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Charles Tegart et les forteresses qui protègent toujours Israël

vendredi 14 septembre 2012 - 06h:59

Kevin Connolly

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Quand les Britanniques cherchèrent à étouffer les troubles dans les années ’30, ils se tournèrent vers un policier irlandais intransigeant, qui proposa une solution draconienne et coûteuse : un réseau de forteresses qui restent aujourd’hui les monuments d’un empire disparu. Des policiers comme Sir Charles Augustus Tegart : on n’en fait plus ...

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Un fort Tegart (musée Gesher)

Jérusalem - C’est en partie parce qu’on n’en a plus besoin - Sir Charles était un officier dont le boulot était de maintenir l’Union Jack flottant sur les lointains territoires impériaux de la Grande-Bretagne. Mais c’est aussi parce qu’il était un homme de son temps, impossible à imaginer dans un monde où le travail policier s’occupe de profilage de suspects, d’expertise médico-légale et de droits humains. Tegart était un homme rude dans un monde rude.

Il survécut à 6 tentatives d’assassinat en Inde et malgré le danger il continua à y circuler en voiture découverte, avec son Staffordshire Bull Terrier sur le capot.

Il y eut des jours dangereux - un homme d’affaires qui ressemblait beaucoup à Tegart fut abattu par des militants séparatistes qui l’avaient pris pour le policier haï et craint. Il aimait à garder une bombe désamorcée sur son bureau en guise de presse-papier - un rappel des dangers qu’il affrontait et des ennemis qu’il poursuivait. Un jour d’ennui, il la lança à travers le bureau et elle explosa - il semble qu’elle n’avait pas été bien désamorcée. On dit que Tegart trouva l’incident amusant. C’est le genre d’histoire dont on ne peut être sûr qu’il y avait aucune autre personne présente pour partager son point de vue quand il la lança.

Tegart était né à Londonderry avant la partition de l’Irlande et il consacra toute sa vie à assurer que les autres possessions impériales britanniques ne suivent la voie de son propre pays (ou du moins de sa partie méridionale) hors de l’Empire.
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En 1936, la population arabe de Palestine se révolta - en partie pour protester contre la décision britannique d’autoriser l’immigration juive en Terre Sainte depuis l’Europe. Pour les Britanniques, tous les problèmes étaient interconnectés, parce que l’Empire lui-même était interconnecté. La Palestine était la « charnière de l’Empire » - elle gardait l’accès au Canal de Suez qui, lui, offrait la route la plus courte et la plus économique pour amener des troupes et des marchandises en Inde - et vice-versa. Il n’y avait qu’un homme qui pût conseiller les forces de police britanniques en Palestine sur la gestion des troubles politiques. Sir Charles y fut donc envoyé. Sa solution fut draconienne - et spectaculaire.

Pour empêcher les bandes arabes d’apporter des armes vers le sud de la Palestine depuis le Liban et la Syrie, il proposa de créer une ligne de [dizaines de] forteresses. Chacune devait être construire assez solidement que pour résister aux bombardement, aux sièges et aux assauts directs. Il fallait beaucoup d’espaces de stockage pour les munitions et les fournitures. Et il fallait aussi une clôture - une longue clôture. Aux alentours des nouvelles fortifications les tactiques britanniques allaient changer. Il y aurait des patrouilles agressives pour dissuader les incursions.
On dit qu’un des prédécesseurs de Tegart à la tête de la Palestine sous mandat britannique croyait qu’il y avait une différence essentielle entre policiers et soldats. L’un travaillait avec un carnet de notes, l’autre avec un fusil.
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L’historien Gad Kroizer, de l’université Bar-Ilan en Israël, qui a publié un livre racontant l’ensemble du projet, dit simplement : « Les Britanniques considéraient la Palestine comme stratégique, parce qu’elle contrôlait la route vers le canal de Suez et vers l’Inde via [l’Emirat de] Transjordanie et l’Irak. Ils ont dépensé 2.200.000 £ pour ces constructions ... il est incroyable qu’ils aient utilisé cette somme pour les forteresses et pas pour leurs armées en Europe ».
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Les mémoires de David Hacohen, directeur de l’entreprise juive de travaux publics Solel Boneh, rappellent comment Tegart lui dit que sa compagnie aurait le contrat. Il n’y aurait pas d’appel d’offres. Quand il avertit Tegart qu’il n’y avait pas assez de fil barbelé britannique pour achever le projet la réaction de Tegart fut la suivante : « Tegart se mit à rire et dit qu’il n’était pas actionnaire dans les firmes britanniques produisant du fil barbelé. Nous étions libres de l’acheter où nous voulions et où nous pouvions ». Ils finirent par en trouver dans l’Italie de Mussolini. Le réseau de forts fut construit à une vitesse stupéfiante.

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Le fort Tegart Qaryat El Inab dans le vilage d’Abu Ghosh aujourd’hui.

