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A vélo pour Gaza, où le futur est gelé

samedi 24 novembre 2012 - 14h:24

Adnan Abu Sharar

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Je serai toujours reconnaissant aux organisateurs de cet événement, parce qu’il m’a donné l’occasion de faire quelque chose pour rembourser à Gaza, ma ville d’origine, tout ce que je lui dois. La prochaine génération est le meilleur atout de la Palestine.

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La solidarité sociale était forte pendant l’enfance de l’auteur (Photo Adnan Abu Sharrar)

Le sentiment d’impuissance est un facteur prépondérant lorsque je pense à la Palestine. Sentiment encore plus marqué quand je pense à Gaza et au siège imposé à son peuple. Je me sens bouleversé, malade, victimisé, plein de sympathie, exclu et désorienté, ne sachant que faire ni par où commencer.

C’est tout à fait par hasard que j’ai connu l’initiative appelée Cycling4Gaza (cycling4gaza.com), qui fait prendre conscience du blocus actuel sur la bande de Gaza et collecte des fonds pour des groupes à but non lucratif,par le biais d’une course cycliste annuelle. J’avais l’intention d’y participer. Il me semblait que c’était une manière de faire quelque chose de positif, de participer à une initiative qui s’efforce de rappeler au monde qu’un blocus est en cours contre Gaza, et qui tente d’avoir un impact sur la vie des gens en soutenant un travail d’éducation et de soins de santé.

J’ai eu la chance de pouvoir le faire lors de la course cycliste du Jourdain, en décembre dernier. Cette expérience puissante et la qualité des gens que j’ai rencontrés à vélo m’ont donné l’inspiration et revivifié mon espoir : pour la première fois mon trouble a disparu quand j’ai commencé à me rendre compte que c’était une manière géniale de canaliser mon énergie négative dans quelque chose de très positif.

Je serai toujours reconnaissant aux organisateurs de cet événement, parce qu’il m’a donné l’occasion de faire quelque chose qui me permettait de rembourser à Gaza, ma ville d’origine, tout ce que je lui dois.

J’ai quitté Gaza à l’âge de 16 ans pour Seattle, dans l’état de Washington, deux ans après le début de l’Intifada de 1987. Ma famille est de Dura, un village proche d’Hébron (al-Khalil) dans le sud de la Cisjordanie. Je suis issu d’une grande famille, j’ai 14 s ?urs et 5 frères. Mon père était un rebelle, recherché mort ou vif par le gouvernement jordanien, qui contrôlait la Cisjordanie de 1948 à 1967 avant son occupation par Israël.

Avant l’occupation israélienne, il s’est enfui à pied au Liban, puis il a pris un bateau pour Gaza alors que la ville était sous contrôle égyptien à l’ère Nasser. Mon père a été juge pendant la période nassérienne puis a été contraint à la retraite après l’invasion israélienne en 1967, après quoi il a travaillé comme avocat pendant près de 30 ans.

Mon dernier voyage à Gaza date du mois d’août de cette année. Mes nièces et neveux là-bas sont la principale raison de mes visites persistantes ; la plupart d’entre eux sont maintenant des ados et la visite que je leur rends est sans doute la source d’inspiration la plus signifiante dans un lieu qui offre un accès minimum au monde et où la plupart des résidents n’ont jamais eu la chance de franchir les frontière au cours de toute leur vie.

Le fait que j’ai grandi dans ce même endroit et affronté les mêmes défis qu’eux me donne avec eux une crédibilité immédiate. Cela m’a confirmé que Palestiniens et non Palestiniens doivent tout faire pour garder des canaux ouverts avec ceux qui sont à l’intérieur pour les aider à sortir de cette sanction psychologique. Le châtiment de Gaza a commencé des années avant le récent blocus imposé par Israël et l’Egypte. Il a débuté peu de temps après l’ère nassérienne.

Pas de pollution de classe

Le fait d’avoir grandi en Palestine m’a toujours conféré une différenciation positive, et le fait d’avoir passé ma petite enfance éduqué dans un pensionnat protestant à Hébron m’a aussi donné une perspective distincte dans des directions que je n’ai su apprécier qu’une fois adulte. Comme d’autres adolescents de mon âge sous l’occupation israélienne, nous avons vécu dans une société qui n’était pas polluée par les classes sociales.

Les écoles étaient bondées, avec très peu voire pas du tout d’équipements. Je n’ai jamais été dans une classe de moins de 45 élèves.

La constitution du système scolaire palestinien à l’époque était le facteur majeur contribuant à l’intellect palestinien. Les écoles avaient le mélange le plus intéressant qui soit de la société palestinienne. Les élèves issus de classes sociales et de contextes différents se côtoyaient tous dans une même classe, recevaient la même information et s’influençaiennt les les uns et les autres, personne n’étant exclu et chacun partageant une expérience commune.

Dans ma classe nous avions des élèves des camps de réfugiés, des familles aristocratiques du coin, des bédouins et de ceux que nous appelons maintenant des Palestiniens d’origine africaine.

