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En Israël, le détachement de la réalité est à présent la norme

mardi 27 janvier 2009 - 05h:42

Patrick Cockburn - The Independent

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Quelque chose aurait changé, tant d’années après Sabra et Chatila ?

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Enterrement ultra-orhodoxe. Une société en cours de fossilisation ? - photo : AP

Je regardais le superbe dessin animé documentaire « Valse avec Bachir » au sujet de l’invasion israélienne du Liban en 1982. Le film atteint son paroxysme avec le massacre d’environ 1700 Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila au sud de Beyrouth. L’armée israélienne avait introduit les milices chrétiennes dans les camps et se tenait aux premières loges pour suivre la boucherie.

A quelques minutes de la fin, le film passe du dessin animé à des actualités brutales dans lesquelles des femmes palestiniennes hurlent de chagrin et d’horreur quand elles découvrent les corps criblés de balles de leurs proches. Et juste derrière les femmes, je suis avec un petit groupe de journalistes qui étaient arrivés au camp peu après la fin de la tuerie.

Le film raconte l’histoire de son réalisateur, Ari Follman, qui savait qu’il avait été à Sabra et Chatila en soldat israélien et il essaie de découvrir pourquoi il a refoulé tout souvenir de ce qui lui est arrivé et le degré de complicité israélienne dans le massacre.

En sortant du cinéma, je me suis rendu compte que moi aussi j’avais refoulé mes souvenirs de cette horrible journée. Je n’ai même pas retrouvé de coupure de presse de l’article que j’avais écrit à ce sujet pour le « Financial Times » qui m’employait à l’époque. Même maintenant, ma mémoire est brumeuse et fragmentaire, bien que je me souvienne clairement de l’éc ?urante odeur sucrée des corps qui commençaient à se décomposer, des mouches qui s’agglutinaient autour des yeux des femmes et des enfants morts, des membres et des têtes maculés de sang dépassant de la terre déversée par les bulldozeurs qui avaient vaguement essayé d’ensevelir les corps.

Peu après avoir vu « Valse avec Bachir », j’ai vu à la télévision les images de corps palestiniens brisés par les bombes et les obus israéliens à Gaza le 22e jour du bombardement. Au début, j’ai pensé que peu de choses avaient changé depuis Sabra et Chatila. Une fois de plus, on sortait la même vieille excuse insultante selon laquelle, d’une manière ou d’une autre, Israël n’était pas à blâmer. Le Hamas utilisait les civils comme boucliers humains et de toute façon - argument avancé un peu plus furtivement - les deux tiers de la population de Gaza avaient voté pour le Hamas et méritaient donc ce qui leur arrivait.

Mais de retour à Jérusalem, dix ans après y avoir travaillé comme correspondant pour « The Independent » de 1995 à 1999, je constate que si Israël a beaucoup changé, c’est en pire. Il y a beaucoup moins de contestation qu’auparavant et la contestation est le plus souvent considérée comme de la déloyauté.

La société israélienne a toujours été repliée sur elle-même, mais ces jours-ci elle me rappelle plus que jamais les unionistes d’Irlande du Nord de la fin des années 60 ou les chrétiens libanais des années 70. Tout comme Israël, il s’agissait de communautés animées d’une mentalité de siège très poussée qui les conduisait toujours à se voir en victimes même quand c’étaient elles qui tuaient les autres. Il n’y avait pas de regrets et on ne savait même pas ce que l’on infligeait à autrui ; par conséquent, toutes représailles de l’autre partie étaient considérées comme une agression non provoquée, inspirée par une haine aveugle.

À Sabra et Chatila, le premier journaliste à avoir découvert le massacre était un Israélien qui a désespérément essayé de le faire arrêter. Cela ne se passerait pas ainsi aujourd’hui parce qu’il a été interdit aux journalistes israéliens et à tous les journalistes étrangers d’entrer à Gaza avant le début du bombardement israélien. Il a été ainsi beaucoup plus facile au gouvernement de faire accepter la version officielle du grand succès remporté par l’opération.

Personne ne croit autant la propagande que celui qui la propage et c’est ainsi qu’Israël voit le monde extérieur d’une façon de plus en plus détachée de la réalité. Un universitaire aurait dit que l’opinion des Arabes au sujet de ce qui se passait en Israël leur venait de ce que les Israéliens disaient d’eux-mêmes. Donc, si les Israéliens disaient qu’ils avaient gagné à Gaza, à l’inverse de ce qui s’était passé au Liban en 2006, les Arabes le croiraient et de ce fait la dissuasion israélienne serait rétablie par magie.

On tolère de moins en moins la contestation, et la situation pourrait bien empirer. Benjamin Netanyahou - qui a contribué à enterrer les accords d’Oslo avec les Palestiniens la dernière fois qu’il était premier ministre de 1996 à 1999 - gagnera probablement les élections le 10 février. La seule chose que l’on ne sait pas encore, c’est de combien l’extrême droite progressera.

Cette semaine, les membres de l’extrême droite ont fait connaître leur position, comme par exemple Avigdor Lieberman, président du parti Ysrael Beitenu, qui selon les sondages devrait obtenir des résultats particulièrement bons lors des élections ; Lieberman a soutenu la disqualification des deux partis israéliens arabes, les empêchant de se présenter aux élections. Il a averti leurs représentants : « Pour la première fois nous examinons la différence entre loyauté et déloyauté ». « Nous nous occuperons de vous comme nous nous sommes occupés du Hamas » .

22 janvier 2009 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction de l’anglais : Anne-Marie Goossens


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