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Un sort incertain pour les Palestiniens en Syrie (I)

mercredi 18 juillet 2012 - 06h:03

Anaheed Al-Hardan
The Electronic Intifada

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Alors que le soulèvement en Syrie a été transformé en insurrection armée - et que le régime est passé d’une réaction sécuritaire au départ à une réaction militaire de grande envergure -, le spectre de la pagaille et de la destruction qui a englouti l’Iraq après l’invasion US en 2003 hante aujourd’hui le pays.

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Des Palestiniens tentent de traverser la clôture de barbelés entre la Syrie et le plateau du Golan occupé par les Israéliens, le 5 juin 2011.
(Zuma Press/Newscom)




L’une des menaces qui pèsent sur la Syrie est une guerre civile imminente - si elle n’a pas déjà commencé -, annonçant une catastrophe pour son peuple et les peuples de la région tout entière. En ces temps d’incertitude une chose est certaine, c’est que c’est le peuple syrien et ses revendications pour un avenir meilleur qui continuent d’être le véritable perdant de l’enchevêtrement de ses aspirations qui entrent en conflit avec des intérêts géopolitiques régionaux et internationaux.

Dans ce contexte en mutation, la Syrie est aussi un pays d’accueil pour un demi-million de Palestiniens qui jouissent de droits inégalés comparés à ceux des réfugiés palestiniens dans les autres États arabes. L’État syrien a accordé ces droits sept ans avant la prise du pouvoir par le parti Baas dominant. La réalité des Palestiniens en Syrie qui jouissent de ces droits, ajoutée à la place de la Palestine dans l’idéologie et la rhétorique nationalistes arabes du régime, a aidé à renforcer la crédibilité nationaliste arabe du régime.

Cette crédibilité n’inclut pas seulement la cause palestinienne et le soutien matériel au Hamas et au Hezbollah, mais encore sa façon de traiter les Palestiniens dans le pays comme « des frères arabes jusqu’à leur retour ».

Cela pourrait plus tard jouer un rôle dangereux dans un retournement contre la communauté si le pays était plongé dans l’abîme d’une guerre civile. Dans le pire des scénarios, le sort des Palestiniens en Syrie pourrait prendre certains aspects du sort des quelque 30 000 réfugiés palestiniens en Iraq, à la suite de l’occupation américaine de ce pays, et notamment la perte du statut de réfugié permanent et une persécution collective.

Dans le même temps, cette crédibilité n’est pas sans contradictions. Des contradictions qui proviennent de ce que l’intellectuel et écrivain syrien dissident, Michel Kilo, notait comme l’absurdité des intérêts et des politiques nationalistes, nationale et étrangère, du régime. Les contradictions découlant de cette absurdité, cependant, ont été latentes et moins prononcées pour les réfugiés jeunes. Ceux-ci ne font pas que former la majorité de la population palestinienne, ils n’ont jamais fait par eux-mêmes l’expérience de la manifestation de ces contradictions, comme au moment des affrontements entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le régime syrien au Liban.

Pourtant, par une bizarrerie du sort, cette histoire et cette absurdité, encore plus accentuées ces derniers temps à cause de la crise et aussi de la force relative, en nombre, de la communauté, pourraient bien voir les Palestiniens essuyer la tempête, le pire des scénarios, d’une transition violente en Syrie.

Les marches du retour ont mis les projecteurs sur les réfugiés palestiniens

Les Palestiniens en Syrie ont été poussés sous les feux des projecteurs quand, en mai 2011, au 63e anniversaire de la Nakba - la destruction méthodique de la société palestinienne et l’expulsion des Palestiniens lors de la création de l’État d’Israël -, les jeunes réfugiés ont participé à une marche vers la Palestine historique.

Surnommée « La Révolution des réfugiés », cette marche était une initiative des jeunes refugiés inspirée par la ferveur révolutionnaire qui soufflait de la Tunisie à l’Égypte, et plus encore après l’éviction de Zine al-Abidine Ben Ali du pouvoir en Tunisie. Cette journée a connu un travail sans précédent de coordination au niveau régional par les réfugiés pour marcher vers les foyers et les terres des familles, aujourd’hui sous le contrôle de l’État d’Israël. Contrairement aux jeunes réfugiés ailleurs, la jeunesse palestinienne et syrienne a traversé la frontière avec le plateau du Golan occupé, et a pénétré dans la ville syrienne, sous occupation israélienne, de Majdal Shams. Un jeune homme palestinien, né en Syrie, Hassan Hijazi, est allé de Majdal Shams jusque dans la maison de sa famille, à Jaffa, et, avec un air de défi, il a réalisé son acte symbolique du retour, publiquement, à la télévision israélienne.

