K. Habib : L’OCI s’est couchée à l’injonction d’Abdallah Ibn Abdelaziz
M. Saadoune : Le poison sectaire
samedi 18 août 2012 - 09h:17
K. Habib/M. Saadoune - Le Quotidien d’Oran
En Syrie, la mécanique aveugle est en train d’aller jusqu’au bout...
L’OCI s’est couchée à l’injonction d’Abdallah Ibn Abdelaziz
par Kharroubi Habib
Le sommet extraordinaire de l’Organisation de la coopération islamique convoqué à La Mecque par le potentat saoudien Abdallah Ibn Abdelaziz a donné satisfaction à celui-ci en prononçant la suspension de l’adhésion de la Syrie à l’OCI. Pour justifier sa décision, le sommet a argué de l’échec de l’ex-émissaire international en Syrie Kofi Annan à appliquer son plan de paix en six points et par « l’obstination des autorités syriennes à suivre l’option militaire pour un règlement de la crise qui secoue leur pays depuis 17 mois ».
Sous la pression conjuguée des monarchies de la péninsule arabique et des Occidentaux qui font cause commune dans la crise syrienne, l’OCI a donc avalisé leur point de vue qui impute au seul régime de Damas la responsabilité de la crise et des violences dont la Syrie est le théâtre. Il s’est rallié à cette thèse alors qu’il est devenu évident, comme l’a signifié Kofi Annan dans son rapport, que l’échec de son plan de paix n’incombe pas uniquement à la partie officielle syrienne mais aussi aux autres protagonistes syriens et internationaux de la tragédie. La suspension de l’adhésion de la Syrie prononcée par ce sommet se justifierait si les participants avaient en même temps appelé les autres protagonistes du drame syrien à mettre eux aussi fin à leur obstination à la poursuite de l’option militaire.
Comment dans ces conditions les participants au sommet espèrent être entendus par le régime de Damas qu’ils ont exhorté à la « cessation immédiate de tous les actes de violence » quand les autres parties mènent contre lui une guerre généralisée et auxquelles ils n’ont pas demandé d’y mettre fin.
Le sommet de l’OCI a pris la décision qu’attendait de lui l’initiateur de sa convocation. Celle de renforcer l’isolement international du régime de Bachar El-Assad. Elle permet en tout cas aux puissances régionales et internationales décidées à faire tomber ce régime de s’en prévaloir comme une caution de plus à leur plan d’intervention militaire dont il est manifeste qu’elle est déjà engagée. La visite à Ankara de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, suivie du périple entamé dans la région par Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, ont eu pour but d’accélérer le processus de cette intervention à laquelle poussent de leurs côtés l’Arabie Saoudite et le Qatar.
Il en résulte que la violence en Syrie va atteindre son paroxysme et déborder de la seule scène syrienne, car le régime de Damas et ses alliés régionaux et internationaux ne sont pas décidés à subir sans réagir. Dans ces conditions, il apparaît que l’éventuelle médiation internationale dont la reprise pourrait être confiée à notre compatriote Lakhdar Brahimi est d’ores et déjà mission impossible même pour un diplomate aussi chevronné et respecté que lui. Et la prise de position partiale adoptée par l’OCI à l’instigation des monarchies arabes a par avance signé son échec.
Tant elle donne à comprendre que relance ou pas de la médiation internationale, l’objectif unique que poursuivent ceux qui l’ont inspiré est de chasser le régime syrien par la force. Et l’ont sait que leur détermination ne doit rien à la compassion à l’égard de la tragique situation dans laquelle le peuple syrien est plongé, qu’ils étalent hypocritement et cyniquement comme étant la seule motivation qui justifie leur alliance contre le régime de Bachar El-Assad.
Le poison sectaire
par M. Saadoune
Le pire n’est jamais sûr, il n’est jamais exclu. Dans les pays institutionnalisés et structurés, des institutions existent pour imaginer les scénarios du pire, susciter les alertes et réfléchir aux moyens de l’éviter. Dans les pays fermés où mêmes les institutions qui sont censées réfléchir sont astreintes aux règles des allégeances et de la soumission, le pire n’est jamais envisagé. Il arrive simplement. Toujours, comme s’il était tombé du ciel.
En Syrie, la mécanique aveugle est en train d’aller jusqu’au bout (et on ne voit pas ce que Lakhdar Brahimi va faire dans cette galère), le pouvoir comme l’opposition pariant sur un changement « qualitatif » sur le terrain militaire. Pourtant, toutes les données indiquent que c’est une longue guerre d’usure qui s’installe. Il y a déjà une grande victime de cette confrontation où les intérêts extérieurs, puissants et déterminés, ont rendu impossible toute quête de compromis, cette victime est l’État national aspirant à transcender les clivages religieux, communautaires et tribaux. Ce projet d’État national syrien est bien fini, des Syries multiples, faibles et ennemies entre elles se mettent en place derrière les violences et les guerres médiatiques. L’État national, imparfait, antidémocratique, dictatorial, est en train de disparaître, des entités sectaires, tribales s’apprêtent à le remplacer et à se partager les dépouilles.
Le phénomène s’arrêtera-t-il en Syrie ? Intellectuellement, le pire est toujours à envisager même s’il n’advient pas. C’est une manière de réfléchir sur les moyens de l’éviter ou bien sur les causes qui y mènent. Mais dans nos pays, le pire n’effleure jamais l’esprit de ceux qui dirigent - et parfois aussi ceux qui s’opposent à eux -, jusqu’à ce que ses effets se déploient. L’Irak, dans la foulée du conflit syrien, est en train de connaître une résurgence d’attentats et de contre-attentats entre chiites et sunnites. Le terrain était déjà préparé par la déconstruction de l’État national par la guerre américaine, le conflit syrien le ravive. Dans un tel contexte régional où les régimes « sunnites » et surtout moyenâgeux du Golfe estiment le moment venu de porter l’estocade à ce qu’ils appellent « l’arc chiite », beaucoup de Libanais sont dans un état de grande appréhension. C’est qu’ils ont connu le pire avec la guerre civile. Le risque d’une contagion de la brutale déconstruction syrienne à leur pays n’est pas une hypothèse d’école. Il y a eu ces derniers jours des signes inquiétants pour la paix communautaire imparfaite qui règne dans leur pays. Et beaucoup pensent que la prochaine guerre civile, si elle n’est pas évitée, sera fatale pour le Liban.
Le système libanais est politiquement ouvert mais il est institutionnellement fermé dans le communautarisme qui entrave la logique citoyenne. Une bonne partie de la classe politique libanaise ne fonctionne que dans le jeu des alliances externes. C’est ce qui fait que le Liban est un champ de bataille permanent : guerre froide, régime « progressistes » contre « réactionnaires ».... Ces catégories paraissent « nobles » comparées au poison sectaire qui se joue aujourd’hui. Officiellement, toutes les forces politiques libanaises s’entendent pour éviter une extension de la guerre syrienne chez eux. Concrètement - en raison des allégeances externes et pour certains la croyance que « l’opportunité » est venue d’en finir avec le Hezbollah - ils s’y impliquent allègrement et avec légèreté. Et pourtant, au Liban, le pire est toujours envisageable.
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18 août 2012 - Le Quotidien d’Oran