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Syrie : la tierce partie, la plus sanglante...

vendredi 18 mai 2012 - 06h:59

Abdel Bari Atwan

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À un moment où l’opposition syrienne connaît un fort conflit interne qui la menace à la fois elle-même et le peuple syrien qu’elle représente, une troisième force armée a émergé, mettant de côté de nombreuses théories auparavant considérées comme établies sur le soulèvement syrien.

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Jouant le rôle de relais pour l’Occident comme pour Israël, les pays du Golfe sont très certainement à l’origine des attentats particulièrement sanglants qui ont frappé la Syrie - Photo : AFP/Louai Beshara

Le report par la Ligue arabe de la conférence de l’opposition syrienne renforce la possibilité de l’existence d’une tierce partie, qui a une vision claire de ses objectifs et est la plus coordonnée et lourdement armée. La conférence devait avoir lieu demain et le jour suivant. Elle a été reportée après que le Conseil national de la Syrie s’en soit retiré, et deux autres réunions ont eu lieu à la place, l’une à Rome, l’autre en Turquie.

Les deux attentats-suicides qui ont eu lieu le 10 mai et qui ont ciblé un bâtiment de la sécurité et un siège politique à Alep et Idlib sont considérés comme des présages de ce qui pourrait arriver à la Syrie dans les prochaines semaines, mois et années.

Avant le 1° décembre 2011, personne n’avait entendu parler d’attaques-suicides en Syrie. Mais depuis le pays a connu 11 attentats-suicides, dont l’échelle a graduellement augmenté, entraînant la mort de 55 personnes dans les deux dernières attaques.

Choisir les villes d’Alep et de Damas en particulier, comme cibles pour les attentats à la bombe n’est pas un choix aléatoire. Les deux villes n’ont pas participé à l’insurrection syrienne contre le régime, et si elles l’ont fait, c’était d’une façon très limitée et seulement dans les zones rurales environnantes.

Le but derrière le ciblage de la sécurité est de transformer l’image du régime dans les esprits de ses partisans. Ces attaques sont également considérées comme un avertissement pour la classe moyenne syrienne, composée d’hommes d’affaires et de professionnels qui soutiennent le régime syrien et auront alors à choisir entre deux options : soit fuir le pays, comme ce fut le cas en Irak, soit rejoindre l’opposition. Ils auront à supporter les conséquences de vouloir conserver leur position actuelle.

L’opposition a accusé le régime syrien d’organiser les attaques, disant qu’al-Qaïda est derrière elles dans le but d’obtenir le soutien du monde occidental, exactement comme a voulu le faire le Colonel Mouammar Kadhafi, même si personne ne le croyait à cette époque. L’Armée Syrienne Libre a confirmé par son commandant, le colonel Riyad al-Assad, qu’elle n’avait pas les capacités pour mettre en ?uvre ces opérations - et c’est certainement exact.

Toutefois, les deux puissances mondiales qui mènent une guerre froide en Syrie, à savoir les États-Unis et la Russie, se sont accordées en accusant Al-Qaïda. Léon Panetta, le secrétaire à la Défense des Etats-Unis, a affirmé qu’Al-Qaïda était présent en Syrie, et le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Gennady Gatilov, a dit la même chose.

Personne ne peut acquitter totalement le régime d’être derrière ces attaques, ce rôle restant plausible. Mais le régime n’utiliserait pas des kamikazes dans des voitures piégées avec l’objectif de détruire ses services de sécurité et ses sièges politiques au risque de perdre son prestige, qui est la dernière chose qui l’aide à s’accrocher au pouvoir.

Si ce régime est apte au mensonge et à la tromperie, l’opposition est censée fournir une image différente, pour prouver sa crédibilité dans l’esprit des citoyens syriens et devant le reste du monde.

Des groupes islamistes militants n’ont pas besoin de permission pour entrer en Irak, en Libye, en Afghanistan, au Yémen, en Algérie et au Pakistan. En conséquence, ils n’ont aucun besoin de permission pour entrer en Syrie, ou dans tout autre lieu où ils sont disposés à pratiquer leur djihad contre les régimes qu’ils considèrent comme non-islamiques.

