Kofi Annan jette l’éponge
Mission impossible
samedi 4 août 2012 - 08h:59
K. Habib/M. Saadoune - Le Quotidien d’Oran
C’est l’honneur de l’ex-secrétaire général de l’ONU d’avoir refusé d’être la marionnette de ces puissances (internationales et régionales)... pour lesquelles la solution en Syrie a été d’emblée celle de l’intervention étrangère... Contrairement à ce que les médias occidentaux distillent, l’échec de sa mission n’est pas imputable à Moscou et Pékin
Kofi Annan jette l’éponge
par Kharroubi Habib
Le médiateur international de l’ONU et de la Ligue arabe pour la crise syrienne Kofi Annan a jeté l’éponge en annonçant qu’il refusait la prorogation de son mandat arrivé à expiration le 31 juillet. Il a déclaré avoir été contraint à cette décision parce que le conflit a atteint un stade de militarisation qui rend hors de propos la quête d’une solution politique et que lui ont été refusés les soutiens dont il avait besoin pour espérer mener à bien sa mission.
Kofi Annan a été pourtant plus persévérant dans sa tentative de faire accepter son plan de paix que ne l’ont voulu toutes les forces impliquées dans le conflit et ne voulant pas de sa démarche comme issue au conflit. Et ce n’est que quand elles ont créé une situation qui a totalement bouché l’horizon à sa médiation qu’il a finalement renoncé. L’ONU et la Ligue arabe qui l’ont mandaté ne lui ont été d’aucune aide. La première parce que son Conseil de sécurité est paralysé par les divergences entre ses membres permanents, la seconde en étant totalement sous la coupe des monarchies arabes et du Golfe partisans de la manière forte contre le régime syrien.
Kofi Annan savait au départ que son plan de paix et sa médiation n’ont reçu d’aval que du bout des lèvres de la part des puissances internationales et régionales pour lesquelles la solution en Syrie a été d’emblée celle de l’intervention étrangère. Il a été également conscient qu’elles n’ont donné leur feu vert qu’avec l’arrière-pensée qu’elles parviendront à le convaincre d’adopter une position partiale anti-régime consistant à n’imputer la responsabilité du non respect des conditions de son plan qu’à celui-ci uniquement. C’est l’honneur de l’ex-secrétaire général de l’ONU d’avoir refusé d’être la marionnette de ces puissances.
Certes Kofi Annan n’a pas ménagé le régime syrien. Il n’en a pas masqué les louvoiements et les manquements à appliquer son plan. Mais il a honnêtement fait comprendre que les adversaires de ce régime en faisaient autant. Sa mission a été vouée à l’échec dès lors que son initiative de réunir les parties internationales et régionales ayant de l’influence sur les belligérants syriens a avorté. Il ne pouvait plus demander à ces derniers d’arrêter la violence et les affrontements armés quand les puissances à qui il s’est adressé les encouragent à poursuivre la confrontation et leur fournissent les moyens multiformes pour cela. Ce n’est plus une rébellion qui a cours en Syrie mais une guerre civile dans laquelle les deux camps se combattent avec des armes lourdes que leurs sponsors étrangers leur livrent sans compter. Elle est d’une intensité telle que les initiatives du type de celle du plan Kofi Annan sont dépassées.
Annan n’est pas un naïf, il a compris que sa mission n’a plus de sens dans cette situation. Tous ceux qui sur la scène internationale se sont ligués ouvertement ou souterrainement contre son plan rejettent bien entendu l’échec de celui-ci sur le seul pouvoir de Damas. Position et constat que l’ex-médiateur international refuse de faire siens. Ils ont malgré tout obtenu ce qu’ils voulaient en faisant mine de le craindre à une guerre civile qui engendre le chaos et le bain de sang des Syriens.
