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Hillary Clinton accepte-t-elle l’argent taché de sang du phosphate marocain ?

mercredi 15 avril 2015 - 06h:33

Julian Pecquet

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WASHINGTON – La candidate aux présidentielles, Hillary Rodham Clinton, approuve l’exploitation illégale de terres contestées et prend le risque de saboter quatre décennies de diplomatie onusienne en acceptant l’argent du Maroc, selon les critiques.

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Novembre 2009, Ourzazate - Hillary Clinton et le dictateur marocain, Mohamed VI - Photo : Reuters/Rafael Marchante

Clinton, qui doit annoncer sa candidature à l’investiture démocrate le 12 avril a été vivement critiquée pour avoir accepté des contributions étrangères pour la Fondation Clinton, dont la plus récente est un don d’un million de dollars d’OCP, un géant des engrais qui appartient au gouvernement marocain. Ce qui n’a pas été dévoilé dans les premières annonces, c’est que l’OCP - l’Office Chérifien des Phosphates – joue un grand rôle dans l’exploitation des ressources minérales du Sahara occidental, un territoire contesté connu sous le nom de « dernière colonie d’Afrique », que le Maroc occupe depuis que la puissance coloniale espagnole l’a abandonné dans les années 1970.

« On connait les diamants du sang, mais à bien des égards on peut dire que l’OCP expédie du phosphate de sang, » a dit à Al-Monitor, Joe R. Pitts, le représentant de Pennsylvanie. « Le Sahara occidental est désormais occupé par le Maroc qui exploite ses ressources et l’OCP est une des principales entreprises impliquées. »

Pitts, qui est coprésident du Western Sahara Caucus* et de la Commission Tom Lantos des droits de l’homme, fait partie d’une petite poignée de législateurs disposés à en découdre avec le Maroc, un allié étasunien de longue date qui se livre à un lobbying intensif et à une incessante activité de relations publiques à Washington. Le 10 avril, il a envoyé une lettre à la Fondation Clinton, qu’Al-Monitor s’est procurée, conjointement avec Chris Smith, un politicien du New Jersey, président de la section des droits de l’homme de la Chambre des Affaires étrangères, pour demander à la fondation de rembourser l’argent et de « cesser sa collaboration avec l’OCP. »

Al Monitor a interrogé par mail un porte-parole de la fondation à ce sujet, mais il n’a pas répondu.

Le litige porte sur la gestion par l’OCP d’une mine située dans la ville du Sahara occidental de Boucraa, à partir de laquelle la roche phosphatée - un ingrédient clé dans la fabrication des engrais - est déversée sur la plus longue bande transporteuse du monde qui l’emmène jusqu’à la côte, à 96 km de là. Selon un avis juridique donné en 2002 par l’ONU, l’exploitation des ressources naturelles des territoires qualifiés de non-autonomes comme le Sahara occidental n’est légale que si elle se fait au profit de la population locale.

L’OCP et Rabat ont commencé un lobbying de type blitz** pour convaincre le monde entier que le Maroc, qui revendique la propriété du Sahara occidental, consacre beaucoup plus d’argent à développer cette région désertique qu’il n’en gagne en exploitant ses ressources naturelles.

« C’est un fait que ce qui est produit dans le Sahara n’est pas suffisant pour répondre aux besoins élémentaires de sa population, » a dit le roi Mohammed VI à l’ONU, l’an dernier. « Pour être tout à fait honnête, je dois dire que les Marocains supportent le coût du développement des provinces du sud. Ils donnent une partie de leurs revenus et puisent dans les économies destinées à leurs enfants pour offrir une vie digne à leurs frères du sud ».

Ceux qui soutiennent les Sahraouis disent que la seule façon dont le Maroc pourrait se targuer de faire le bien de la population locale serait en la laissant voter pour son indépendance, comme cela été demandé par plusieurs résolutions de l’ONU soutenues par les Etats-Unis dans les années 1990.

« L’OCP est le premier bénéficiaire de la guerre et le premier bénéficiaire de l’occupation –cette entreprise profite de la misère de milliers de réfugiés et de centaines de prisonniers politiques, depuis 40 ans », a déclaré Mohamed Yeslem Beisat, l’envoyé de Washington du Front Polisario, qui dit diriger un gouvernement sahraoui en exil depuis Tindouf, en Algérie. « Ils font cela parce qu’ils savent qu’Hillary a une chance d’être présidente des États-Unis. Et ils veulent qu’elle soutienne leur occupation brutale du Sahara occidental ».

Covington et Burling, qui font du lobbying auprès du gouvernement américain pour le compte de l’OCP, n’ont pas voulu répondre aux questions d’Al Monitor. Le PDG de l’OCP, Mostafa Terrab, était lui-même un lobbyiste enregistré aux Etats-Unis jusqu’à l’année dernière.

Le Maroc et ses alliés prétendent qu’au contraire, c’est le Front Polisario, un mouvement rebelle soutenu par l’Algérie qui avait autrefois des liens avec Mouammar Kadhafi de Libye et le régime communiste de Cuba, qui exploite le peuple sahraoui et les garde prisonniers dans des camps du côté algérien de la frontière. Dans un discours devant l’ONU en novembre, le roi Mohammed VI a dit clairement qu’il n’avait pas l’intention de renoncer aux revendications marocaines sur le territoire.

