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Le déclin d’Israël
lundi 15 mars 2010 - Jonathan Cook
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14 mars 2010 - La brutalité israélienne n’a aucune limite, et n’en a jamais eue... Ici des soudards israéliens s’attaquent à des femmes palestiniennes qui manifestaient devant le checkpoint de Kalandia, près de Rammalah en Palestine occupée - Photo : AP

NLP : Qu’avez-vous pensé de la récente comparaison d’Israël à l’Afrique du Sud faite par Ehoud Barak ?

JC : Nous devrions être extrêmement réticents à attribuer un programme de gauche à des politiciens israéliens de haut rang qui utilisent le mot « apartheid » dans le contexte israélo-palestinien. Barak ne déclarait pas qu’Israël est un Etat d’apartheid quand il s’adressait aux hauts responsables délégués à la conférence de Herzliya le mois dernier ; il mettait en garde le gouvernement Nétanyahou, que son approche de la solution à deux Etats mettait en danger la légitimité d’Israël aux yeux du monde et mènerait finalement à ce qu’il soit appelé un Etat d’apartheid. Il politicaillait. Son but était d’intimider Nétanyahou pour qu’il signe son programme bien établi, et celui du centre israélien, de séparation unilatérale : une indépendance imposée aux Palestiniens sous la forme d’une série de bantoustans (soyez certains que l’ironie est complètement perdue pour Barak et d’autres). Barak sait que Netanyahou ne veut de créer aucune sorte d’état palestinien maintenant, même un Etat bidon, malgré ses engagements avec les USA.

Le dernier politicien israélien important à avoir parlé d’« apartheid » fut Ehud Olmert, et il est bon de rappeler pourquoi il a utilisé le terme. C’était en novembre 2003, quand il était vice-premier ministre et qu’il tentait désespérément de faire peur à son patron, Ariel Sharon, pour qu’il inverse son soutien de toujours aux colonies et adopte à la place le plan de désengagement de Gaza. La pensée d’Olmert était qu’en dissociant Gaza du projet du Grand Israël — en prétendant que l’occupation y était terminée — Israël pourrait gagner quelques années supplémentaires avant qu’il fasse face à une majorité palestinienne et au danger d’être comparé à l’apartheid Sud-africain. Ça a marché et Sharon est devenu l’improbable « homme de paix » pour lequel il est commémoré maintenant. (Étrangement, Olmert, comme Barak, définissait l’apartheid en termes purement arithmétiques : le pouvoir israélien sur les Palestiniens ne serait qualifié d’apartheid qu’au moment où les Juifs deviendraient une minorité numérique).

Barak joue le même genre de jeu avec Netanyahou, cette fois-ci en essayant de le presser de se séparer des zones les plus peuplées de la Cisjordanie. Il n’est pas étonnant que la tâche soit tombée sur le leader travailliste. Les deux autres présentateurs principaux de la séparation unilatérale sont hors circuit : Olmert va être jugé et Tzipi Livni est dans la jungle de l’opposition. Barak espère faire pression de l’intérieur du gouvernement. Barak est éminemment qualifié pour le job. Il a pris la charge du processus d’Oslo après l’assassinat de Yitzhak Rabin, puis à essayé de mettre en oeuvre la séparation finale implicite dans les accords d’Oslo à camp David en 2000 — en des termes extrêmement avantageux pour Israël. Peut-il réussir à changer les dispositions de Nétanyahou ? Ceci paraît improbable.

NLP : Avi Shlaim décrivait récemment Tony Blair comme « le grand traître de Gaza ». Que faites-vous du rôle de Tony Blair comme envoyé de la paix au Moyen-Orient ?

JC : Blair est un commerçant renommé qui vend le même remède de charlatans à plusieurs clients.
Premièrement, il est ici pour fournir un semblant de préoccupations occidentales sur le rapiéçage du Moyen-Orient. Il veut faire croire que l’Occident est engagé à agir même quand il omet intervenir et que la situation des Palestiniens en général, et de ceux de Gaza en particulier, se détériore rapidement. Il nous vend la dépossession continue des Palestiniens dans une bouteille étiquetée « paix ».