Indépendamment de nos différents environnements culturels, notre vulnérabilité, notre peur de ne pas pouvoir rentrer à la maison en toute sécurité, la souffrance et l’humiliation sous l’occupation, l’humour après de sales moments, la passion de justice et la question de la Palestine étaient les mêmes pour nous tous.

Pour quelqu’un de mon âge, voyager hors de Palestine était un rêve impossible, tout comme l’était pour des membres de la famille et des amis celui de venir en Palestine. Nous vivions dans une cellule close séparée de toutes les cultures et de tous les pays voisins, et nous n’avions pratiquement pas d’accès au monde extérieur. Malgré toutes les difficultés, je n’ai jamais oublié combien l’esprit était élevé en Palestine et combien la solidarité sociale était forte, alors, entre les Palestiniens.

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Ecole de l’UNRWA dans des conteneurs de bateau au camp de Nuseirat (Gaza).

La solidarité sociale était forte

Les camps de réfugiés étaient les incubateurs de l’intellect palestinien, produisant des scientifiques, des artistes, des médecins, de la fierté. Des gens comme Ramzy Baroud, l’auteur et journaliste américano-palestinien et Abdel Bari Atwan, l’éditeur responsable du quotidien al-Quds al-Arabi, sont nés et ont été élevés dans les camps de réfugiés de Gaza. C’était l’époque où les Palestiniens étaient les gens les plus éduqués du monde arabe.

Quant j’étais ado, le seul loisir faisant office de fenêtre sur le monde était la correspondance. Elle nous donnait le sentiment d’exister chaque fois que nous recevions une lettre de quelqu’un à l’extérieur. Avec toutes les restrictions de l’accès au monde, rien n’a pu arrêter ma génération d’entrer en contact avec tout ce qui pouvait être beau.

Nous avions des lectures sur des combattants de la liberté, des héros, des gens défendant la justice quels que soient le temps et la distance. Oui, nous étions occupés et certains diront que c’était plutôt une prison qu’autre chose, mais dans notre esprit à chacun, nous étions libérés, et nous nous sentions plus libérés que notre occupant. Quant on nous demandait d’où nous étions, nous avions plaisir à répondre. Parce que la réponse évoquait des gens épris de justice, d’intelligence et de survie. Malheureusement, cela a pris fin avec les Accords d’Oslo.

La sirène d’alarme d’Oslo

Ma première visite à Gaza après la signature des Accords d’Oslo remonte à 1993. A cette époque, Gaza vivait une expansion de la construction de luxueuses villas pour l’élite de l’Organisation de Libération de la Palestine, faisant naître une nouvelle structure sociale. Les demandes de traitement spécial et l’autorisation d’entrer en Israël et en Cisjordanie commencèrent à être utilisées comme des privilèges garantis à l’élite. Ces privilèges sonnaient l’alarme devant la nouvelle direction que prenait notre société.

Cette alarme a provoqué un état d’esprit faux et dangereux, faisant supposer aux Palestiniens et aux nations du monde qu’ils étaient devenus indépendants. Ce qui fut confirmé par la création de ministères locaux, par les élections qui suivirent et par la reconversion en ambassades des Bureaux qui avaient représenté l’OLP . Alors il devint difficile d’expliquer - aux nations arabes comme aux non arabes - que nos luttes avaient changé. Nous sommes devenus une nation sanctionnée qui avait un jour été occupée, et nos politiciens élus demandèrent l’autorisation de voyager hors des frontières de la Palestine occupée voire de circuler d’une ville à l’autre.

Au cours de ma dernière visite à Gaza, la détérioration de la société palestinienne m’a paru douloureusement évidente. Le monde ne se rend pas compte que le siège de Gaza n’est pas une simple histoire d’approvisionnement en nourriture et en marchandises ou de liberté de mouvement. Le blocus de Gaza vise la santé mentale des enfants, l’esprit de la société, les mouvements sociaux et l’éducation. Les scénarios actuels imposés par le blocus israélien qui a commencé en 2007 ne diffèrent pas du début de l’occupation par Israël. La seule différence aujourd’hui, après l’éviction des colons de Gaza en 2005, c’est qu’Israël n’assume plus sa responsabilité sur le peuple sous occupation.

La dévastation que les Palestiniens ont subie et continuent de subir ne se limite pas à la terre, ni aux conditions de vie si dures, ni à la menace de perdre Jérusalem, ou la mosquée Al-Asqsa, ou les églises anciennes. La dévastation existe en réalité dans le démantèlement de la société palestinienne dans son ensemble, sujette comme elle l’est aux efforts incessants pour briser l’identité commune et pour faire passer les Palestiniens du statut de société cultivée à celui de force de travail, au moyen de sanctions, de destruction de monuments historiques, de fragmentation de la société par la séparation physique et les restriction de circulation, tout en privant les gens de leurs droits humains fondamentaux.

