne citer qu’eux, sans
parler de la tentative ratée d’assassinat du pape Jean-Paul II ? Bien plus, dans les cas
du Liban, peut-on oublier, qu’entre 1975 et 1990, 200 000 civils libanais ont péri
victimes des crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis au Liban par les
milices armées libanaises et par l’armée israélienne et l’armée syrienne ? Que 600 000
libanais ont été déplacés par la force dans leur propre pays ? Faut-il rappeler aussi
l’assassinat de deux présidents de la république durant cette période, d’un premier
ministre et de plusieurs personnalités politiques, civiles, intellectuelles et religieuses
éminentes, sans qu’il ait jamais été question de mettre sur pied un tribunal
international qui pourtant aurait été plus que nécessaire ?

La Commission d’enquête s’est d’ailleurs d’abord discréditée du fait du
comportement insolite de son chef, le juge allemand Detlev Mellis, qui n’a pas
respecté les règles très strictes de confidentialité. De plus, ses rapports ont dès le
départ adopté une hypothèse unique quant à l’identité des auteurs commanditaires supposés de l’assassinat. Quatre officiers supérieurs libanais, supposés avoir agi pour
le compte du régime syrien, ont ainsi été arrêtés et sont malheureusement toujours
sous les verrous, bien que les témoins à charge, non seulement n’ont pas été
confrontés aux officiers suspectés, mais ont été laissés en liberté, alors même qu’ils
sont revenus sur leurs témoignages et ont avoué avoir été soudoyés.
Depuis, la nomination de M. Brammertz à la tête de la Commission en janvier 2006,
celle-ci a rétabli sa crédibilité. Ses rapports périodiques au Conseil de sécurité sont
sobres, ne dévoilent pas de noms, présentent diverses hypothèses. Mais, la
Commission n’est toujours pas arrivée à une conclusion et a demandé une
prolongation de son mandat pour un an encore à partir du 15 juin 2007. Entre-temps,
d’autres assassinats et actes terroristes ont eu lieu au Liban pour lesquels aucune piste
n’a été trouvée ni aucun coupable arrêté (sauf l’attentat contre deux autobus attribué à
Fath Al Islam en février 2007), alors que le Conseil de sécurité a demandé à la
Commission (environ 200 experts et employés) d’assister la justice libanaise
(résolution 1644).

Par ailleurs, le statut proposé par le Secrétaire Général des Nations Unies pour le futur
tribunal a suscité une double vague de protestation au Liban et a même entraîné la
démission de cinq ministres, ce qui a ouvert la crise constitutionnelle grave dans
laquelle se débat le pays depuis plusieurs mois. Le premier problème résulte du fait
que les procédures constitutionnelles libanaises pour l’adoption de ce statut -qui
constitue un traité international pour le Liban- n’ont pas été respectées. En effet, la
négociation de ces traités est constitutionnellement du ressort du président de la
République qui les « négocie et ratifie » en accord avec le premier ministre. Or le chef
de l’Etat libanais, boycotté par les pays occidentaux, a été totalement écarté de la
négociation avec les nations Unies et ses remarques d’ordre juridiques, formulées par
écrit dès le mois de novembre dernier, n’ont été que très marginalement prises en
compte par les Nations Unies. Enfin, le parlement libanais paralysé et le
gouvernement contesté, il serait curieux que les Nations Unies s’obstinent à faire
voter par le Conseil de sécurité- que ce soit sous le chapitre VI ou VII de la Charte- le
texte de l’Accord non ratifié suivant les procédures constitutionnelles libanaises.

Le second problème a trait aux compétences extravagantes dont le projet de statut
préparé par les Nations Unies a doté ce futur tribunal. Le projet, en effet, déstructure
le fonctionnement et la crédibilité de la justice libanaise et ses dispositions sont
contraires à celles de la constitution et du droit pénal libanais, mais aussi aux
principes généraux du droit (possibilité de revenir sur des jugements définitifs
antérieurs prononcés par les tribunaux libanais, possibilité illimitée d’inculper le
supérieur hiérarchique d’un fonctionnaire soupçonné, sans aucune condition, absence
de limite de temps dans le mandat du tribunal, absence de voie de recours, etc...).

Jusqu’à quand le Liban servira-t-il de laboratoire aux errements de la géopolitique
internationale et de la nouvelle instrumentalisation des Nations Unies dans les conflits
du Moyen-orient, ainsi détournées de leur vocation de base ?


Georges Corm est ancien ministre libanais des Finances, auteur de "L’Europe et l’Orient", La Découverte, 1989, "Orient-Occident, la fracture imaginaire", La Découverte, 2005 et de "Le Proche-Orient éclaté - 1956-2007", Gallimard, 2007

Georges Corm - La Vanguardia, le 3 juin 2007

De Georges Corm :
- Liban : Dans la tourmente des conflits régionaux
- « La clé de la stabilité, c’est le règlement de la question palestinienne »

Sur le même sujet : Douteuse instrumentalisation de la justice internationale au Liban


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