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Les bombes à fragmentation et la vie des civils : meurtres, profits et Droits de l’Homme
dimanche 11 juillet 2010 - Ramzy Baroud
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Mohamed Mouss, 12 ans, a été très gravement blessé en 2006 à cause d’une bombe israélienne à fragmentation.

L’organisation de défense des Droits de l’Homme a confirmé que 35 femmes et enfants ont été tués à la suite des dernières attaques lancées par les États-Unis sur une cache présumée d’Al-Qaïda au Yémen.

Tout d’abord, il y a eu des tentatives pour enterrer les faits, et le Yémen a démenti officiellement que des civils aient été tués à la suite de l’attaque du 17 Décembre sur al-Majala dans le sud du Yémen. Mais il a été tout simplement impossible de cacher ce qui est maintenant considéré comme le plus grand massacre commis dans une seule attaque des États-Unis dans le pays.

Si le nombre de victimes civiles est le résultat en effet d’une erreur de calcul de la part de l’armée américaine, il ne devrait plus y avoir de doute sur le fait que le genre d’armes utilisé est beaucoup trop dangereux pour être utilisé en temps de guerre. Et ces armes n’ont certainement aucune place dans des zones civiles. Les pertes humaines sont trop importantes pour pouvoir justifier quoi que ce soit.

Le Yémen n’est pas un cas isolé. Gaza, le Liban et l’Afghanistan sont aussi des exemples frappant des souffrances et pertes indicibles causées par les bombes à fragmentation. Pendant ce temps, l’armée israélienne, sans le moindre remords, n’envisage aucunement d’abandonner l’utilisation de bombes à fragmentation dans des zones civiles. Au contraire, elle s’interroge sur les moyens de les rendre « plus efficaces ». Le Jerusalem Post a rapporté le 2 juillet, que « l’armée a récemment effectué une série de tests avec une petite bombe qui dispose d’un mécanisme d’autodestruction conçu spécialement et qui réduit considérablement la quantité de munitions non explosées. »

Lors de l’attaque israélienne sur le Liban durant l’été 2006, Israël a lancé des millions de petites bombes, principalement dans le sud du Liban. En plus des dévastations et morts immédiates, les munitions non explosées continuent de persécuter les civils libanais, la plupart des victimes étant des enfants. Des dizaines de vies ont été perdues depuis la fin de cette guerre.

A Gaza, le même terrible scénario s’est répété entre 2008 et 2009. Mais contrairement aux Libanais, les Palestiniens pris au piège dans la bande de Gaza n’avaient nulle part où aller.

A présent, Israël anticipe une nouvelle guerre avec la résistance libanaise. En prévision, une campagne israélienne de propagande est déjà lancée. Il faut convaincre l’opinion publique israélienne qu’Israël fait tout son possible pour éviter les pertes civiles. « Suite aux dommages collatéraux et à la condamnation internationale, et dans la perspective d’un possible nouveau conflit avec le Hezbollah, l’armée israélienne a décidé d’évaluer les petites bombes M85 fabriquées par l’industrie militaire israélienne (IMI - industrie appartenant à l’Etat), » signale le Jerusalem Post.

Bien sûr, les amis d’Israël, en particulier ceux qui n’ont pas encore ratifié la Convention sur les munitions à fragmentation, seront comblés par les premiers succès des tests de l’armée israélienne. Sous pression pour ratifier l’accord, ces pays ne sont que trop désireux d’offrir une version plus « sûre » des modèles actuels de bombes à fragmentation. Cela permettrait non seulement de maintenir les énormes profits générés par cette activité moralement odieuse, mais cela devrait aussi étouffer les critiques de plus en plus fortes venant de la société civile et de certains gouvernements dans le monde.

En Décembre 2008, les États-Unis, la Russie et la Chine, entre autres, ont adressé un message terrible au reste du monde. Ils ont refusé de prendre part à la signature historique du Traité interdisant la production et l’utilisation de bombes à fragmentation. Dans un monde qui est en proie à la guerre, à l’occupation militaire et aux actes terroristes, la participation des grandes puissances militaires à cette signature et à cette ratification de l’accord aurait marqué - même si ce n’est que symboliquement - la volonté de ces pays d’éviter les morts injustifiables de civils et les durables cicatrices liées aux guerres.