Mission impossible
par M. Saadoune
Kofi Annan a jeté l’éponge dans l’affaire syrienne et contrairement à ce que les médias occidentaux distillent, l’échec de sa mission n’est pas imputable à Moscou et Pékin. Ils ont sans doute leur part, mais il n’est pas évident qu’elle soit la plus importante dans l’esprit de l’émissaire onusien. Kofi Annan est trop fin politique pour ne pas savoir ce que les Occidentaux attendaient de lui : une lecture univoque, la leur, de la crise syrienne et de la manière de la résoudre. Il avait déjà rompu le silence dans un entretien d’une franchise surprenante publié dans le journal Le Monde. Il s’y étonnait de la focalisation médiatique sur l’attitude de la Russie alors que « peu de choses sont dites à propos des autres pays qui envoient des armes, de l’argent et pèsent sur la situation sur le terrain ».
Le régime de Damas a beau être exécrable - et il est bien condamné par l’histoire -, Kofi Annan mettait le doigt sur la mécanique, externe, qui entrave son travail, lequel était nécessairement fondé sur l’ouverture d’un dialogue politique entre les tenants du régime et l’opposition. Or, c’est ce dialogue qui a été rendu impossible du fait de la militarisation croissante d’une opposition, armée par les États du Golfe et les pays occidentaux. Kofi Annan était bien dans une mission impossible. Il devenait même un témoin gênant. Les capitales qui regrettent le départ de Kofi Annan le font pour la forme. Elles n’ont jamais apprécié sa manière trop indépendante d’assumer son rôle. Il devait être le témoin qui justifie l’intervention extérieure, il est resté celui qui essaye de résoudre le problème. Un décalage de fond entre les attentes occidentales et la conception que lui se faisait de sa mission.
Il faut donc aller à la lettre de la démission d’Annan et non aux interprétations, orientées, qui en sont faites. L’ancien SG de l’Onu explique pourquoi la solution politique recherchée n’a pas pour but de sauver le régime en place. « La gravité des coûts humanitaires du conflit et les menaces exceptionnelles posées par cette crise à la paix et la sécurité internationales ont justifié les tentatives pour atteindre une transition pacifique vers un règlement politique ». Cette démarche a été entravée par « la militarisation croissante sur le terrain » et « le manque évident d’unité au sein du Conseil de sécurité » qui ont « fondamentalement changé les circonstances pour l’exercice effectif de mon rôle ». Les mots utilisés par Kofi Annan, qui n’a rien d’un adorateur de Damas, sont suffisamment clairs pour montrer le hiatus existant entre la nature de sa mission et les attentes des uns et des autres. « Je n’ai pas reçu tous les soutiens que la cause méritait. [...] Il y a des divisions au sein de la communauté internationale. Tout cela a compliqué mes devoirs ».
Kofi Annan est resté centré sur le but de sa mission, il n’a pas accepté d’en faire un alibi. Il était devenu clairement un handicap pour les pays du Golfe et les Occidentaux. L’opposition syrienne s’est chargée de le dire régulièrement en termes très durs. Les Occidentaux vont peut-être essayer de trouver un émissaire plus conforme à leur conception de la vocation de la « mission ». Mais le jet d’éponge de Kofi Annan est surtout une confirmation de la mise sur la touche de l’Onu. Les USA ont déjà annoncé qu’ils allaient travailler « hors Onu ». Les pays du Golfe le font depuis longtemps. Le « front jordanien » vient de s’allumer. Le conflit syrien a cessé depuis longtemps d’être interne. « Nous ne pouvons pas accepter que la Syrie se transforme en un théâtre d’affrontements régionaux et internationaux », ont déclaré des opposants réunis à Sant’Egidio. Un constat désespéré. La Syrie est bien le théâtre d’une guerre commencée par les Syriens et qui dépasse les Syriens. Et dont l’issue pourrait bien être la fin de la Syrie. C’est en cela que l’échec de la mission Annan est d’une extrême gravité.
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4 août 2012 - Le Quotidien d’Oran