Il aura fallu un bon moment pour que Reuters soit autorisée à rapporter que les président US Barack Obama avait approuvé une instruction secrète autorisant la Central Intelligence Agency (CIA) à apporter un large soutien aux « rebelles » armés qui combattent pour un changement de régime en Syrie
En fait, même les pêcheurs des îles Fidji connaissaient ce « secret » (sans oublier que tout un chacun en Amérique latine sait une ou deux petites choses sur les pratiques de changement de régime par la CIA). Reuters présente avec prudence le soutien comme « circonscrit. » C’est le code pour « diriger depuis les coulisses. » [leading from behind]
Chaque fois que la CIA veut organiser la fuite d’une quelconque information, elle passe par un scribe dévoué comme David Ignatius du Washington Post. Le 18 juillet déjà, Ignatius reproduisait son briefing selon lequel « la CIA travaillait avec l’opposition syrienne depuis plusieurs semaines avec l’opposition syrienne dans le cadre d’une directive non-létale... De nombreux agents des services secrets israéliens opèrent aussi le long de la frontière syrienne même s’ils font profil bas. »
Comme c’est charmant. Jusqu’à quel point fait-on profil bas aux frontières syriennes ? Sur un Instagram au milieu d’un groupe de chauffeurs de camions souriants ?
En ce qui concerne le « profil bas » du Mossad, le truc à Tel Aviv est de dire qu’Israël est capable de « contrôler » les nuées de wahabbites ultras et de djihadistes-salafistes qui infestent désormais la Syrie. Même si c’est une ineptie manifeste, une chose est parfaitement claire : Israël flirte avec les islamistes du style al Qaïda.
Ce qui signifie que l’Armée Syrienne pas exactement libre Libre (ASL), bourrée de Frères Musulmans jusqu’au-boutistes et infiltrée par des salafistes djihadistes suit l’agenda non seulement de ceux qui la financent et l’arment - la monarchie saoudienne et le Qatar - mais aussi de Tel Aviv aux côtés de Washington et de ses caniches attitrés à Londres et à paris. Ce n’est donc pas qu’une guerre par procuration - ce sont plusieurs guerres par procuration concentriques.
Le triangle de la mort
L’objectif de Tel Aviv est clair ; un gouvernement syrien affaibli, une armée épuisée et en désarroi, la haine sectaire partout et une tendance irrésistible à la balkanisation. Le but ultime n’étant pas seulement la libanisation, mais la somalisation de la Syrie et de ses environs.
L’objectif de la Turquie demeure incroyablement obscur - en dehors du v ?u pieux d’une Syrie pos-Assad qui deviendrait une version douce et civilisée du règne de l’AKP à Ankara (ce qui n’arrivera pas).
Ainsi que l’a rapporté ATol il y a des mois maintenant, l’OTAN possède depuis un moment un centre de commandement à Iskenderun dans la province de Hatay. Reuters a récemment eu connaissance d’une nouvelle base « secrète » turco-saoudo-qatarie à Adana, à 100 kilomètres de la frontière avec la Syrie. Il se trouve qu’Adana accueille l’immense base de l’OTAN d’Incirlik. Une source locale d’ATol a signalé des mouvements intenses de cargos à Incirlik sur plusieurs semaines.
C’est le vice-ministre Saoudien des Affaires étrangères, Abdulaziz bin Abdullah al-Saud, qui avait demandé en personne l’établissement de cette base, à la plus grande satisfaction d’Ankara.
Ankara-Riad-Doha ; on peut parler d’un triangle de la mort. Mais même le discours officiel à Qatar est du genre « diriger en coulisse. » La Turquie fait le gros boulot militaire ; la CIA « n’intervient pas » et le Qatar se contente de prendre des photos comme n’importe quel touriste innocent (alors qu’il dirige les opérations via ses renseignements militaires). Ceux qui font le gros travail sont des « intermédiaires » non spécifiés.
Obama n’a pas autorisé l’utilisation offensive de drones - pas encore - et la CIA ne fournit peut-être pas d’armes aux « rebelles ; » c’est le job du « triangle de la mort. » Un afflux de lance-roquettes RPG russes achetés au marché noir a été responsable des récentes poussées « rebelles » à Damas et à Alep. Désormais, on doit s’attendre à un afflux de missiles sol-air et antitanks pour l’ASL - livrés via, nulle part ailleurs que la Turquie.
