Egypte-Israël : Nouvelle donne
mercredi 2 mai 2012 - 10h:55
Samar Al-Gamal - Al-Ahram/Hebdo
Cette relation occupe une place importante dans les discours des candidats à la présidentielle. Ils sont unanimes à vouloir préserver les liens avec Tel-Aviv, mais réclament une révision des accords de Camp David.
Ce n’est sans doute pas le meilleur anniversaire pour Israël. Ce « jour de la catastrophe » pour les Arabes, qui donnerait le coup d’envoi à la création d’un nouvel Etat, non arabe, sur les terres de la Palestine, est vu cette année sous le signe d’une inquiétude montante pour ne pas dire d’une catastrophe, pour les Israéliens.
Leur alliée du sud, l’Egypte, ne l’est plus. Il ne faut pas s’y tromper, la dégradation des relations entre les deux pays provoquée par la chute du régime de Moubarak ne fait que prendre de l’ampleur même si on est loin d’atteindre un point de non-retour.
Débarrassée du dictateur, en bonne entente avec son voisin israélien, l’Egypte a vite changé de politique. Dans cette transition du pouvoir dirigée par les militaires, l’hostilité, toujours présente envers l’ennemi israélien, s’est exacerbée davantage. L’événement le plus récent est cette rupture d’un contrat gazier conclu en 2005 entre les deux pays via des compagnies privées et assuré par un mémorandum du gouvernement égyptien. Cette annulation de l’exportation du gaz égyptien vers Israël dépasse le simple différend commercial et semble arroser cette dégradation des relations, malgré des déclarations officielles des deux parties cherchant à minimiser ce malentendu.
Le président de la holding EGAS a ainsi annoncé l’annulation du contrat de 2,5 milliards de dollars portant sur la vente annuelle pendant 15 ans de 1,7 milliard de m3 de gaz naturel à la compagnie israélienne CEI, soit 43 % du gaz naturel consommé par Israël. Il invoque un « non-respect des conditions stipulées par le contrat ».
Le ministre de l’Electricité, Hassan Younès, affirme que Le Caire préfère utiliser le gaz pour ses propres centrales électriques, avant que la ministre de la Coopération internationale, Fayza Aboul-Naga, proche des militaires au pouvoir, n’annonce que « l’Egypte pourrait parvenir à un nouveau contrat, avec un nouveau prix et de nouvelles conditions ». Pareil à Jérusalem, où le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, qui traditionnellement ne mâche pas ses mots hostiles aux Egyptiens, minimise l’importance de l’annulation du contrat, évoquant un « différend commercial » sans conséquence sur les relations bilatérales, laissant à son collègue des Finances, Yuval Steinitz, le soin de dire que c’est un « dangereux précédent qui jette un voile sur les accords de paix entre l’Egypte et Israël ».
L’Egypte de Sadate a été le premier pays arabe à signer un accord de paix avec Israël en 1979. Une normalisation des relations a toujours été rejetée par la population comme par la grande partie de l’intelligentsia. Sous Moubarak, les dirigeants avaient conclu des accords commerciaux, à l’instar du gaz et du QIZ, sous les auspices américains. En fonction de ce traité, l’Egypte a récupéré le Sinaï, occupé par l’armée israélienne, et en contrepartie, Israël a obtenu une normalisation des relations diplomatiques et économiques avec son voisin, ainsi que des garanties sur la liberté de circulation sur le Canal de Suez.
Ce sont ces clauses qui aujourd’hui figurent au centre du débat politique égyptien et les candidats à la présidentielle y trouvent un sujet de campagne électorale de poids. Les candidats aspirant au poste suprême sont presque unanimes sur cette question d’exportation du gaz. Comme de nombreux Egyptiens, ils se demandent pourquoi l’Egypte accepte de vendre son gaz à des prix inférieurs à ceux du marché. Et la majorité d’entre eux appellent désormais à revoir les annexes du traité de paix, notamment sur le statut du Sinaï.
Les chefs des tribus bédouines du nord du Sinaï ont en effet exigé du Parlement de revoir les accords de Camp David, pour raison de « sécurité nationale ».