« Le Sahara est une question existentielle de première importance, pas seulement une question de frontières », a déclaré Mohammed VI au monde lors du 39e anniversaire de la Marche verte qui commémore la journée de 1975 pendant laquelle 300 000 Marocains ont défilé dans le territoire que l’Espagne était en train de quitter. « Le Maroc restera dans son Sahara, et le Sahara fera partie du Maroc, jusqu’à la fin des temps. »

Le don de l’OCP à la Fondation Clinton], qui a été révélé par Politico, doit normalement aider à financer un meeting de l’Initiative mondiale de Clinton en mai à Marrakech. Ce sera le premier meeting jamais organisé au Moyen-Orient ou en Afrique, et des personnalités telles que l’ancien président Bill Clinton, le roi Mohammed VI et les présidents du Rwanda et de la Tanzanie y assisteront.

Hillary Clinton a félicité le Maroc d’être un « carrefour vital d’échanges économiques et culturels » quand elle a annoncé le meeting en septembre dernier (elle n’a fait aucune mention des largesses de l’OCP à l’époque). Dans un communiqué de presse ultérieur, le Maroccan American Center for Policy, principal organe de lobbying de Rabat à Washington, a vanté « les efforts actuels pour tirer parti des ressources en phosphate du pays - un des composants importants de l’engrais - et renforcer la sécurité alimentaire du pays. »

Selon une récente étude réalisée par le magazine français Jeune Afrique sur les 50 personnes les plus influentes du continent, Terrab est un ancien responsable de la Banque mondiale qui se consacre à « démocratiser l’accès aux engrais des fermiers africains ». Même si cette description concorde avec la mission de la Fondation Clinton, il faut noter que l’événement de Marrakech intervient également à un moment où les exportations du Maroc du Sahara Occidental font l’objet d’une surveillance accrue au niveau international.

Le Parlement européen a voté en 2011 la révocation d’un accord de pêche qui permettait à la flotte de l’UE de pêcher dans les eaux du Sahara occidental, jugeant que l’accord avec le Maroc était illégal parce que le peuple sahraoui n’avait pas eu son mot à dire, mais il a changé d’avis en 2013. Et Western Sahara Resource Watch, une ONG scandinave qui cherche à mettre dans l’embarras les entreprises qui tirent profit de l’exploitation de la région, a publié l’année dernière sa première liste exhaustive des firmes d’engrais qui importent des phosphates du Sahara Occidental.

« Je pense qu’ils ont fait [ce don à la Fondation Clinton] parce qu’ils veulent pouvoir continuer à exploiter ces ressources malgré le fait que de plus en plus de gens prennent conscience de l’injustice et de l’iniquité que cela représente », a déclaré Suzanne Scholte, une militante des droits de l’homme du parti Républicain qui préside l’ONG étasunienne, Fondation Western Sahara. « Pour moi ils essaient tout simplement d’enrayer la contestation. »

Pour Scholte, le vote le mois dernier, du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine en faveur d’un « boycott mondial des produits des sociétés impliquées dans l’exploitation illégale des ressources naturelles du Sahara occidental » est une preuve supplémentaire de l’isolement croissant du Maroc. Le Maroc est le seul pays du continent qui ne fait pas partie de l’Union africaine (UA) en raison de son occupation du Sahara occidental ; par contre, le gouvernement en exil du Front Polisario, la République arabe sahraouie démocratique est un état membre de l’UA.

« Je ne crois pas que les gens de Washington se rendent compte de l’ampleur du soutien dont les Sahraouis bénéficient dans tout le continent africain », a-t-elle dit à Al-Monitor.

Pour les critiques du Maroc le but de la donation consentie à la Fondation Clinton a clairement pour but de donner à croire que la souveraineté marocaine sur ce qu’il appelle sa « province méridionale » jouit du soutien mondial. Ils signalent un effort de lobbying similaire au Congrès, où le champion du Maroc, le représentant Républicain de Floride au Comité d’attribution des budgets du Congrès, Mario Diaz-Balart, a introduit une disposition dans le projet de loi budgétaire omnibus de 2014 qui, pour la première fois, autorise les États-Unis à utiliser au Sahara occidental l’aide étrangère prévue pour le Maroc– ce qui entre clairement en contradiction avec la politique des États-Unis qui ne reconnaît pas la souveraineté marocaine sur le territoire en question.

Dans leur lettre, Pitts et Smith expriment également l’inquiétude que l’OCP puisse avoir été complice de violations de l’Accord de libre-échange de 2004 avec les Etats-Unis, accord qui était accompagné d’un rapport du Comité des voies et moyens - défendu par Pitts - stipulant clairement que les avantages octroyés par l’accord commercial ne s’appliquaient pas aux importations en provenance du Sahara occidental. On soupçonne fort le Maroc et l’OCP de chercher à mettre fin à ces restrictions.

« Cela m’étonnerait beaucoup que les alliés du Maroc ne cherchent pas à profiter du fait que le Congrès ait clarifié les détails de l’application de l’Accord de libre-échange dans le rapport du Comité, et non dans le texte de base, pour essayer de semer la pagaille dans l’Accord de libre-échange », a dit à Al-Monitor un fonctionnaire de la Chambre des représentants qui suit la question de près.

Notes :

* « Western Sahara Caucus » est le nom du groupe pour le Sahara occidental du Congrès américain
** Le Blitz (terme allemand signifiant « éclair ») est le nom donné à la campagne de bombardements stratégiques durant la Seconde Guerre mondiale mené par la Luftwaffe, l’aviation allemande, contre le Royaume-Uni du 7 septembre 1940 au 21 mai 1941 (Wikipedia)

10 avril 2015 - Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


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