Il est aussi une sorte de proconsul européen pour conseiller les Américains sur un nouveau paquet-cadeau pour leur politique. Les USA sont devenus conscients qu’ils ont perdu toute crédibilité dans le reste du monde sur cette question. Le job de Blair est de reconcevoir la bouteille appelée « USA honnête intermédiaire » pour qu’on achète le produit à nouveau.

Sa tâche suivante est d’essayer de soutirer d’Israël toute concession mineure qu’il peut assurer pour le compte des Palestiniens et de persuader Tel-Aviv de coopérer pour vendre, comme percée dans le processus de paix, une bouteille vide appelée « espoir ».

Et finalement, il est ici pour créer l’impression que sa tâche principale est de défendre les intérêts des Palestiniens. À cette fin, il ramasse les trois bouteilles, les met dans un joli papier d’emballage et écrit sur l’étiquette « État palestinien ».

Pour ses travaux, il est grassement récompensé, particulièrement par Israël.

NLP : Vous avez décrit comment Israël devient de plus en plus répressif envers sa propre population arabe. De quelle façon ?

JC : Soyons clairs : Israël a toujours été « répressif » envers sa minorité palestinienne. Ses deux premières décennies ont été marquées par un gouvernement militaire très dur pour la population palestinienne en Israël. Par exemple, des milliers de Bédouins ont été expulsés de leurs maisons dans le Néguev plusieurs années après l’établissement d’Israël et chassés dans le Sinaï. Le passé d’Israël ne devrait pas être glorifié.

Ce que j’ai argumenté, c’est que la direction prise par la politique israélienne depuis que le début du processus d’Oslo a été de plus en plus dangereuse pour la minorité palestinienne. Avant Oslo, Israël s’intéressait principalement à contenir et à contrôler la minorité. Depuis Oslo, il a essayé de travailler une situation dans laquelle il pourrait déclarer ne plus être responsable des Palestiniens d’Israël ayant formellement la citoyenneté.

Ceci est intimement lié à la politique plus générale d’Israël de « séparation unilatérale » des Palestiniens sous occupation : à Gaza, par le désengagement ; en Cisjordanie, par la construction du mur. La préoccupation principale Israël est que — après la séparation, s’il restait des citoyens Palestiniens dans l’État juif - ils auraient une bien plus grande légitimité pour demander les mêmes droits que les Juifs. Les Israéliens considèrent que c’est une menace existentielle pour leur Etat : les citoyens Palestiniens pourraient utiliser leur pouvoir, par exemple, pour demander un droit au retour pour leurs proches et ainsi créer une majorité palestinienne. Le problème pour Israël, c’est que les citoyens Palestiniens peuvent exposer l’imposture des affirmations israéliennes d’être un État démocratique.

Alors, dans le cadre de sa politique de séparation, Israël a réfléchi au moyen de se débarrasser de la minorité palestinienne, ou à tout le moins de la priver du droit de vote d’une manière qui semblerait démocratique. C’est une longue histoire que je décris en détail dans mon livre ?Blood and Religion’.

Les politiciens considèrent diverses approches, de l’expulsion physique des citoyens Palestiniens d’Israël dans les bantoustans des territoires occupés à la privation petit à petit des droits de citoyens qu’ils leur restent, dans l’espoir qu’ils choisiront de partir. Pour le moment nous voyons se poursuivre cette dernière politique, mais nombreux sont ceux dans le gouvernement qui souhaitent que la première politique soit réalisée quand le climat politique sera le bon.

NLP : La déclaration fréquente des dirigeants Israéliens est qu’Israël est une démocratie et que les Arabes d’Israël se voient allouer les mêmes droits que les autres citoyens. Comment voyez-vous cela ?

JC : La supposition très partagée qu’Israël est une démocratie est bien étrange.

C’est une démocratie sans frontières définies, comprenant des parties d’un territoire étranger, la Cisjordanie, dans laquelle un groupe ethnique/religieux — les colons juifs — ont le droit de vote tandis qu’un autre — les Palestiniens — ne l’a pas. Ces colons, qui vivent au dehors des frontières internationalement reconnues d’Israël, ont en fait mis au pouvoir Benjamin Netanyahou et Avigdor Lieberman.

