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Face à La Mecque
dimanche 25 février 2007 - Uri Avnery

Un Américain de naissance doit-il reconnaître aux Etats-Unis le droit d’exister ? Question intéressante. Les Etats-Unis ont été créés par les Européens qui ont envahi un continent qui ne leur appartenait pas, ont tué une grande partie de la population indigène, un véritable génocide, et ont exploité des millions d’esclaves africains. Sans mentionner ce qui se passe aujourd’hui. Un Américain de naissance, ou qui que ce soit d’autre, doit-il reconnaître le droit aux Etats-Unis d’exister ?

Mais personne ne soulève cette question. Les Etats-Unis s’en fichent complètement qu’un Etat reconnaisse ou non leur droit d’exister. Ils ne le demandent pas même à ceux avec lesquels ils maintiennent des relations. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’une telle demande est ridicule.

OK, il est vrai que les Etats-Unis sont plus vieux qu’Israël. Et plus grands. Et plus puissants. Mais les pays moins puissants ne demandent pas cela non plus. Personne ne s’attend à ce que l’Inde, par exemple, reconnaisse au Pakistan le droit d’exister.

Alors pourquoi le Hamas est-il obligé de reconnaître à Israël le droit d’exister ? Quand un Etat reconnaît un autre Etat, il s’agit de la reconnaissance formelle d’un fait établi. Personne n’a demandé à l’URSS de reconnaître l’existence des Etats-Unis en tant qu’Etat capitaliste. Que du contraire. Nikita Khrouchev avait, en 1956, promis d’enterrer les Etats-Unis. Les Etats-Unis n’ont pas même rêvé de reconnaître le droit de l’URSS d’exister en tant qu’Etat communiste. Alors, pourquoi cette étrange demande adressée aux Palestiniens ? Pourquoi doivent-ils reconnaître le droit d’Israël à exister en tant qu’Etat juif ?

Je suis un patriote israélien, et je ne ressens pas le besoin que quiconque donne à mon pays cette reconnaissance. Si quelqu’un veut faire la paix avec moi, à l’intérieur de frontières et dans des conditions qui ont fait l’objet de négociations, c’est suffisant pour moi. Je laisse l’histoire, l’idéologie et la théologie aux théologiens, idéologues et historiens. Soixante ans après la création de l’Etat d’Israël, se peut-il que nous soyons encore si peu sûrs de nous pour avoir besoin d’être rassurés, y compris par ceux que nous opprimons depuis 40 ans ?

Mais il est clair que cette demande que nous adressons au gouvernement d’union nationale palestinien est loin d’être sincère. Elle a un but, voire deux : convaincre la communauté internationale de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement palestinien et justifier le refus du gouvernement israélien de négocier.

Quand j’étais jeune, le peuple juif de Palestine avait l’habitude de parler de son arme secrète : le refus arabe. Chaque fois que nous proposions un plan de paix, nous espérions que les Arabes disent non. Cette tactique a bien réussi pendant une centaine d’années, jusqu’au jour où Arafat a changé les règles en reconnaissant Israël et en signant les accords d’Oslo, qui prévoyaient que les négociations sur le tracé final de la frontière entre Israël et la Palestine devaient être terminées avant 1999. A ce jour, ces négociations n’ont pas même commencé, parce que les gouvernements israéliens successifs ne voulaient en aucun cas ce tracé. Et qu’on ne me parle pas de Camp David en 2000, avec Barak complètement non préparé, qui dicte ses termes, et suspend le dialogue lorsque Arafat ne se soumet pas à ces termes.

Cela devenait plus difficile après la mort d’Arafat qui a toujours été décrit comme un terroriste, un tricheur et un menteur. Alors que Mahmoud Abbas était considéré comme un homme honnête, voulant sérieusement la paix. Ce qui n’empêche pas que Sharon est parvenu à éviter de négocier. D’où la "séparation unilatérale", sous les applaudissements de Bush.

Exit Sharon, entre Olmert. Coup de chance et joie à Jérusalem : les Palestiniens élisent le Hamas. Parfait, puisque aussi bien les Etats-Unis que l’Europe avaient pointé du doigt le Hamas comme organisation terroriste, faisant partie de l’axe du mal chiite (sauf que les Palestiniens sont sunnites, mais ça c’est du détail). Le Hamas ne reconnaît pas Israël. Le Hamas essaie d’éliminer Abbas, l’homme qui veut la paix. Pas question de négocier. Et les Etats-Unis et l’Europe boycottent, affament la population palestinienne et imposent trois conditions à satisfaire avant toute levée du blocus : a) le gouvernement palestinien et la Hamas doivent reconnaître à Israël le droit d’exister, b) ils doivent arrêter le terrorisme et c) ils doivent accepter et implémenter les résolutions signées par l’OLP.