Au lendemain de la révolution qui avait renversé Moubarak, le gouvernement avait préparé un plan prévoyant le fait d’inclure les bédouins dans la sécurisation du Sinaï, avec des unités issues des tribus bédouines qui seraient incorporées à la police régionale. Aujourd’hui, ce plan est resté lettre morte, alors qu’il prévoyait aussi la création d’une zone de libre-échange pour favoriser le développement dans cette région délaissée par l’ancien régime et dont le pays vient de célébrer l’anniversaire de libération, le 25 avril.
La population hostile
Il est évident que la population égyptienne a toujours été très hostile à la manière dont le président Moubarak menait les relations avec Israël et notamment envers Gaza, cette ville limitrophe de Rafah où vivent des familles palestino-égyptiennes. L’invasion israélienne récurrente de la bande de Gaza, notamment celle de 2008, a eu des retombées sécuritaires et économiques sur le Sinaï.
Les candidats, de tendances politiques fort différentes, allant de l’islamisme à la gauche voudraient d’ailleurs donner des gages de respectabilité aux plans économiques et politiques. Et telle a été la mission des membres du parti des Frères musulmans, Liberté et justice, partis aux Etats-Unis. « Nous ne soumettrons pas les accords de Camp David ni aucun autre accord signé par l’Egypte à un référendum populaire », affirme, depuis Washington, le député des Frères Abdel-Mawgoud Al-Dardiri.
En dépit de ce vent froid qui souffle sur les relations égypto-israéliennes, il est difficile d’imaginer un gouvernement égyptien rompant les accords de Camp David, à moins d’une bavure israélienne.
Les relations entre les ennemis d’hier ont subi pourtant de sérieux contrecoups depuis la chute de Moubarak. En août de l’an dernier, l’armée israélienne a abattu cinq policiers égyptiens à la frontière, entraînant une attaque sans précédent de l’ambassade d’Israël au Caire et poussant Tel-Aviv à réduire son personnel diplomatique.
Le lieutenant général Benny Gantz, chef d’état-major de Tsahal, au lendemain de l’arrêt du flux du gaz vers Israël, a tenu des propos acerbes. « Les troupes israéliennes se tiennent prêtes à toute confrontation au cas où l’Egypte se transformerait en ennemi », a-t-il dit à la radio israélienne.
Des déclarations qui ont poussé le maréchal Tantawi, actuellement numéro un du pays, à intervenir. « La situation à nos frontières est difficile, mais l’Egypte n’envisage d’attaquer aucun de ses voisins (...). Si quelqu’un viole la frontière égyptienne, il sera repoussé », a indiqué Tantawi, commandant en chef de l’armée égyptienne et chef du Conseil suprême des forces armées, avant le début des man ?uvres de la 2e armée, stationnée dans la péninsule du Sinaï.
Selon M. Tantawi, l’armée égyptienne doit « toujours prêter attention aux provocations dirigées contre elle ». Il semble réagir aussi aux propos plus tôt de Lieberman affirmant qu’Israël doit renforcer sa présence militaire dans la péninsule du Sinaï pour pouvoir contre-attaquer au cas où l’Egypte déciderait de rompre le traité de paix. « L’Egypte pourrait représenter pour Israël une menace plus grande qu’une attaque nucléaire d’un autre Etat », a-t-il dit, poussant le ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohamad Amr, à ordonner à l’ambassadeur égyptien à Israël d’obtenir une clarification des autorités israéliennes sur ces propos. Mais cette querelle politique et commerciale risque de rester là. Les candidats, qui rêvent chacun d’être le futur président, ont plus les yeux braqués sur un redressement de l’économie.
Samar Al-Gamal
Voir aussi :
Egypte-Israël : Le Sinaï et la Palestine font l’unanimité - Chaïmaa Abdel-Hamid - Al-Ahram/Hebdo
et les autres articles du Dossier d’Al-Ahram/Hebdo :
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Al-Ahram/Hebdo - Semaine du 2 au 8 mai 2012, numéro 920 - Dossier