C’est aussi une démocratie qui a transféré le contrôle de plus de 13 % de son son territoire souverain (et une grande proportion de sa terre inhabitée) à une organisation extérieure, le Fonds National Juif, qui empêche une partie significative des citoyens israéliens — les 20 % qui sont Palestiniens — d’avoir accès à cette terre, à nouveau sur la base de critères ethniques/religieux.

C’est une démocratie qui a historiquement charcuté son corps électoral en expulsant la plus grande part de la population indigène hors de ses frontières — maintenant appelés les réfugiés Palestiniens — pour assurer une majorité juive. Elle a continué à charcuter sa base électorale en donnant à un groupe ethnique, les Juifs autour du monde, un droit automatique à devenir citoyen tout en refusant le même droit à un autre groupe ethnique, les Arabes Palestiniens.

C’est une démocratie qui, malgré une pléthore de partis et la nécessité de créer de larges coalitions de gouvernement, s’est systématiquement assurée qu’une fraction des partis (les Palestiniens et les antisionistes) a été exclue du gouvernement. En fait, la « démocratie » d’Israël n’est pas une compétition entre différentes visions de la société, comme vous l’attendriez, mais un pays dirigé par une idéologie unique appelée sionisme. En ce sens, il y a eu un parti unique au pouvoir en Israël depuis sa naissance. Tous les nombreux partis qui ont participé au gouvernement au cours des années ont été d’accord sur une chose : qu’Israël devrait être un État qui donne des privilèges aux citoyens qui appartiennent à un groupe ethnique. Là où il y a désaccords, c’est sur des intérêts sectoriels étroits et sur la façon de gérer les détails de l’occupation — une question concernant des territoires hors des frontières d’Israël.

Les défenseurs de l’idée qu’Israël est une démocratie indiquent le suffrage universel du pays. Mais c’est une base bien faible pour classer Israël comme une démocratie. Israël était aussi considéré comme une démocratie dans les années 50 et 60 — avant que l’occupation commence — quand 1/5 de la population, la minorité palestinienne en Israël, vivait sous un gouvernement militaire. Alors comme maintenant, ils avaient le droit de vote mais pendant cette période ils ne pouvaient pas quitter leurs villages sans un permis des autorités.

Mon argument, c’est que donner le droit de vote aux 20 % de l’électorat palestinien n’est pas une preuve de démocratie quand les Juifs d’Israël ont truqué leur « démocratie » à la base par un nettoyage ethnique (la guerre de 1948) ; par des politiques d’immigration discriminatoire (la loi du retour) ; et par la manipulation des frontières pour inclure les colons tout en excluant les Palestiniens occupés, alors qu’ils vivent sur le même territoire.

Les universitaires israéliens qui considèrent ces choses ont dû inventer de nouvelles classifications pour traiter de ces aspects étranges du paysage « démocratique » israélien. Les plus généreux l’appellent une « démocratie ethnique » ; les plus critiques, une « ethnocratie ». La plupart sont d’accord, cependant, que ce n’est pas la démocratie libérale telle que l’imaginent la plupart des occidentaux.

NLP : Vous décrivez le militant et écrivain Uri Avnery, vétéran contre l’occupation, comme un « critique compromis » d’Israël. Qu’entendez-vous par là ? Qu’est-ce qui ne va pas avec la position d’Avnery sur l’occupation ?

JC. Il n’y a rien de faux avec la position d’Avnery sur l’occupation. Il veut la terminer, et il a travaillé opiniâtrement et bravement pour y parvenir pendant des décennies.

Le problème vient de notre [nous ses lecteurs] tendance à mal comprendre ses raisons de rechercher la fin de l’occupation, et en ce sens je pense que son rôle dans le mouvement de solidarité palestinien n’a pas été entièrement utile. Avnery veut que l’occupation finisse mais, c’est clair dans ses écrits, il est motivé avant tout par un désir de protéger Israël comme État juif, le genre d’État ethnocratique que je viens juste de décrire. Avnery ne le cache pas : il s’est toujours déclaré comme un fier sioniste. Mais à mon avis, son attachement à un État privilégiant les Juifs compromet sa capacité à critiquer la logique inhérente du sionisme et à répondre aux changements rapides de la politique d’Israël sur le terrain, particulièrement aux objectifs de la séparation.