La catastrophe

Cela fait maintenant 23 ans que je vis loin de chez moi. Cette longue absence en tant que citoyen du monde a eu pour résultat important que je ne regarde plus la question de la Palestine comme un Palestinien. C’est devenu une cause humaine pour laquelle je me dois d’avoir de l’empathie indépendamment de mon contexte personnel.

En tant que citoyen du monde, je regarde en arrière et je me rends compte qu’il y a 50 ans à peine, une Afro-Américaine devait céder son siège à tout homme blanc, aux Etats-Unis. Il y a seulement 20 ans que Nelson Mandela aida à transformer l’Afrique du Sud en une démocratie à partir de ce qui fut l’un des régimes d’apartheid dominants dans le monde. Toutes ces transformations mondiales des droits civiques ... et malgré tout les Palestiniens vivent toujours dans des conditions de ségrégation, d’aliénation, de fragmentation de leur société et dans des restrictions physiques très dures depuis 1948 : rien n’a changé sinon que nous sommes un bon public pour les transformations qui ont lieu autour de nous.

Au cours de mon dernier séjour en août, j’ai invité les amis de mes nièces et neveux, dans un effort pour élargir mon cercle d’influence. Hélas, la plupart si pas tous les adolescents que j’ai rencontrés étaient déprimés, désorientés, et ils consacraient peu de temps à penser le futur. J’ai essayé de les défier en les questionnant sur leurs espérances d’avenir. Un des gosses m’a regardé et a dit « c’est la première fois qu’on nous pose une telle question ».

En observant leurs regards, j’ai ressenti l’engourdissement, la désorientation et le manque d’ambition. Ironiquement, ces enfants allaient à la même école secondaire que moi, je les rencontrais dans notre maison et j’étais assis avec eux là où j’étais assis quand j’avais leur âge. Mais l’esprit était totalement différent. Nos ambitions étaient totalement différentes des leurs. Pour sortir de ma déception, j’ai changé de sujet en leur demandant : « quel est votre héros ? ». Cela ne percuta pas, alors je reformulai ma question : « qu’est-ce que vous admirez ? ». Cela ne réagit pas non plus, alors je tentai une approche différente en demandant : « vous savez qui est Nelson Mandela ? ».

Pas de réaction non plus ... et à ce moment j’ai réalisé la catastrophe à laquelle est soumise cette génération, et le fait que cet important groupe d’âge, dans cet environnement particulièrement dur, est négligé par les politiciens non conscients de ce que ces jeunes sont le capital le plus important que nous possédons : le patrimoine mental de la future génération palestinienne.

Reconstruire notre culture

Il faut une intervention immédiate et une meilleure intelligence du niveau du problème, car notre survie ne peut être assurée qu’en réévaluant nos valeurs. Nos dirigeants doivent comprendre que les sanctions réelles imposées aux Palestiniens visent leur esprit, leur intelligence, leur génération future. La responsabilité morale des dirigeants devrait consister à lever ces sanctions mentales et à armer les gens d’outils qui leur permettent d’être concurrentiels dans le monde.

Naguère notre cause était la raison de notre existence, et tout le reste était secondaire : mais tout cela a été transformé par les luttes internes et les combats de coqs politiques.

Oui, notre peuple s’est fait piéger, physiquement et mentalement, et a été vendu à une réalité qui n’existe pas : celle des Accords d’Oslo qui en fin de compte ont causé encore plus de pertes humaines, des abus contre les droits humains des Palestiniens, la séparation de Gaza d’avec la Cisjordanie et le siège qui s’en est suivi contre Gaza.

Les sanctions à l’encontre des Palestiniens restent grosso modo les mêmes depuis le début de l’occupation, mais l’esprit a changé : elles étaient jadis une raison de vivre ; maintenant il faut lutter pour trouver une raison de vivre. Notre système immunitaire social s’est désintégré parce que pour la première fois de notre vie, nous avons cru que nous n’étions qu’à un pas de la liberté, nous avons donc baissé la garde et nous avons perdu les outils qui naguère aidaient notre société à prospérer.

La reconstruction de la culture palestinienne ne peut se faire qu’en connaissant d’abord bien les réalités qui nous entourent, en acceptant et en rectifiant les erreurs politiques fatales de nos dirigeants. Et ce, grâce à une prise de conscience communautaire massive et à des efforts visant à apporter l’espoir par l’éducation, en mettant moins l’accent sur l’intérêt individuel, et en nous ramenant à nos vraies valeurs, celles qui un jour nous ont mis en position d’influence

Adnan Abu Sharar est né et a été élevé à Gaza. A 16 ans il est parti pour Seattle où il a obtenu ses diplômes universitaires, puis a travaillé dans l’industrie des télécommunications. Il est maintenant installé à Beyrouth où il dirige sa propre firme commercialisant des logiciels.

Voir également :
http://www.rewmi.com/TERRITOIRES-PA...

9 Novembre 2012 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert


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