Le Qatar et l’Arabie Saoudite ne font pas de prisonniers. Personne à Washington ne semble vouloir jeter un regard rétrospectif sur l’Afghanistan post-djihad avant de prendre des décisions. D’ailleurs, c’en en tout point une réédition du djihad afghan des années 1980 - avec l’Arabie Saoudite et le Qatar jouant le rôle du Pakistan, l’ASL celui des glorieux moudjahidine ou « combattants de la liberté » et Obama celui de Ronald Reagan ; la seule pièce qui manque est un « mémorandum de notification » approuvé par Obama pour amer les rebelles et mettre en action des nuées de drones.
C’st la recette actuelle pour un méga-succès certifié pour 2013 à Hollywood.
De son côté, Riad force le roi Playstation de Jordanie à créer une zone tampon dans son territoire pour la centaine de bandes que comprend l’ASL - ainsi qu’on l’a appris par le journal al-Quds al-Arabi financé par l’Arabie Saoudite. Et devinez qui est l’homme de main qui a forcé l’accord ? Nul autre que l’évanescent chef des services secrets saoudiens, le prince Bandar qui a peut-être (ou pas) été tué dans un attentat à la bombe il y a deux semaines(voir Where is Prince Bandar ?, Asia Times Online, 2 août 2012).
La Grande Faucheuse gagne, faut-il le rappeler jusqu’au moment où la Grande Faucheuse doit récolter ; de spectaculaires retours de bâton s’annoncent.
Alep va connaître un siège prolongé. La « base secrète » de l’OTAN-Conseil de Coopération du Golfe en Turquie plus des armes disponibles pour tous donnent de la force à un mélange extrêmement virulent fait de jeunes sunnites Syriens semi-illettrés, de déserteurs sectaires avides de tuer, de toutes sortes de délinquants et de djihadistes-salafistes multinationaux. Cette vidéo montre tout ce qu’il y a à savoir sur l’ASL. Et ceci montre le genre de démocratie qu’ils veulent.
Les wahhabites Saoudiens veulent une Syrie islamiste dure - avec des Chrétiens, des Alaouites, des Druzes et des Kurdes comme citoyens de troisième zone (ou premiers candidats pour passer sur le billot). Les Qataris veulent un protectorat gouverné par les Frères Musulmans.
Les concepteurs de la politique étrangère de l’administration Obama doivent être sur une expérimentation (foireuse). Lancés dans une guerre ouverte non seulement contre l’Iran mais aussi contre les Chiites un peu partout, comment peuvent-ils parier sur une somalisation de la Syrie au profit de l’intolérance wahhabite ? La Grande Faucheuse s’en rit et elle attend au tournant.
(*)
Note de Mounadil al Djazaïri :
Syriana est le titre d’un film tiré d’un livre de Robert Baer qui traite de l’industrie du pétrole et de la politique étrangère des Etats Unis dans la région du Moyen Orient et de l’Asie centrale. D’après le livre, Syriana serait le nom de code donné par Washington à un projet de remodelage du Moyen Orient.
Histoire : À Washington, Bennett Holiday travaille pour une importante firme d’avocats chargée de favoriser en coulisses la fusion entre deux pétrolières américaines. En prenant les rênes de ce dossier, Holiday ne tarde pas à découvrir les collusions entre les barons texans de l’or noir et le pouvoir politique en place. Ce dossier est directement lié à une lutte de pouvoir faisant rage entre les deux fils d’un émir du golfe Persique qui prépare sa succession. L’un d’eux, le prince Nasir, qui profite des conseils de l’analyste américain Bryan Woodman, favorise des politiques qui vont à l’encontre des intérêts américains. Par conséquent, il devient la cible des assassins de la CIA, une mission pilotée par l’agent Bob Barnes.
* Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007) et Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge. Son dernier livre vient de sortir ; il a pour titre : Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009).
Du même auteur :
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3 août 2012 - Asia-Times - publié et traduit en français par Mounadil al Djazaïri