En un sens, Avnery est scotché romantiquement aux années 1970 et 1980, l’âge d’or de la résistance palestinienne. Quand la lutte palestinienne était beaucoup plus directe : c’était pour la libération nationale. En ces temps-là la bataille d’Avnery était principalement à l’intérieur de l’Organisation de Libération de la Palestine, pas à l’intérieur d’Israël. Il favorisait une solution à deux Etats quand beaucoup à l’intérieur de l’OLP promouvaient la vision d’un seul État démocratique incluant à la fois Palestiniens et Israéliens. Comme nous savons, Avnery a gagné la bataille idéologique : Arafat a signé pour la vision de deux Etats et est finalement devenu le chef de l’Autorité Palestinienne, le gouvernement palestinien en attente.

Mais avec Oslo et le consentement palestinien formel au partage de la Palestine historique, Avnery a dû déplacer l’axe de sa lutte vers Israël, où il y avait beaucoup plus de résistance à l’idée. Alors que les leaders Palestiniens étaient des participants volontaires, et même enthousiastes du processus d’Oslo, les leaders Israéliens étaient beaucoup plus cyniques. Ils voulaient une dictature palestinienne dans les territoires palestiniens occupés, dirigée par Arafat, qui supprimerait tous désaccord tandis qu’Israël continuerait à exploiter la terre, les ressources en eau et la force de travail palestinienne via une série de zones industrielles.

À cause de son investissement émotionnel dans la politique de séparation d’Oslo, Avnery a pris beaucoup de temps à mesurer la mauvaise foi d’Israël dans ce processus. Alors que les horreurs du mur et les massacres de Gaza se développaient, j’ai commencé à voir dans ses écrits une précaution très tardive, une hésitation. C’est heureux. Mais je pense que voir en Avnery un guide sur la direction que la lutte palestinienne contre l’occupation devrait prendre maintenant — par exemple, sur la question du boycott, du désinvestissement et des sanctions — ce n’est probablement pas sage. Sur d’autres questions, il a de nombreuses intuitions fascinantes à offrir.

NLP : Vous êtes un avocat de la solution à un État du conflit. Vue l’opposition écrasante de la plupart des Israéliens à une telle solution comment ceci va-t-il arriver ?

JC : Laissez-moi faire une qualification initiale. Je ne me considère pas comme un « avocat » d’une quelconque solution particulière du conflit. Je serais heureux de soutenir une solution à deux Etats si je la pensais possible. Je n’ai pas d’opinion sur l’arrangement technique requis pour que les Palestiniens et les Israéliens vivent des vies heureuses et en sécurité. Si cela peut être réalisé dans une solution à deux Etats alors j’y suis tout à fait favorable.

Mon soutien pour un État vient du fait que je demande encore à voir quelqu’un faire un plaidoyer convaincant pour deux Etats, au vu des réalités actuelles. Dans la communauté progressiste, ceux qui soutiennent la solution à deux Etats semblent le faire parce que leur connaissance du conflit est basée sur des compréhensions dépassées d’une décennie ou plus, et typiquement parce qu’ils savent assez peu ce qui fait tourner la politique israélienne dans les frontières internationalement reconnues d’Israël — ce qui n’est pas vraiment surprenant, vue la minceur de l’information sur le sujet.

Ceci est lié à la question de savoir comment les Israéliens peuvent être convaincus. Si le critère pour décider de la viabilité d’une solution est qu’elle soit acceptable par l’opinion publique juive israélienne, alors les tenants de deux Etats ont exactement le même problème que les tenants d’un État. Il n’y a pas de soutien populaire en Israël pour un retrait complet aux frontières de 1967, pour une connexion entre la Cisjordanie et Gaza, des frontières ouvertes pour l’État palestinien et son droit à créer des alliances diplomatiques comme il le souhaite, une armée palestinienne et une force aérienne, les droits palestiniens à leurs ressources en eau, Jérusalem comme capitale de la Palestine, etc. Presque aucun Juif israélien ne voterait pour un gouvernement proposant cette solution.