Les premières constructions sur les hautes terres fournirent un écran le long de la frontière nord de la Palestine. Ensuite d’autres forts furent construits en des points stratégiques - près de carrefours très fréquentés, ponts et ports de mer. A la fin du programme de construction, il y avait 69 « Tegarts » - le plus petit abriterait une compagnie de soldats (une centaine d’hommes dans le système britannique). Les plus grands modèles serviraient de quartiers généraux militaires importants. C’étaient des structures trapues et rébarbatives en béton de couleur biscuit, avec beaucoup de fentes procurant des postes de tir aux défenseurs et des volets d’acier blindé à chaque fenêtre.
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Avnt la Deuxième guerre mondiale, les Britanniques facilitèrent l’immigration de sionistes en Palestine - la population juive passa de 175.000 à 384.000 entre 1931 et 1936. Résultat : les Britanniques se retrouvèrent en train de combattre les militants arabes dans une révolte qui commença en 1936 et se termina en 1939.

Après la Deuxième guerre mondiale, la Grande-Bretagne oeuvra à empêcher l’arrivé de réfugiés juifs même si l’Holocauste avait créé un réservoir sans précédent de désespoir juif dans les camps délabrés de l’Europe. Les Britanniques se trouvèrent en conflit avec les USA qui les pressaient d’accepter 100.000 autres migrants juifs. A un moment donné, les Britanniques interceptèrent un navire nommé Exodus 1947, plein de survivants de l’Holocauste, et le renvoyèrent en Allemagne, nulle part ailleurs, ce que nous appellerions aujourd’hui un désastre en matière de relations publiques. Alors qu’elle avait combattu des groupes armés arabes, la Grande-Bretagne se retrouva alors combattant des militants juifs.
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Si on parle avec des témoins de l’époque, ces années juste après la Deuxième guerre mondiale en Palestine étaient tendues, chaotiques. J’ai rencontré Abed Saleh Abu Gosh, qui servit dans le régiment palestinien de l’armée britannique pendant la guerre et se vit offrir un poste de garde du corps après la guerre, quand la crise s’aggrava en Palestine. Abed Saleh est un bon conteur - et ses histoires ont un arrière-goût de fin de règne chaotique.

« Nous voyagions ensemble dans une voiture - nous circulions assez librement et sans crainte. Il [l’officier des Services Secrets britannique] était déguisé en prêtre. Il conduisait - et moi j’étais assis derrière en civil avec un pistolet mitrailleur Thompson caché sous le tapis de sol ».
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En 1948, s’étant aliéné une bonne partie des deux communautés, les Britanniques quittèrent la Palestine, s’efforçant de transférer la responsabilité à la communauté internationale. Quand l’ONU décida que la Palestine devait être partagée en deux états, l’un arabe et l’autre juif, Israël déclara son indépendance, et les états arabes voisins l’envahirent dans le but d’étrangler l’Etat juif naissant. Il y avait tout juste 10 ans que les Britanniques s’étaient embarqués dans ce coûteux réseau de points forts qui avaient été conçus comme un investissement dans l’avenir impérial.

Les forteresses Tegart furent en tête et au centre de la guerre de 1948. Les Britanniques donnèrent les clés de certains des bâtiments à des forces qui avaient fait preuve de loyauté à so égard - notamment certaines organisations juives et certains officiers de police arabes. Quelques forts comme la base de Latrun sur la route entre Jérusalem et Tel Aviv furent le théâtre de combats acharnés.
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En termes militaires, les forts Tegart sont été aussi efficaces que Tegart a dû l’espérer - même s’ils ont fini entre les mains des arabes et des Israéliens plutôt qu’entre celles des Britanniques qui les avaient financés. Aujourd’hui la plupart appartiennent à Israël, mais certains se trouvent dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie. Au moins deux forts Tegart sot aujourd’hui des musées et un autre est habituellement utilisé pour y stocker de grandes quantités d’ail d’un kibboutz de la vallée du Jourdain.

Mais la qualité de leur conception et de leur construction survit, puisque beaucoup de ces forteresses sont toujours utilisées dans leur objectif original - sinon par leurs occupants initiaux.

Leur emplacement a un jour marqué une ligne entre la Palestine contrôlée par les Britanniques et les territoires arabes au nord, que les Britanniques voyaient comme un réservoir de soutiens à la révolte arabe dans le pays qu’ils gouvernaient.

Aujourd’hui les forts Tegart se trouvent sur la frontière entre Israël et le Liban et les soldats et policiers qui nettoient leurs armes et prennent leur repas dans les cafeterias sont des Israéliens.

Sir Charles Tegart s’est vu épargner l’expérience de la soudaine désintégration du vieil ordre mondial qu’il avait passé sa vie à défendre, puisqu’il est mort en avril 1946.
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Charles Tegart

9 septembre 2012 - BBC News - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.bbc.co.uk/news/magazine-...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert


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