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Photographier l’espoir
lundi 7 juin 2010 - Toni Oyry

Dans cet article, le cinéaste Toni Oyry, raconte la façon avec laquelle les adolescents palestiniens issus des camps de réfugiés appauvris et les libanais de la même génération, apprennent à apercevoir l’autre image des communautés voisines à travers les objectifs d’un appareil photographique.

A Beyrouth, dans un petit bureau, des photos de Bagdad s’affichent sur un écran.

« Vous ne pouvez jamais oublier les photos que vous prenez. Elles restent à jamais gravées dans votre mémoire » nous révèle Ramzi Haider, lauréat libanais en photojournalisme.

Ce fut donc le début de notre voyage au c ?ur de l’existence des adolescents libanais et palestiniens vivant à Saida, ville côtière située au sud du Liban.
Deux mois durant, nous avons suivi Haider dans ses déplacements, du bureau bourdonnant et animé d’artistes, journalistes et photographes bénévoles, jusqu’aux vieux souks de Saida et les ruelles étroites d’Ain al-Helweh, le plus vaste des camps de réfugiés palestinien au Liban.

Prise de conscience

Les photos que Haider nous expose racontent l’histoire des orphelins irakiens abandonnés suite à l’effondrement des institutions sociales dans le sillage de l’invasion conduite par les Américains en 2003.

En effet, Haider a tenu à montrer à ses jeunes que l’espoir existe toujours, après avoir constaté ces enfants perdus dans le monde obscur de l’inhalation de colle, des abus et usage de stupéfiants, d’où la naissance de l’idée de suivre une formation en photographie comme méthode pour les inciter à ouvrir les yeux sur le monde environnant.
Par ailleurs, Haider a déclaré qu’en raison de la situation sécuritaire qui n’a cessé d’empirer, il était obligé de prendre la décision de ne plus retourner à Bagdad. « Il était ardu de se trouver là-bas...mais l’idée ne m’avait pas quittée » a-t-il ajouté. Et c’est en 2006 que cette notion a pu voir le jour dans son propre pays.
Le projet s’est lancé avec 500 enfants à son actif, issus des camps de réfugiés palestiniens au Liban. Ils ont reçu une formation de base en photographie et se sont vus attribuer des appareils photographiques.

Ainsi, le résultat était un album photo intitulé « Lahza » * et plusieurs expositions internationales des photos.

Les murs du préjudice

En 2009, l’idée a pris d’autres dimensions quand « Zakira »**, l’organisation à but non lucratif de Haider a amorcé un programme de formation à l’échelle nationale visant à rapprocher les adolescents libanais et palestiniens.

En effet, il existe douze camps de réfugiés palestiniens au Liban. Cependant, un mur de préjudice invisible s’installe entre ceux qui vivent à l’intérieur des camps et les communautés libanaises se trouvant au-delà des points d’entrée gardés par l’armée.

Ceci étant, le projet de Haidar ambitionne à démolir ces murs et à engager un processus de dialogue entre les populations voisines.

Le programme, d’une durée d’un an, rassemblait tous ceux des camps palestiniens et leurs voisins libanais. Au total, « Zakira » a offert une formation avancée dans la photographie à plus de 200 adolescents libanais et palestiniens.

Nous avons donc décidé de les accompagner durant leur travail à Saida.

Foyer

Souvent perçue comme un foyer pour les militants et une cachette pour les criminels, Ain Al-Helweh et ses habitants nous ont pourtant réservé un accueil très chaleureux.

A l’entrée du camp, un point de contrôle de l’armée libanaise est érigé. Une fois dépassé, l’impression de pénétrer dans une autre ère vous saisit. Partout sur les murs, les photos de Feu Yasser Arafat (Leader de l’Organisation pour la Liberté de la Palestine - OLP) sont collées.

Ce camp est réputé pour ses armes et son histoire mouvementée. Toutefois, notre intérêt s’est porté sur ces centaines d’enfants qui affluent dans ses ruelles, les après-midi, vêtus d’uniformes scolaires aux couleurs vives, sur ces adolescents, dont les habits reflètent les dernières tendances de la mode, se rassemblant aux coins des rues, et enfin, sur ces jeunes gens qui travaillent dans les nombreux garages et ateliers du camp pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Cette troisième génération de palestiniens vivant au Liban manifeste une énergie et un espoir qui ne sont pas différents des autres adolescents ; le rêve de plusieurs d’entre eux étant, tout simplement, de rompre avec la pauvreté qui distingue le camp.

Cependant, le fossé existant entre les palestiniens du camp et la large population libanaise caractérisé par la méfiance mutuelle ne cesse de se creuser à cause des problèmes liés à la détérioration des conditions de vie, à l’instabilité politique et au chômage à l’intérieur, comme à l’extérieur du camp.

Une ville hantée

Pour comprendre l’histoire complexe qui existe entre les populations palestiniennes et libanaises de Saida, il est nécessaire de remonter à 1948, année marquée par l’implantation des premiers réfugiés palestiniens et la construction des camps.

Au fil des années, les combattants de l’OLP ont parcouru les rues, les militants libanais ont attaqué et assiégé le camp. Les deux communautés ont subi de violents bombardements israéliens, et plusieurs assassinats sont à dénombrer.

Ainsi, l’instabilité et la violence qui régnaient continuaient à ronger la ville.

Pourtant, la vie à Saida, sur la côte de la méditerranée est loin de ce que vous pourriez imaginer ; les pêcheurs envahissent le port avec leurs barques pendant que les cafés qui longent la corniche se remplissent d’adeptes de narguilé et de café.

C’est alors que les adolescents ont été munis d’appareil photographiques afin qu’ils puissent, à travers leurs photos, véhiculer l’image de leur vie et existence pendant qu’ils sillonnent un pays mutilé par de violentes divisions religieuse, ethnique et politique.

Au cours de ce projet de photographie, la plupart des adolescents libanais avouent avoir, pour la première fois, communiqué avec leurs égaux palestiniens, et témoigné des conditions de vie à l’intérieur du camp.

Tandis que le gouvernement libanais, l’Organisation des Nations Unies et plusieurs organisations politiques et sociales sont en train d’ ?uvrer sur le lent processus visant à établir un dialogue entre les décideurs et les deux communautés, le besoin d’améliorer les conditions à l’intérieur des camps, de fournir les services sociaux appropriés de même que des opportunités d’emploi s’avère urgent et indispensable.

C’est ainsi que bon nombre de personnes impliquées dans ce projet espèrent que les relations et amitiés tissées le long du programme surgissent en temps voulu, et se transforment en un élan de solidarité entre les communautés, tel un flambeau qui aiderait à améliorer les perspectives d’avenir des habitants des camps.

En apprenant à mieux observer la situation grâce à l’objectif d’un appareil photographique, les adolescents apprennent surtout à apercevoir l’autre face de leur vie et celle de leurs voisins à travers une image plus ample. Cela augmente la chance de les voir travailler ensemble pour un avenir meilleur.

Et pour l’atteindre, il serait nécessaire d’améliorer les conditions de vie existant de part et d’autre des murs des camps ou bien de construire des carrières professionnelles dans les domaines de photographie et de journalisme. En revanche, tous ceux qui ont pris part à ce projet possèdent les ressources et les compétences leur permettant d’être les messagers de leurs communautés et de pouvoir, enfin, jouer un rôle dans la détermination de leur propre avenir.

* Lahza en Arabe se réfère à Instant ou Moment
** Zakira en Arabe se réfère à Mémoire

22 mai 2010 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction de l’anglais : Niha