Quand nous entendons parler de sondages indiquant qu’une majorité d’Israéliens est pour une solution à deux Etats, ce n’est pas à cela que les sondés se réfèrent : ils veulent dire une série de bantoustans entourés par du territoire israélien et des colons, des contrôles sévères des déplacements des Palestiniens entre ces bantoustans, la capitale de la Palestine à Abou Dis ou dans un autre village autour de Jérusalem, la poursuite du contrôle d’Israël sur l’eau, pas d’armée palestinienne, etc.. La vision du public israélien sur la Palestine à la même que celle de ses dirigeants : une extension du modèle de Gaza à la Cisjordanie.

Alors il vaut mieux oublier pour le moment de céder aux exigences de l’opinion publique israélienne. Elle changera quand elle se verra devant un autre calcul coût-bénéfices pour la poursuite de la domination sur les Palestiniens, comme cela s’est produit parmi les Sud-africains blancs qui ont été encouragés à se tourner contre le régime d’apartheid. C’est le rôle de campagnes comme celle de Boycott, Désinvestissements et Sanctions. Réfléchissons plutôt sur des solutions viables qui s’accordent avec les droits des Israéliens et des Palestiniens à vivre des vies correctes.

Il est intéressant que malgré la croyance fausse que les Israéliens favorisent une (réelle) solution à deux Etats sur une solution à un État, il y a maintenant des indications qu’une large coalition d’Israéliens accepte l’idée que le moment pour une solution à deux Etats est dépassé. Meron Benvenisti, l’ancien maire adjoint de Jérusalem, en est un dans la gauche sioniste. Mais, surprise, il a été rejoint récemment par Tzipi Hotovely, un député influent du parti Likoud de Netanyahou, qui argumente pour accorder la citoyenneté aux Palestiniens de Cisjordanie.

NLP : D’autres intellectuels comme Noam Chomsky et Norman Finkelstein ont argumenté en faveur d’une solution à deux Etats, en soulignant que l’opinion mondiale et la loi internationale sont fermement du côté d’une telle solution. Comment répondez-vous ?

JC : Tout autant que je respecte Finkelstein et Chomsky, je ne trouve pas ces arguments convaincants.

Dans ce cas, « opinion mondiale » ne veut pas dire beaucoup plus qu’opinion à Washington, et comme Chomsky l’a souligné avec éloquence en de nombreuses occasions, les USA auprès d’Israël sont le parti du rejet dans le conflit. En fait c’est précisément parce que les USA et Israël sont le camp du rejet que nous devrions être méfiants sur l’acceptation d’un arrangement à deux Etats comme solution viable du conflit maintenant que les leaders des deux pays le soutiennent ostensiblement.

J’argumenterai plutôt que les USA et Israël font semblant de soutenir une solution à deux Etats pour masquer la réalité qui émerge sur le terrain, dans laquelle le privilège juif est maintenu par une solution à un État imposée unilatéralement par Israël. Sans ce camouflage, la nature d’apartheid du régime et le programme rampant de nettoyage ethnique seraient évidents pour tout le monde.

Depuis Oslo, Barak, Sharon, Olmert et Livni ont tous compris que « l’opinion mondiale » ne pouvait être maintenue à distance que tant qu’Israël semblait favoriser une solution à deux Etats. Netanyahu a gêné l’Occident, et les USA en particulier, en laissant tomber ce faux-semblant. C’est pourquoi il est si impopulaire et pourquoi nous commençons à voir plus de descriptions critiques d’Israël dans les médias. Les choses ne sont pas pires, au moins dans les territoires occupés, qu’elles ne l’étaient sous Olmert and Co. (en fait, on pourrait soutenir qu’elles sont légèrement meilleures), mais il est beaucoup plus facile pour les journalistes de couvrir une partie de la réalité maintenant. Je suppose que c’est un moyen de ramener Netanyahou dans la ligne.

L’argument de la loi internationale, dans ce contexte, n’est pas beaucoup plus utile. Alors que la loi internationale offre un ensemble de principes précis et indépassables quand il s’agit de déterminer les lois de la guerre, par exemple, les choses ne sont pas si évidentes quand elle concernent les frontières et les territoires.