Heureusement, ces refus n’ont pas totalement fait obstacle à un accord international. Le militantisme infatigable de nombreuses personnes et d’organisations de conscience s’est concrétisé les 3 et 4 décembre [2008] à Oslo, en Norvège, où quatre-vingt treize pays ont signé un traité d’interdiction de ce type d’arme.

Malheureusement, bien que ce soit sans surprise, les États-Unis, la Russie, la Chine, Israël, l’Inde et le Pakistan - un groupe qui comprend les principaux fabricants et utilisateurs de ce genre d’arme - n’ont ni participé aux négociations en Irlande du mois de mai 2008, ni montré aucun intérêt à la signature de l’Accord d’Oslo.

La plupart des pays qui ont signé l’accord ne sont pas impliqués activement dans un conflit militaire. Ils ne bénéficient également d’aucune manière de la juteuse industrie des munitions à fragmentation.

Le traité est le résultat d’une campagne intensive de la Cluster Munition Coalition (CMC), un groupe d’organisations non gouvernementales. La CMC est déterminée à poursuivre sa campagne pour amener plus de pays à signer.

Mais sans la participation des principaux producteurs et utilisateurs de l’arme, la cérémonie d’Oslo est restée largement symbolique. Toutefois, il n’y a rien de symbolique dans la douleur et les pertes subies par les nombreuses victimes des bombes à fragmentation. Selon le groupe Handicap International, un tiers des victimes des bombes à fragmentation sont des enfants. Tout aussi alarmant : 98 % des victimes de ces armes sont des civils.

Handicap International estime qu’environ 100 000 personnes ont été mutilées ou tuées par des bombes à fragmentation dans le monde entier depuis 1965. Contrairement aux armes classiques, ces petites bombes survivent de nombreuses années, trompant les petits enfants avec leur belle apparence. Les enfants font souvent l’erreur de prendre ces sous-munitions pour des paquets de friandises ou des jouets.

Récemment, des nouvelles encourageantes nous sont venues des Pays-Bas. Maxime Verhagen, le ministre des Affaires étrangères, a exhorté la Chambre des représentants de son pays à ratifier la Convention, qui interdit la production, la possession et l’utilisation de ces munitions. L’interdiction ne laisse aucune place à aucune fausse interprétation et ne tient aucun compte des expérimentations de l’armée israélienne.

Dans son discours, Verhagen a rappelé avec force que « les sous-munitions ne sont pas fiables et qu’elles sont imprécises, et leur utilisation pose un grave danger pour les populations civiles ... des années après qu’un conflit ait pris fin, les gens - particulièrement des enfants - peuvent être victimes de sous-munitions non explosées venant de bombes à fragmentation. »

À ce jour, l’accord a été signé par 106 pays et ratifiée par 36 autres - et il entrera en vigueur ce 1er août 2010, malgré le fait que les plus grands responsables refusent d’y prendre part.

L’initiative des Pays-Bas est certainement un pas dans la bonne direction. Mais il reste encore beaucoup à faire. Cela incombe aussi à la société civile dans les pays qui n’ont pas encore ratifié la convention ou qui doivent en premier lieu la signer. « Tout ce qu’il faut pour que le mal triomphe, c’est que les hommes (et femmes) de bonne volonté ne fassent rien. » Ceci est également vrai pour la question des bombes à fragmentation, comme dans tout autre domaine où les Droits de l’Homme sont violés et ignorés.

[NB] Le parlement français vient de ratifier, ce 6 juillet 2010 et à l’unanimité, un projet de loi « tendant à l’élimination des armes à sous-munitions ».

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international syndiqué et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

Du même auteur :

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8 juillet 2010 - Communiqué par l’auteur - Traduction de l’anglais : Claude Zurbach