J’ai commencé à croire fortement qu’il existe une troisième force en Syrie, venant peut-être d’Irak, de Jordanie et du Liban et qui est maintenant armée par des Etats du Golfe, peut-être l’Arabie saoudite, qui a publiquement appelé au renversement du régime syrien, exactement comme il l’a fait plus tôt avec la Libye, l’Afghanistan et le Yémen.

Cette nouvelle force djihadiste n’a nullement dans ses priorités un changement démocratique en Syrie, ni nulle part ailleurs. Elle n’a rien à voir avec le printemps arabe et ses révolutions. Elle pratiquait les opérations djihadistes il y a déjà plusieurs décennies, avant que le printemps arabe ne débute. Elle est en dehors du contrôle de l’opposition comme du régime en place, et elle pourrait se débarrasser des deux à la fois si elle réussit dans ses plans.

« Jabhat al-Nusra Li-Ahl al-Sham » - ou « Le front de soutien pour le peuple de Sham » (« Sham » étant un autre nom pour la Syrie et Damas) - a distribué une vidéo où il revendique la responsabilité des deux attaques-suicides à Damas et à Alep, en plus d’autres attaques similaires. Son porte-parole a affirmé que les musulmans sunnites en Syrie avait besoin d’être protégés contre l’oppression du groupe alaouite chiite au pouvoir en Syrie qui « paiera un lourd tribut ».

Le régime syrien fait usage de ces opérations suicides afin d’appliquer ses solutions de sécurité sanglantes, tandis que l’opposition syrienne se trouve mise en grande difficulté, parce que la présence de ces groupes en Syrie pourrait conduire à un retard, si ce n’est pas à un réexamen des projets d’intervention étrangère. Ce retard serait alors dû à la crainte d’une répétition du scénario irakien qui a entraîné la mort de 5000 soldats [des forces d’occupation] et a fait 30 000 blessés, en plus de la perte de 1000 milliards de dollars. Les forces d’invasion sont finalement parties après avoir subi une défaite, laissant le pays sous la coupe de l’Iran.

Les perspectives d’intervention militaire occidentale en Syrie sont très faibles à l’heure actuelle, pour plusieurs raisons : la Russie et la Chine guettent toute résolution internationale légalisant cette intervention et elles utiliseront leur droit de veto pour contrecarrer ce projet. La Syrie n’est pas militairement faible, comme l’étaient la Libye et l’Irak qui ont été assiégés pendant des années avant que l’OTAN n’impose un changement de régime. La chose la plus importante est que la Syrie n’est pas un état riche en pétrole ou en gaz, et que son opposition est désunie.

Même si cette intervention est planifiée, elle ne sera pas mise en ?uvre avant les élections présidentielles américaines, et pas avant qu’une décision définitive soit prise au sujet du programme nucléaire de l’Iran. L’Amérique et ses alliés ne lanceront pas une guerre contre la Syrie aujourd’hui, puis une autre contre l’Iran six mois après. Par conséquent, les choses ne s’éclairciront qu’après les élections américaines du début de novembre prochain.

Si le but ultime des groupes de militants islamistes est de renverser le régime syrien, alors leur objectif à court terme est de saboter la mission internationale de Kofi Annan qui cherche une solution politique à la crise en Syrie. Comment un dialogue peut-il s’instaurer entre le régime et l’opposition avec la présence d’une troisième force s’imposant à travers des attentats, des opérations suicides et des voitures piégées ?

La Syrie se dirige vers une grave situation de chaos et de guerre civile inter-confessionnelle, une guerre qui affaiblit le régime et porte atteinte à ses principaux atouts, même si elle ne conduit pas à sa chute. Ce qui est arrivé à Tripoli au nord du Liban, où des affrontements armés se sont déjà produits entre les gens de communautés sunnites et alaouites et ont fait des morts et des blessés des deux côtés, n’est rien qu’un avant-goût de cette guerre.

Cette guerre sectaire, dont le régime est tenu pour responsable, pourrait se développer en une guerre régionale entre la plupart des pays de la région. Si la guerre entre Ottomans et Séfévides, qui a éclaté en 1514, a duré un siècle, alors combien de temps faudra-t-il pour que cette nouvelle guerre régionale et sectaire si elle éclate, se termine et dans quel état serait la région pendant et après un tel conflit ?

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

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15 mai 2012 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.abdelbariatwan.com/Syria...
Traduction : Info-Palestine.net - al-Mukhtar


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