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Des films palestiniens sur les femmes pour susciter le débat
samedi 16 janvier 2010 - Benjamin Barthe - Eurojar/L’Orient-le-Jour

Les films palestiniens se rangent dans deux catégories. Les longs-métrages de fiction, souvent coproduits par des chaînes de télévision européennes, sont montrés une ou deux fois au Kassaba, à Ramallah, l’unique salle de cinéma de Cisjordanie et s’en vont aussitôt après faire carrière sur le Vieux continent. Les autres, plus modestes, courts et moyens-métrages, souvent documentaires, sont projetés pendant des mois sur les écrans de fortune du réseau associatif palestinien. Les premiers sont vus par la bourgeoisie éclairée de Ramallah et par les diplomates, experts et autres coopérants étrangers qui fourmillent dans les territoires occupés. Les seconds trouvent un public moins chic, mais plus varié et plus nombreux, qui s’étend jusqu’aux villages reculés et aux camps de réfugiés.

Les quatre films produits dans le cadre du projet « Masarat » appartiennent à cette seconde famille. Financé par l’Union européenne, ce projet vise à susciter le débat sur la place de la femme dans la société palestinienne. Il a abouti à la réalisation de quatre documentaires de quinze minutes chacun et à leur projection dans des dizaines d’associations, centres culturels et universités, parallèlement à leur diffusion sur les écrans des télévisions locales de Cisjordanie. « En tout, nous avons recensé cent soixante-huit diffusions télévisées et cinquante-huit projections dans des structures communautaires. C’est un vrai quadrillage de la Palestine », s’enthousiasme Alia Arasoughly, la directrice de Shashat, une ONG de promotion du cinéma au féminin, qui a assuré la production des courts-métrages.

Calvaires intimes

Le plus réussi d’entre eux, intitulé Graines de grenade dorées , traite du fléau de l’inceste et de la loi du silence qui bâillonne les femmes qui en sont victimes. La réalisatrice, Ghada Terawi, a recueilli des témoignages poignants, le récit de calvaires intimes aux mains d’un père ou d’un oncle concupiscent et d’une mère qui sait forcément, mais détourne le regard. Ces interviews coups de poing sont entremêlées avec un conte folklorique, davantage allusif, présenté sous forme de dessin animé. C’est l’histoire de Graines de grenade dorées, une jeune fille condamnée à une vie d’errances parce qu’elle a surpris le cheikh de son village en train de dévorer un enfant et qu’elle ne parvient pas à le dénoncer. Le film se conclut sur la supplique d’une des femmes qui témoigne, le visage dans l’ombre pour ne pas être reconnue « Ne restez pas silencieuse... Parlez, même au vent s’il le faut. Mais parlez, parlez... »

Le message a été reçu au-delà de toute espérance. Une heure après la projection dans une université de Cisjordanie, deux élèves sont entrées en pleurs dans le bureau du directeur des études et lui ont raconté les attouchements auxquels leur père se livre depuis des mois. À Tulkarem, dans les quarante-huit heures qui ont suivi la diffusion du film par la télévision locale, un officier de police, qui avait participé au débat télévisé, a reçu quatorze appels de jeunes femmes, victimes de harcèlement sexuel.

« Parmi les appels, il y avait celui d’une jeune fille violentée par son frère et son oncle en même temps, dit le lieutenant Emad Salameh. Celui aussi d’une mère de famille soumise aux assauts de son père, parce que son mari est emprisonné en Israël et qu’elle a dû revenir vivre chez ses parents », raconte-t-il. Pour l’instant, sur ces quatorze confessions spontanées, deux ont déjà donné lieu à un dépôt de plainte. « C’est bien de parler de la résistance à l’occupation israélienne, dit Abir Kilan, la directrice de la télévision de Naplouse qui a diffusé elle aussi le film. Mais il est important aussi d’apprendre à combattre les dysfonctionnements de notre propre société. »

Un deuxième documentaire traite d’un autre sujet tabou dans la société palestinienne : les amourettes de collège. Intitulé Premier amour et réalisé par Dima Abu Ghoush, il met en scène un groupe de copines, qui évoquent leurs premiers émois, la réprobation des parents et le désarroi qui s’ensuit. Sa projection a également suscité un vif débat, centré sur la façon d’accompagner les jeunes filles à travers ce rite de passage.

Les deux derniers films abordent des thématiques moins sensibles, mais pas moins importantes. Loin de la solitude , de Sawsan Qaoud, rend hommage à l’abnégation de ces paysannes qui triment toute la journée dans les champs puis se lèvent au milieu de la nuit pour monnayer leur maigre récolte sur les étals de Jérusalem-Est. « Ce sont des figures familières, on les croise souvent, assises sur les trottoirs, mais on peine à imaginer la dureté de leur existence, dit Alia Arasoughly. Si ce film peut leur faire gagner quelques shekels supplémentaires par jour, il aura rempli son rôle ».

Enfin, Samia , par Mahasen Nasser-Eldin, dresse le portrait tout en nuances d’une septuagénaire iconoclaste, qui s’est mariée par amour mais porte le voile, veuve et chef de chantier, humble et pleine de dynamisme à la fois. Un parcours entre modernité et tradition, qui fait figure de modèle pour toute la société palestinienne.

14 décembre 2009 - Eurojar