À quel morceau de loi internationale nous référons-nous ? Pourquoi ne pas prendre comme point de référence le plan de partage de 1947, qui verrait près de la moitié de la Palestine historique revenir aux Palestiniens, et Jérusalem sous contrôle international ? Et que faisons-nous de la résolution de l’ONU 242, qui se réfère à « l’acquisition de territoires » dans la version anglaise et « l’acquisition des territoires » dans la version française ? Les Palestiniens devraient-ils se voir offrir 22 % de leur patrie ou moins de 22 % ? Et que signifient les accords d’Oslo en pratique pour la souveraineté palestinienne, étant donné que les questions du statut final ont été laissées ouvertes ?

On peut argumenter interminablement sur ces points, et s’attarder sur eux à l’exclusion de toute autre considération, c’est une recette pour aider les puissants dans leur lutte pour assurer que le status quo — l’occupation — se maintient.

Les objectifs premiers de la loi internationale sont doubles : sauvegarder la dignité des êtres humains ; et assurer leur droit à l’autodétermination. De mon point de vue, ces objectifs ne peuvent pas être réalisés par une solution à deux Etats, étant donné à la fois les réalités sur le terrain et les conditions sur la souveraineté palestinienne exigées par Israël et la communauté internationale.

Alternativement, nous devrions nous adresser à la loi internationale pour fournir un cadre de référence à une solution au conflit israélo-palestinien, mais il ne doit pas nous lier les mains. L’objectif est de trouver un arrangement pratique et politiquement créatif qui ait une légitimité aux yeux des deux parties et qui puisse assurer que les Israéliens et les Palestiniens vivent des vies heureuses et sûres. L’objectif ici n’est pas une solution technique, c’est une paix durable.

NLP : La couverture médiatique britannique du conflit est typiquement plus sympathisante envers Israël qu’envers les Palestiniens, et généralement elle échoue à donner le fond historique approprié du conflit. Pourquoi, à votre avis, les médias britanniques se comportent t-ils ainsi concernant le conflit ?

JC : Il y a différentes raisons qui sont parfois difficiles à démêler. Pour simplifier, je vais les séparer en trois catégories : les questions pratiques auxquelles font face les journalistes couvrant le conflit ; les attentes imposées par le « professionnalisme » supposé du journaliste ; et les contraintes idéologiques et structurelles qui reflètent le fait que le journalisme dominant pratiqué aujourd’hui est un journalisme réprimé par les intérêts des entreprises.

Sur les questions pratiques, une des plus importantes — quoique la plus tue pour des raisons évidentes — c’est le fait que les bureaux étrangers préfèrent nommer des journalistes Juifs pour couvrir le conflit. En partie, la préférence pour les journalistes Juifs reflète une estimation des rédacteurs en chef, probablement correcte, qu’Israël, pas les Palestiniens, fait les nouvelles et que les journalistes Juifs se débrouilleront mieux quand ils négocient dans les coulisses du pouvoir d’un État juif auto-déclaré. Face aux candidats pour l’emploi, un rédacteur en chef étranger fera souvent le choix facile d’un Juif qui parle bien l’hébreu, dont la famille ici fournira des contacts tout prêts, et qui a un certain type d’engagement à vivre ici et à obtenir une compréhension plus profonde de la vie (israélienne). Bien sûr, ce sont précisément les raisons pour lesquelles un rédacteur en chef devrait juger un journaliste inapproprié, mais en pratique ça ne se passe pas ainsi.

Je sais par expérience personnelle que la plupart des dirigeants Israéliens essaient de découvrir si vous êtes Juif avant qu’il établisse une quelconque forme d’intimité avec vous comme journaliste. Ceci opère à l’avantage des journalistes Juifs quand un job se déclare à Jérusalem.

Je dois ajouter que la tendance historique des médias britanniques à nommer des journalistes Juifs à diminué ces dernières années, peut-être parce que les bureaux ont pris plus conscience de cela. Mais elle est encore très forte parmi les médias étasuniens, et ce sont les médias étasuniens qui donnent le la de la hiérarchie des nouvelles sur le conflit. Ethan Bronner du New York Times est assez typique de ce point de vue et la décision indulgente du journal de lui permettre de continuer ses articles après les révélations d’un clair conflit d’intérêts — son fils a rejoint l’armée israélienne — ne fait que souligner ce point.

La deuxième question pratique est la localisation des bureaux britanniques : dans Jérusalem Ouest juif. Ceci conduit à une identification naturelle avec les préoccupations israéliennes. Il serait tout aussi facile, et moins coûteux, de mettre des journalistes à courte distance à Ramallah, ou même dans un quartier palestinien de Jérusalem Est, mais personne ou presque ne le fait.