Cela a l’air raisonnable. Mais c’est loin de l’être, parce que :

- les Palestiniens doivent reconnaître à Israël le droit d’exister, sans tracer ses frontières évidemment, mais le gouvernement israélien ne doit pas reconnaître qu’un Etat palestinien devrait exister aussi ;

- les Palestiniens doivent mettre fin au terrorisme, mais on ne demande pas à Israël d’arrêter les opérations militaires et l’implantation de colonies ;

- les Palestiniens doivent implémenter les résolutions, mais Israël qui a rejeté presque toutes les résolutions d’Oslo (notamment ouvrir des passages entre Gaza et la Cisjordanie, quitter les territoires occupés, etc.) ne doit rien faire.

Depuis que le Hamas est au pouvoir, ses dirigeants ont senti la nécessité de faire preuve de plus de flexibilité, et le Hamas s’est rapproché de l’idée de la reconnaissance d’Israël. Leur doctrine religieuse leur interdit de le dire tout haut (les religieux juifs ont aussi leurs interdits), mais ils le disent de façon indirecte. Des petits pas, mais une grande révolution.

Le Hamas s’est rallié à l’idée d’une frontière sur la ligne verte de 1967, c’est-à-dire à côté d’Israël, pas en Israël. Le Hamas a donné pouvoir à Abbas de négocier avec Israël et est disposé à accepter tout accord, à condition qu’il soit entériné par un référendum. A Jérusalem, on a peur. Et si cela marchait vraiment, le monde aurait l’impression que le Hamas a changé, et il faudrait alors lever le blocus. Horreur !

Le roi d’Arabie Saoudite détruit encore davantage les plans d’Olmert. Faisant face au site le plus sacré de l’Islam à La Mecque, il apaise le conflit entre factions palestiniennes et prépare le terrain pour un gouvernement d’union nationale. Le Hamas se met à respecter les accords signés par l’OLP, y compris ceux d’Oslo. Le roi a relâché l’étreinte de l’Iran, vers lequel le Hamas avait dû se tourner par manque d’alternative, et voilà le Hamas de retour dans la famille sunnite. Du fait que l’Arabie Saoudite est, dans le monde arabe, le principal allié des Etats-Unis, le roi a mis la cause palestinienne sur la table de la Maison-Blanche.

Panique à Jérusalem. C’est le plus effrayant des cauchemars : le support inconditionnel des Etats-Unis et de l’Europe à la politique israélienne pourrait être remis en cause. On commence par rejeter l’accord de La Mecque. Puis on réfléchit. Shimon Peres, le maître de la méthode "oui mais non" convainc Olmert que le "non" ferme doit être remplacé par un "non" plus subtil... La reconnaissance politique ne suffit plus, il faut aussi une reconnaissance idéologique. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas demander à Khaled Mashal de devenir sioniste ?

Si la paix est plus importante pour Israël que l’expansion territoriale, il faut encourager l’accord de La Mecque, et le roi doit être félicité. Mais pour peu que l’on s’oppose à la paix qui pourrait fixer définitivement les frontières d’Israël, il faut convaincre Américains et Européens que le boycott doit continuer. De même que les réserves pétrolières, le support des sunnites est essentiel dans le jeu de cartes politique des Etats-Unis et dans sa mise en cause de l’Iran. Mais le lobby pro-israélien (unissant juifs et chrétiens) est aussi important aux yeux de Bush.

Alors, que peut-on faire ? Rien. Pour ce rien, Condie a trouvé un slogan diplomatique subtil et parle des "nouveaux horizons politiques". Il est clair qu’elle ne s’est pas beaucoup creusée la tête sur le sens de ces mots ; parce qu’horizon est le symbole d’un objectif qui ne sera jamais atteint : plus vous en approchez, plus il s’éloigne.


Texte publié sur www.gush-shalom.org - Traduit de l’anglais par Victor Ginsburgh, professeur à Université Libre de Bruxelles. Cet article a été écrit avant le dernier voyage de Condoleezza Rice au Moyen-Orient.

Uri Avnery - La Libre Belgique, le 23 février 2007
Traduit de l’anglais par Victor Ginsburgh

Sur le même sujet, par Jonathan Cook : Le piège de la reconnaissance d’Israël