L’armée israélienne n’a pas tardé à accuser l’Iran, le Hamas et le Hezbollah, et les Américains ont été prompts aussi à décrier l’ « incitation » de la Syrie. Les deux faisaient commodément abstraction du fait que, même si la marche n’avait pu avoir eu lieu sans l’autorisation de l’État, elle avait été organisée par les jeunes réfugiés, dont certains ont payé le prix maximum en donnant leur vie pour leur initiative.

Trois semaines plus tard, tentant de répéter l’évènement du 44e anniversaire de la Naksa - occupation israélienne en 1967 du reste de la Palestine alors sous domination jordanienne, du plateau du Golan et de la péninsule égyptienne du Sinaï -, l’armée israélienne se surpassait en tuant bien plus de manifestants non armés que la première fois, certains rapports indiquant au moins le nombre de 23 tués.

Dans un entretien avec Al Jazeera (anglais), le porte-parole du gouvernement israélien et chef de la propagande, Mark Regev, a justifié les morts par des raisons de sécurité. Il a accusé les réfugiés d’avoir constitué une « foule » de « ressortissants ennemis » et amené les soldats israéliens, qui dès lors avaient le droit de « défendre » le territoire syrien occupé illégalement contre ces incursions « violentes », à utiliser leurs armes. (Vidéo : La violence marque la Naksa dans le plateau du Golan).

A la suite des cortèges funéraires pour ceux qui avaient perdu la vie lors de la marche du Jour de la Naksa, un certain nombre de récits divergents ont émergé à propos de fusillades et de meurtres de « pleureurs furieux » ou de « fanatiques » aux mains des gardes du quartier général du FPLP-CG (Front populaire pour la libération de la Palestine - Commandement général), groupe dissident du FPLP soutenu par l’ancienne Autorité.

Les faits se sont passés dans le camp de Yarmouk, une banlieue de Damas où vivent un tiers des Palestiniens du pays ainsi que des Syriens parmi les pauvres. Ces tirs auraient fait suite à des confrontations commencées pendant les cortèges funéraires entre des « pleureurs furieux » ou des « fanatiques » et, d’après des témoins, des chefs de faction de chez eux pour leur implication dans les marches. Ils auraient ensuite encerclé le siège du FPLP-GC, où les fusillades ont eu lieu, mettant le feu au bâtiment.

Dans une conférence de presse, le dirigeant du FPLP-GC, Ahmad Jibril, a nié toute responsabilité dans les fusillades, mettant en avant que le FPLP-CG avait perdu trois gardes durant l’attaque de leur siège, alors qu’il n’y avait eu qu’un attaquant et un passant de touchés par des balles. Ceux qui sont descendus au quartier général de la faction, a affirmé Jibril, ont été poussés par l’Arabie saoudite et par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, parmi d’autres agents provocateurs, afin d’entraîner de force les Palestiniens en Syrie dans les évènements en cours du pays. Il a nié également l’implication de son mouvement dans l’organisation des cars qui avaient conduit les jeunes à la frontière, le jour de la marche.

Quelle que soit la vérité sur ce qu’il s’est passé dans le camp de Yarmouk, au premier abord les fusillades semblent corroborer le récit problématique israélien et américain selon lequel les jeunes réfugiés palestiniens n’auraient été que des marionnettes instrumentalisées, indépendamment de savoir si c’était des pleureurs furieux ou des foules de fanatiques qui sont descendus sur le quartier général du FPLP-CG.

Toutefois, si l’on tient compte de la volonté politique propre aux jeunes réfugiés, les faits au quartier général du FPLP-CG peuvent aussi être vus comme une expression de la colère populaire face à une tentative intéressée, par des factions basées à Damas, de détourner et capitaliser l’initiative lancée par les jeunes.

Ainsi, si le cadrage des faits par les Israéliens et les Américains a servi à occulter les jeunes Palestiniens en tant que réfugiés des troisième et quatrième générations et revendiquant par eux-mêmes le droit consacré par la loi au retour sur leurs terres, ce que les meurtres à la frontière et les fusillades à Yarmouk soulignent irrévocablement, ce sont les intérêts contradictoires de toutes les parties impliquées dans les marches : le régime, les factions et la jeunesse.

Les Palestiniens en Syrie, seuls et non représentés

A l’instar des rapports contradictoires sur les fusillades à Yarmouk, il y a eu aussi d’autres rapports qui divergeaient sur l’étendue de la participation palestinienne aux évènements en Syrie. Dès mars 2011, un article a été publié dans le journal syrien al-Watan - journal « privé » appartenant à Rami Makhlouf, cousin du président syrien Bashar al-Assad - sur les « Palestiniens extrémistes » de Deraa, ville du sud où le soulèvement a démarré, qui ont saboté la ville en se livrant au vandalisme, à des émeutes, des pillages et des incendies criminels.