Et puis il y a les sources locales d’information auxquelles se fie un journaliste. Il ou elle lira les médias israéliens, qui pour la plupart ont des éditions anglaises, et il en viendra à comprendre le conflit au travers des analyses et des commentaires de journalistes Israéliens. C’est encore plus vrai pour les journalistes qui lisent l’hébreu. Y a-t-il des journalistes britanniques lisant les médias palestiniens en arabe ? J’en doute.

Similairement, les porte-parole Israéliens ont beaucoup plus de chances d’être des sources d’information : ils parlent anglais habituellement ; ils sont accessibles, particulièrement si vous êtes Juif et vu comme « sympathisant » pour Israël ; et ils font autorité du point de vue des correspondants. À l’opposé, les Palestiniens sont dans une position bien plus faible. Qui compte comme porte-parole palestinien ? Habituellement les journalistes se tournent vers l’Autorité Palestinienne pour des commentaires, même quand le programme de l’AP est fortement compromis et quand l’opinion palestinienne est profondément divisée. De plus, les porte-parole Palestiniens officiels sont souvent ligotés par une bureaucratie rigide, le manque de responsabilité, des problèmes de langue, et une connaissance faible des décisions prises à Tel-Aviv et à Jérusalem Ouest qui déterminent leur vie.

Les questions qui dérivent du soi-disant « professionnalisme » du journalisme doivent être séparées en deux. L’entraînement professionnel des journalistes les encourage à croire qu’il existe des critères objectifs qui définissent les nouvelles qui comptent. Si bien que les journalistes professionnels sont supposés suivre des lignes d’enquête similaires et se tourner vers le même groupe de contacts « neutres ». Ceci justifie à la fois la philosophie de la « chasse en meute » qui sous-tend la majorité du journalisme dominant et l’appui sur les sources de l’establishment que les journalistes utilisent pour interpréter les nouvelles.

Dans le cas d’Israël-Palestine, on en vient à des compte-rendus très similaires du conflit qui sont ordinairement filtrés au travers des perspectives d’une élite étroite et de politiciens, d’universitaires et de diplomates qui partagent les mêmes hypothèses fantasmatiques sur le conflit : qu’il y a un processus de paix significatif ; que les leaders Israéliens agissent de bonne foi ; que l’occupation est désagréable mais temporaire ; que les Palestiniens sont les pires ennemis d’eux-mêmes ou génétiquement prédisposés au terrorisme ; que l’occupation de Gaza est terminée ; que les Américains sont une partie neutre dans le conflit ; etc..

« L’équilibre » est aussi souvent considéré comme une qualité essentielle de tout journalisme professionnel. L’équilibre du type « Israël dit — les Palestiniens disent » encourage une vision d’un conflit avec deux côtés à égalité. Il favorise le status quo, qui favorise Israël parce c’est la partie dominante.

Une autre question qui biaise la couverture médiatique : les journalistes professionnels sont supposés prendre des directives pour leur couverture des événements d’éditeurs en chef, habituellement à des milliers de kilomètres de là. Les médias dominants sont très hiérarchisés et peu de journalistes risqueront de s’engager dans des combats répétés avec des éditeurs en chef s’ils veulent réussir. Le problème, c’est que ces éditeurs ont formé leurs opinions du conflit en partie par la lecture d’éditorialistes influents, notamment ceux des USA considérés comme proches des centres de pouvoir. Ceci signifie que des commentateurs sionistes comme Thomas Friedman et feu William Safire façonnent la compréhension des éditeurs britanniques sur la région et par conséquent aussi le type de couverture qu’ils attendent de leurs journalistes. Habituellement, les journalistes professionnels n’inventent pas des choses pour satisfaire leurs éditeurs, mais ils se tiennent à l’écart de certains sujets ou de fils d’enquête qui iraient contre les préjugés de leurs éditeurs.

