Quand se laisser mourir de faim est un ultime acte de résistance...
dimanche 7 février 2016 - 19h:51
Ramzy Baroud
Le vendredi 29 janvier, le journaliste palestinien Mohammed al-Qiq a franchi les 66 jours de grève de la faim dans les prisons israéliennes. Juste avant qu’il ne soit tombé dans le coma pour la troisième fois, il avait envoyé un jour plus tôt un message public à travers ses avocats, qui résumé à l’essentiel disait : la liberté ou la mort.
- Muhammad al-Qiq sur son lit d’hôpital - Photo : Haaretz
Al-Qeq est âgé de 33 ans, marié et père de deux enfants. Des photos de lui circulant en ligne et affichées dans les rues palestiniennes, montrent le visage d’un bel homme, portant des lunettes. La réalité est cependant tout à fait différente. « Il est dans une très mauvaise situation. Il est tombé dans son troisième coma ces derniers jours, et son poids a chuté de 30 kilogrammes, » a dit Ashraf Abu Sneina, l’un des avocats d’al-Qiq, à al-Jazeera. Al-Qiq a été kidnappé et gardé en détention en vertu d’une loi israélienne tristement célèbre appelée la loi de « détention administrative ».
De sinistres prédictions sur la mort imminente d’al-Qiq sont faites chaque jour, avec aucune fin en vue de son martyre. Malheureusement pour cet homme qui a décidé que le seul moyen de défense et de protestation dont il dispose était son corps, il a contre lui l’apartheid israélien, la Croix-Rouge et d’autres groupes internationaux à qui il a fallu de longs délais pour se préoccuper du cas de ce journaliste qui refuse toute alimentaire et traitement médical depuis le 24 novembre 2015.
Al-Qiq travaille pour le réseau saoudien de télévision Almajd, et il a été enlevé à son domicile à Ramallah le 21 novembre. Dans son communiqué, publié plus de 60 jours après qu’il soit entré en grève de la faim, le CICR a décrit la situation comme « critique », indiquant clairement la réalité, à savoir que la vie d’Al-Qiq « est en danger. »
Le 27 janvier, l’Union européenne a également exprimé son point de vue, disant être « particulièrement préoccupée » par la détérioration de la santé d’al-Qiq.
Conformément à sa loi de « détention administrative », Israël retient en détention des prisonniers Palestiniens et arabes sans fournir de raisons et ce depuis que l’État [sioniste] a été fondé en 1948. En fait, cette loi qui est principalement fondée sur des « preuves secrètes » remonte aux mesures d’exception prises par le gouvernement britannique à l’époque du mandat sur la Palestine.
Après qu’Israël ait occupé la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est en 1967, il s’activa frénétiquement pour trouver quelque justification légale que ce soit au fait d’emprisonner les gens sans avoir à les soumettre à un procès. Ces efforts ont finalement abouti à la Loi israélienne des autorités de l’état d’urgence en 1979.
Cette loi était une sorte de compromis entre le renseignement intérieur (Shin Bet), l’État et le système judiciaire, dans le but de fournir une façade et un apparent fondement juridique pour ce qui est considéré par le droit international et par la plupart des pays comme parfaitement illégal. Le Shin Bet a donc été autorisé à utiliser toutes les mesures coercitives possibles - y compris la torture physique et psychologique - pour obtenir des aveux « forcés » de prisonniers palestiniens au cours de ces six mois de détention - renouvelables par simple ordonnance du tribunal - sans procès ni accusations.
Khader Adnan, âgé de 37 ans et originaire de Jénine, est resté sous le coup de la détention administrative pendant des années. Le renseignement israélien n’avait aucune charge pour l’inculper, malgré les accusations selon quoi il aurait été un membre important de l’organisation du Jihad islamique. Il a été libéré le 12 juillet 2015. Il a survécu à plusieurs grèves de la faim, et deux particulièrement longues : au début de 2012, sa grève de la faim a duré 66 jours et en mai 2015, une seconde grève a duré 56 jours.
Chaque fois, Adnan a atteint le point où la mort, comme dans le cas d’al-Qiq, était de plus en plus une possibilité réelle. Lorsque nous lui avons demandé ce qui l’avait obligé à suivre cette voie dangereuse à deux reprises, sa réponse a été immédiate : « les arrestations répétées, la sauvagerie de la façon dont je fus arrêté, la brutalité de l’interrogatoire et enfin la détention administrative prolongée » - bien sûr sans procès.
Les détentions administratives sont comme des trous noirs juridiques. Elles ne permettent aucune échappatoire et le prisonnier ne dispose d’aucun droit, mais donnent du temps aux tortionnaires de briser le moral du prisonnier, de le forcer à renoncer, et même à admettre sous la torture des choses qu’il n’a jamais commises. « C’est notre seul et dernier choix », dit Mohammed Allan, âgé de 33 ans et originaire de Naplouse, qui a suivi une grève de la faim si longues que celle-ci a produit des lésions cérébrales et a failli lui coûter la vie.