Cet article porte aussi une condamnation - et donc un aveu - de l’implication palestinienne par une source palestinienne « de premier plan » à Damas, condamnation qui, le lendemain, sera démentie et contredite dans le même journal par un membre du bureau politique du FPLP-CG. Au cours de la même semaine, dans une interview à la BBC (arabe), le conseil d’al-Assad, Buthayna Sha’ban, a pointé du doigt, entre autres, la population d’ « un camp » qui était descendue sur la ville côtière de Latakia et avait commencé à brûler et vandaliser les magasins, tuant deux membres de la sécurité et un manifestant.

Jibril a très vite nié cette prétendue implication palestinienne auprès d’al-Watan, indiquant que la confusion officielle provient du fait que le camp de Latakia est adjacent à un secteur où se trouvent le gouvernorat d’Idlib et d’autres migrants venus des villes et des campagnes, et qui sont les vrais coupables. Cette confusion, poursuit Jibril dans sa déclaration, est la même que celle sur l’indentification des véritables auteurs des émeutes à Deraa. Les émeutiers de Deraa, comme cela est apparu plus tard, n’étaient pas les Palestiniens, ils venaient d’un secteur mitoyen avec le camp de Deraa, où vivent des Syriens, déplacés internes depuis le Golan.

Des « sources » chez les déplacés internes syriens ont-elles aussi nié leur implication auprès du même journal dès mars. Pour compliquer encore les choses, tandis que Jibril s’est montré impatient de dissocier les Palestiniens de ce qu’il pointait du doigt précédemment, la coalition des factions basées à Damas, connue sous le nom d’Alliance des forces palestiniennes, comprenant le FPLP-CG de Jibril, s’empressait de dénoncer le communiqué de presse de l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine au Moyen-Orient, qui relevait des tirs nourris à l’intérieur du camp de Latakia en août 2011.

Si un simple filet d’eau peut séparer les Palestiniens des migrants ruraux et urbains vivant à proximité du camp de Latakia dans le quartier d’al-Rami, comme la réponse en mars de Jibril à Sha’ban l’affirme, alors cette démarcation soulève une question importante pour les membres de l’Alliance des forces palestiniennes : comment l’artillerie lourde a-t-elle pu distinguer ce filet d’eau cinq mois plus tard ?

Cette question est particulièrement pertinente étant donné la réponse du directeur de l’Autorité générale pour les réfugiés arabes palestiniens - la plus haute instance responsables pour les Palestiniens en Syrie - à la déclaration de l’UNRWA sur les évènements entourant le camp de Latakia. Il n’a pas fait que démentir la déclaration, il a aussi confirmé que « la question » qui était « abordée » avait eu lieu dans « le secteur voisin du camp » et non dans le camp lui-même.

Dans le même temps, des experts de Ramallah proches de l’Autorité palestinienne ont rejoint également le mouvement sur les évènements de Latakia pour suggérer que le régime avait effectivement ciblé des Palestiniens sur la base de leur identité nationale. L’un d’eux allait plus loin en rappelant la « guerre des camps » - une phase de la guerre civile libanaise qui a vu le régime syrien et ses alliés libanais assiéger et faire la guerre à une remontée du Fatah dans les camps palestiniens du Liban - une affirmation qui obscurcit tout autant les choses que la réponse de l’Alliance des forces à l’UNRWA.

Ceci parce qu’il occulte la réalité des espaces ethniquement hétérogènes et ouverts que sont les camps palestiniens en Syrie - à la périphérie desquels vivent souvent des Syriens parmi les plus pauvres, faisant confondre les camps avec l’intérieur des secteurs adjacents - et ainsi l’importance des évènements dans une ville qui est réputée avoir subi des tirs nourris et qui s’avère aussi comporter un camp de réfugiés palestiniens.

De tels récits polarisés sur les Palestiniens en Syrie par ceux qui prétendent représenter leurs intérêts, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, soulignent la divergence d’intérêts de ces porte-parole autoproclamés. Ils soulignent aussi à quel point les Palestiniens en Syrie sont seuls et non représentés dans ces temps éprouvants.

Deuxième partie

Une version plus complète antérieure de cet article a été publiée sous le titre « Un an après : les Palestiniens en Syrie » dans le bulletin de l’Association des études syriennes.

Anaheed Al-Hardan est stagiaire post-doctoral à l’Institut pour l’enquête culturelle à Berlin, Allemagne, où elle écrit un livre sur les souvenirs de la Nakba de 1948 dans la communauté des réfugiés palestiniens en Syrie.

12 juillet 2012 - The Electronic Intifada - traduction : Info-Palestine.net/JPP


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