Cette tendance est fortement renforcée par le lobby pro-Israël en Grande-Bretagne, qui rend les choses difficiles aux journalistes et à leurs éditeurs sitôt qu’ils s’écartent des hypothèses habituelles, généralement fausses, sur Israël. Le simple poids du lobby, à la fois en termes de ses connexions avec les élites britanniques et de son grand nombre de troupiers, le rend très intimidant pour les médias. Des questions mineures d’interprétation par un journaliste peuvent rapidement être gonflées en un scandale à grande échelle de journalisme biaisé ou en accusations d’antisémitisme. Même un reportage juste qui est critique d’Israël peut endommager la réputation d’un journaliste, comme Jeremy Bowen l’a découvert l’an dernier quand des plaintes absurdes contre lui furent maintenues par le BBC Trust.

L’effet du lobby en Grande-Bretagne est encore rehaussé par le pouvoir bien plus grand du lobby pro-Israël aux USA. Les éditeurs britanniques, comme nous l’avons déjà noté, regardent vers les commentateurs étasuniens pour les directives sur le conflit. Si bien que le lobby US, en façonnant les points de vue des médias étasuniens, affecte aussi la conception des médias britanniques.

Ces derniers problèmes sont intimement liés aux questions idéologiques et structurelles bien plus larges affectant le journalisme moderne qui dirige la couverture d’Israël-Palestine.

Lors de mes débuts de carrière travaillant pour des journaux britanniques, j’étais un journaliste libéral très traditionnel. Ce n’est que lorsque je suis devenu freelance, que je me suis établi au Moyen-Orient et que j’ai commencé à couvrir le conflit israélo-palestinien depuis une ville palestinienne que j’ai découvert que mes croyances de toute une vie sur les médias britanniques libéraux étaient insoutenables. Ce fut une période de désillusion rapide et profonde. Arrivé ici, j’étais face à un choix catégorique : rapporter sur le conflit de la même manière tordue et trompeuse adoptée par les journalistes conformistes ou bien devenir ce qu’on appelle un journaliste « dissident ». Je me suis battu dans la première option pendant un certain temps, en publiant dans le Guardian et dans l’International Herald Tribune quand je pouvais, mais c’était avec la conscience lourde. Ce fut pendant cette période que j’ai entendu parler du modèle de propagande d’Ed Hermann et de Noam Chomsky, ainsi que de sites Web comme Media Lens, qui ont finalement donné du sens à ma propre expérience de journaliste.

Le problème structurel du journalisme moderne est un sujet énorme que je ne peux qu’effleurer ici.

Le journalisme professionnel existe dans sa situation actuelle parce qu’il est subventionné par des propriétaires fabuleusement riches et par des publicistes fabuleusement riches, qui, tous deux, partagent les intérêts des entreprises qui dirigent nos sociétés. Les médias possédés par des entreprises s’assurent via un processus de « filtrage » que leurs journalistes partagent leurs valeurs entrepreneuriales. Les journalistes qui parviennent à une position comme celle de chef de bureau à Jérusalem, par exemple, sont passés par un processus très long de sélection qui se débarrasse de quiconque est considéré indésirable. Typiquement, un journaliste indésirable échoue à se conformer aux règles implicites de la profession : il n’est pas intimidé face au pouvoir et à l’autorité, il regarde au-delà des élites pour d’autres sources d’information, il rejette l’idée bidon de l’objectivité et de la neutralité, etc. De tels journalistes, soit restent bloqués dans des emplois inférieurs, soit sont virés.

Le résultat est une sorte de sélection naturelle darwinienne qui assure que les journalistes d’entreprises, de clubs, parviennent au sommet et sélectionnent ceux qui les suivront à leur image.

Étant donnée cette analyse du journalisme d’entreprises, il devient beaucoup plus facile de comprendre pourquoi les médias occidentaux, où les intérêts financiers, militaires et industriels prévalent, montrent une bien plus grande sympathie pour les préoccupations israéliennes que pour celles des Palestiniens.

* Jonathan Cook est un écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres sont : “Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East” (Pluto Press) et “Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair” (Zed Books). ).
Son site Web est www.jkcook.net. Cette interview est une contribution à http://www.PalestineChronicle.com. (Cette interview est apparue en premier sur le site Web du New Left Project à : http://newleftproject.org)

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12 mars 2010 - Middle East Online - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middle-east-online.com/e...
Traduction de l’anglais : Jean-Pierre Bouché