Des divisions sectaires qui prennent une tournure inquiétante
dimanche 17 juin 2012 - 06h:47
Ramzy Baroud
Le conflit en Syrie cède la place à un phénomène inquiétant où se figent rapidement des lignes sectaires à travers le Moyen-Orient.
- Massacre à Houla en Syrie, 108 victimes dont 32 enfants - Photo : Reuters
Une guerre perpétuelle et particulièrement répugnante risque de prendre le pied sur les aspirations collectives pour l’égalité, la liberté et la démocratie qui alimentaient l’insurrection syrienne non-violente née il y a déjà plus d’un an.
Entre le 25 et 26 mai, 108 civils ont été massacrés sans pitié dans la ville centrale d’Al Houla. La majorité d’entre ces victimes étaient des femmes et des enfants. Ce massacre n’est pas le premier et il est peu probable qu’il soit le dernier dans ce qui est en train de devenir un bain de sang en Syrie, avec aucune fin qui se dessine à l’horizon. La nature de la guerre tant redoutée est déjà définie en termes sectaires. Même des déclarations rédigées avec moult précautions par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, reconnaissent que la situation est préoccupante. « Les massacres comme celui du week-end dernier pourraient plonger la Syrie dans une guerre civile catastrophique, une guerre civile dont le pays ne se remettrait jamais », a-t-il averti lors d’un forum à Istanbul.
Tandis que les intellectuels et les analystes politiques pinaillent sur la définition de ce qu’est une « guerre civile », les Syriens du peuple n’ont pas d’autre alternative que de reconnaître l’horrible réalité. « La guerre civile a commencé, » a déclaré un militant syrien au correspondant de la BBC, Paul Wood, qui fait clandestinement ses reportages depuis la Syrie. « Nous regarderons un jour derrière nous, et nous dirons que c’est maintenant que tout a commencé, » aurait ajouté le militant.
En fait, il importe peu de savoir comment le soulèvement a commencé ou si ses dirigeants ont encore un minimum de vision véritablement démocratique pour l’avenir de la société syrienne après le départ du président Bachar Al Assad et du parti Baath. Même les conflits de classe en Syrie sont maintenant perçus à travers des prismes sectaires. « Leur secte [des Alaouites] ont tout. Nous [les Sunnites] avons faim, » a déclaré une femme syrienne à la BBC le 31 mai.
Tout au long de l’insurrection syrienne, c’était le régime syrien qui était accusé de vouloir désespérément imposer que le conflit soit fixé sur des divisions sectaires. Si c’est vraiment le cas, alors il y a réussit, non seulement en Syrie mais dans toute la région.
Tout aussi inquiétant est le fait que la guerre civile qui ne fait que commencer pourrait éventuellement s’étendre au Liban voisin. Ce n’est pas une surprise compte tenu des recouvrements culturels, politiques et religieux entre les deux pays. La Syrie était, jusqu’à tout récemment le pouvoir le plus influent au Liban - d’abord comme arbitre dans sa très longue guerre civile, puis plus tard comme l’acteur dominant dans la vie politique et civile du pays. Certains groupes libanais se félicitaient de la présence syrienne tandis que d’autres la considéraient comme une forme d’occupation étrangère et voulaient y mettre fin.
Le ressentiment s’est accentué, cependant, comme l’illustre l’accusation lancée contre divers groupes libanais, dont le Hezbollah, de conspirer avec le gouvernement syrien pour garantir le maintien de son influence au Liban. Aujourd’hui le Hezbollah, un moment salué pour avoir chassé Israël hors du Liban, est accusé par l’opposition syrienne d’aider à écraser la révolte en Syrie. La tension a atteint un sommet historique au Liban après qu’un libanais sunnite islamiste ait été arrêté dans la ville septentrionale de Tripoli pour son implication dans une « organisation terroriste. »
« Ses partisans ont affirmé qu’il a été pris pour cible pour avoir fourni de l’aide aux réfugiés syriens par l’intermédiaire d’un service de sécurité censé être sous l’influence du Hezbollah, le groupe chiite libanais qui est allié avec Damas », a rapporté le Financial Times le 23 mai. Ce seul fait a entraîné plusieurs jours de manifestations et d’affrontements qui ont entraîné la mort d’au moins huit personnes. Les groupes libanais sunnites et chiites ont conjointement appelé leurs partisans à faire preuve de retenue.
Les pays arabes influents tirent maintenant la sonnette d’alarme. Le roi saoudien Abdullah Bin Abdul Aziz aurait écrit au président libanais Michel Suleiman, pour faire part de sa préoccupation au sujet des conflits sectaires et du « ciblage d’une communauté occupant une place majeure » (Financial Times, Mon 23), mais en vain. Le samedi, dix Libanais de plus ont été tués dans des affrontements à Tripoli. Le « débordement régional » à partir d’une possible « guerre civile généralisée » en Syrie - tel que décrit par l’émissaire de l’Onu Kofi Annan - est déjà pleinement à l’ ?uvre.
Avec des milliers de réfugiés syriens s’enfuyant au Liban, la contrebande d’armes des deux côtés de la frontière et l’accent mis de plus en plus sur le caractère inter-communautaire du conflit, les frontières géopolitiques entre les deux pays finiront par ne plus rien signifier. La frontière déjà poreuse n’est plus en mesure de maintenir le conflit d’un seul côté et il est révélateur que la plupart des débats dans les médias concernant la Syrie évoquent maintenant le Hezbollah, le Liban et l’Iran. Les références aux Chiites et aux Sunnites ne sont même plus utilisés avec le minimum de prudence nécessaire, ouvrant ainsi la voie à une polarisation complète du conflit autour des lignes religieuses.
La capture de pèlerins libanais chiites par des militants syriens est le reflet de la nouvelle orientation du conflit qui maintenant fait rage, mais cela peut aussi être le signe avant-coureur d’un conflit plus vaste qui pourrait embraser toute la région. Il s’agit d’une question urgente, en particulier depuis que le conflit sectaire en Syrie est arrivé maintenant à un stade avancé et que les pays voisins - l’Irak, le Liban et même la Turquie - en ont tous déjà subi les terribles conséquences. Dans le cas de l’Irak, le fossé a été exploité au maximum dans les années qui ont suivi l’invasion américaine en 2003. Dans le cas de la Syrie, il y a certaines parties - à commencer par Israël - qui souhaitent voir cette perspective prendre racine.
Mis à part le fait que les conflits sectaires sont absurdes et axés sur la seule vengeance, ils pourraient dans le cas de la Syrie, diviser le pays autour de nouvelles frontières politiques. Contrairement à la résistance syrienne au colonialisme français au début du 20e siècle, chacune des parties dans une Syrie divisée rechercherait l’intervention étrangère - c’est-à-dire aurait recours aux interventions néo-colonialistes - dans l’espoir de vaincre ses adversaires. Dans un conflit de cette nature, il n’y a jamais de gagnants.
« Beaucoup de volontaires de l’ASL [Armée Syrienne Libre] m’ont affirmé qu’ils se battaient pour une démocratie laïque et tolérante », a rapporté Paul Wood. « Mais d’autres ont dit qu’ils voulaient tuer les Alaouites et les Chiites, et ’seulement ceux avec du sang sur leurs mains’. »
C’est ainsi que souvent les guerres civiles commencent, mais personne ne sait ni quand ni comment elles se terminent.
*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
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6 juin 2012 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - Claude Zurbach