Salam Fayyad, la Banque mondiale et la farce d’Oslo
dimanche 30 septembre 2012 - 17h:12
Neve Gordon
Á la suite des augmentations du prix des carburants, des milliers de chauffeurs de taxi palestiniens, de camion et de bus en Cisjordanie ont observé une grève d’une journée, paralysant les villes.
- Manifestation à Ramallah, le 11 septembre 2012 - Photo Anne Paq
Cette grève, rapporte Al Jazeera, était le point culminant de plusieurs jours de protestations où des milliers de Palestiniens, mis en colère par la crise économique en Cisjordanie, sont descendus dans les rues. Après que les manifestants aient imposé la fermeture des bureaux du gouvernement, le Premier ministre Salam Fayyad a décidé de diminuer les prix en question et de limiter les salaires des hauts fonctionnaires de l’Autorité Palestinienne, voulant ainsi apaiser ses compatriotes ulcérés.
Le Premier ministre Fayyad, un ancien employé du FMI, sait pertinemment que sa décision précédente d’augmenter le prix des carburants aussi bien que sa dernière décision de les diminuer n’auront pas réel effet sur la crise économique qui s’étend. Rapport après rapport, la complète dépendance de l’économie palestinienne à l’égard de l’aide étrangère a été documentée, tout en soulignant la grande pauvreté et l’insécurité alimentaire chronique qui frappent la population. Ces rapports en arrivent tous à la conclusion que l’occupation israélienne est la première responsable de la débâcle économique en cours, soulevant la cruciale question de savoir pourquoi la colère des Palestiniens s’est dirigée contre Fayyad plutôt que contre Israël.
La clé de cette énigme peut être trouvée dans le chapitre absent d’un rapport de la Banque Mondiale édité il y a à peine une semaine après que les manifestations aient diminué en intensité. Avertissant que la crise fiscale en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza s’approfondissait, la Banque mondiale critiqua le gouvernement israélien de maintenir une main de fer sur plus de 60 pour cent de la Cisjordanie, refusant aux Palestiniens l’accès à la majorité des terres arables et limitant leur accès à l’eau et à d’autres ressources naturelles.
Ce qui est intéressant, c’est que les économistes qui ont rédigé le rapport et mettent en lumière l’impact des graves restrictions israéliennes sur la terre palestinienne, ne disent mot de la politique économique. Ils semblent proposer que si seulement le processus d’Oslo avait pu se poursuivre, alors l’économie palestinienne ne serait pas dans une telle situation. Ils ne mentionnent en rien l’effet néfaste des Protocoles de Paris et de l’Accord Intérimaire palestino-israélien d’avril 1994 qui définissent les dispositions économiques d’Oslo.
Relevons que les trois documents importants que Fayyad a fait éditer depuis qu’il a pris ses fonctions de Premier ministre (Réforme et programme de développement palestiniens à partir de 2008 - Faire cesser l’occupation et établir un État dès 2009 - Chemin vers la liberté pour 2010) ne discutent pas non plus l’effet étouffant que les Protocoles de Paris exercent sur l’économie palestinienne.
Faisant 35 pages - par opposition au NAFTA [North American Free Trade Agreement] de plus de 1000 pages - cet accord économique sanctionne l’assujettissement palestinien vis-à-vis d’Israël, tout en excluant la possibilité même d’une souveraineté palestinienne. Le problème majeur de l’accord, comme les économistes israéliens Arie Arnon et Jimmy Weinblatt l’ont expliqué il y a d’une décennie, est qu’il établit une union douanière avec Israël sur la base der la réglementation commerciale israélienne, ce qui permet à Israël de maintenir le contrôle de tous les flux de main d’ ?uvre et de production, et interdit aux Palestiniens de créer leur propre devise, interdisant ainsi toute capacité d’influencer des taux d’intérêt, l’inflation, etc.
Ce que nous devons nous demander, c’est pourquoi le Premier ministre Fayyad souhaite-t-il « améliorer » le Protocole de Paris, et pourquoi le document de la banque mondiale ne parle-t-il pas des graves limitations que ce Protocole impose à l’Autorité Palestinienne pour choisir son propre régime économique et adopter les politiques commerciales selon les intérêts qui sont les siens ?
La réponse est avec dans un investissement partagé et toujours d’actualité sur Oslo.
Le Premier ministre Fayyad, la Banque mondiale et la plupart des dirigeants occidentaux perçoivent la crise économique actuelle dans les territoires Palestiniens comme le résultat de l’effondrement du processus d’Oslo de 1993. Ils voudraient remettre Oslo sur la voie, le développer et l’augmenter. En revanche, la plupart des analystes palestiniens maintiennent aujourd’hui que les accords d’Oslo sont les responsables de l’effondrement de l’économie palestinienne.
Les manifestants savent bien que la fragmentation de la Cisjordanie, l’incapacité des Palestiniens à contrôler leurs propres frontières et le manque d’accès à de larges pans de la terre palestinienne (un fait mis en exergue dans les rapports), sont intrinsèquement liés à une union douanière insoutenable et à l’absence d’une devise palestinienne. Ces restrictions font toutes partie des Accords d’Oslo et n’en sont pas une aberration.
Par conséquent, il serait risqué de penser que les manifestants palestiniens rendent responsable le Premier ministre Fayyad de la crise économique, car chaque habitant de la Cisjordanie sait trop bien que la crise est le résultat de l’occupation. Il serait plus raisonnable de supposer qu’ils accusent Fayyad de continuer à jouer le jeu d’Oslo.
Les Palestiniens n’exercent aucune souveraineté dans les Territoires Occupés, mais ils ont un Président, un Premier ministre et une flopée de ministres qui pendant des années ont joué la comédie d’un gouvernement légitime dans un pays indépendant. La seule manière d’en finir avec l’occupation est d’abandonner Oslo, de forcer l’Autorité palestinienne à cesser de jouer ce jeu futile et à s’attaquer à ses désastreuses répercussions.
27 septembre 2012 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - Naguib