« Quand vous sentez que toutes les portes sont fermées, et que vous vous tenez là humilié et seul, sachant à l’avance que le système judiciaire est une mascarade, on se retrouve sans aucune autre option qu’une grève de la faim, » dit-il.
« D’abord, je fis part de mes intentions clairement en refusant trois repas à la file l’un de l’autre, et en envoyant une note écrite par le Dover (prisonnier parlant hébreu qui sert de porte-parole pour un quartier de la prison). Puis, la souffrance commence. C’est comme une guerre psychologique entre les autorités de la prison, L’État et les institutions contre un seul individu » qui - raconte Allan - dure de 50 à 60 jours.
« Presque instantanément un gréviste de la faim est jeté dans l’isolement, se voit refuser le droit à un matelas et à une couverture et à d’autres nécessités de base. Seulement au bout de six semaines environ, les autorités pénitentiaires israéliennes acceptent de parler aux avocats représentant les grévistes de la faim pour discuter de diverses propositions. Mais dans ce laps de temps, le prisonnier est laissé entièrement nu, séparé des autres prisonniers et soumis à une campagne ininterrompue d’intimidation et de menaces. La torture mentale est bien pire que la faim », dit Allan.
« Vous ne pouvez même plus aller aux toilettes ; vous ne pouvez pas tenir debout sans aide et vous êtes même trop faible pour essuyer le vomi qui jaillit involontairement hors de votre bouche et se répand dans votre barbe et sur votre poitrine. »
Allan a failli mourir en prison, et en dépit d’une ordonnance de la cour qui a permis aux autorités pénitentiaires de le gaver (une pratique considérée au niveau internationale comme une forme de torture), les médecins de l’hôpital Soroka ont refusé de suivre cette voie. À la mi-août 2015, Allan a été mis sous perfusion quand il a perdu conscience. Sa très grave malnutrition a entraîné des dommages cérébraux.
Un troisième gréviste de la faim ensuite libéré, Ayman Sharawneh, originaire de Dura près d’Hébron - mais qui a été expulsé à Gaza - parle des grèves de la faim comme de la « dernière balle » dans un combat pour la liberté qui peut conduire à la mort. Sharawneh, comme Adnan et d’autres à qui nous avons parlé, était amer à propos de l’absence d’un soutien adéquat, alors qu’il était mourant en prison.
« Toutes les organisations, palestiniennes ou internationales, font généralement défaut, » dit-il. « Ils finissent par passer à l’action alors que le prisonnier a déjà connu de nombreux jours de torture. »
Deux ans et 8 mois après qu’il ait été expulsé vers la bande de Gaza, il éprouve toujours une sévère douleur dans tout son corps, en particulier au niveau des reins.
En suivant cette grève de la faim prolongée, dit-il : « Je commençais à perdre mes cheveux, à souffrir de nausées constantes et de vives douleurs dans mes intestins, à vomir un liquide jaune, puis sombre, et finalement je ne pouvais plus rien voir. J’ai eu un mal de tête atroce et je commençais à souffrir de crevasses partout sur peau et sur tout le corps ».
Sharawneh est d’accord avec Adnan que les « grèves de la faim individuelles » ne doivent pas être comprises comme un acte auto-centré. « Mohammed al-Qiq n’est pas en grève pour lui-même », dit Adnan. « Il est en grève au nom de tous les prisonniers politiques », dont le nombre est estimé par le groupe Addameer de défense des droits des prisonniers, à près de 7000.
Selon Adnan, la question de la grève de la faim ne doit pas être considérée comme une bataille dans les prisons israéliennes, mais comme faisant partie intégrante de la lutte du peuple palestinien contre l’occupation militaire.
Alors que les trois anciens prisonniers ont affirmé leur solidarité avec al-Qiq, ils ont appelé à une plus grande aide pour le journaliste en grève de la faim et pour des milliers comme lui, dont beaucoup sont également détenus indéfiniment sous le régime de la détention administrative.
La liste des Palestiniens grévistes faim connus, dépasse al-Qiq, Adnan, Allan et Sharawneh et comprend beaucoup d’autres, sans oublier Samir Issawi, Hana Shalabi, Thaer Halahleh et Bilal Thiab. Mais ce que l’ensemble de ces anciens grévistes de la faim semblent avoir en commun, c’est leur insistance pour expliquer que leurs combats ne doivent pas être considérés comme des combats individuels pour la liberté de quelques-uns, mais pour la liberté de tout un peuple désespéré, opprimé et indigné.
* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net
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2 février 2016 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah