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Laisser l’Afghanistan aux Afghans
jeudi 12 novembre 2009 - Patrick Cockburn
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Le 10 septembre 2009, une frappe aérienne des forces d’occupation
fait 125 tués dans la région de Kunduz.




Pourquoi les Afghans s’opposent à l’escalade

Les Etats-Unis sont sur le point d’envoyer des dizaines de milliers de soldats supplémentaires dans le pays. La nature du conflit se modifie. Qu’est-ce que cette guerre d’un gouvernement afghan censé combattre les Talibans, aujourd’hui conduite essentiellement par les armées américaines et britanniques. Pour de plus en plus d’Afghans, cela ressemble à une occupation impérialiste.

A propos des divergences entre Washington et Londres sur l’envoi de troupes supplémentaires, il est rarement indiqué que les Afghans sont opposés à ce déploiement. Allant à l’encontre des projets occidentaux, un sondage d’opinion réalisé au début de l’année par BBC, ABS News et ARD révèle que seuls 18% des Afghans acceptent de nouvelles forces US et de l’OTAN/FIAS (Force internationale d’assistance et de sécurité), en Afghanistan. En plus grand nombre, 44%, les Afghans veulent une réduction des forces étrangères en Afghanistan.

Au vu de ces chiffres, il ne faut guère être surpris que les Talibans arrivent à gagner des soutiens. La cruauté de leur règne d’avant 2001 n’est plus qu’un lointain souvenir. Ils ont réussi à se montrer eux-mêmes comme les défenseurs du pays face à l’occupation étrangère. Matthew P. Hoh, haut représentant civil américain dans la province de Zabul, à l’est de Kandahar, a démissionné la semaine dernière parce qu’il était devenu convaincu que l’armée états-unienne ne devait pas être en Afghanistan. Ancien officier des Marines US ayant servi en Iraq, il indique dans sa lettre de démission que les Etats-Unis ont pris parti dans une guerre civile vieille de 35 ans entre la communauté traditionnelle pachtoune et ses ennemis.

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Il ne faut guère être surpris que les Talibans arrivent à gagner des soutiens.

«  La présence militaire des Etats-Unis en Afghanistan contribue grandement à la légitimité et au message stratégique de l’insurrection pachtoune, » dit-il. « De la même manière, notre soutien au gouvernement afghan dans sa forme actuelle continue de détacher le gouvernement du peuple. » Selon lui, la plupart des insurgés se battent contre la présence de soldats étrangers, et pas pour les Talibans.

Ce qui est vrai pour les Américains dans Zaboul est vrai aussi pour les Britanniques dans Helmand. Selon les commandants militaires sur le terrain, avec plus de troupes ils pourraient occuper plus de terrain et faire sortir plus de patrouilles. Cela n’est guère étonnant. Dans toute l’histoire, les généraux ont toujours cru qu’avec quelques milliers de soldats de plus, ils auraient eu la victoire. Mais les Afghans, qui ont une longue expérience de la guerre, pensent que plus de soldats étrangers signifierait plus de violence et plus de morts et de blessés afghans. Le soutien aux Talibans est plus fort dans les zones où il y a eu des bombardements américains ou de l’OTAN, ou des attaques aériennes, qui ont infligé des pertes civiles. En d’autres termes, les meilleurs sergents recruteurs pour les Talibans sont les armées américaines et britanniques.

Ce n’est pas d’abord pour que l’Afghanistan ait un bel avenir que la Grande-Bretagne a une armée de 9 000 hommes en Afghanistan, d’après Gordon Brown. Il a déclaré vendredi qu’ils étaient là pour protéger les gens qui marchaient dans les rues de Grande-Bretagne : « Nos enfants sauront l’héroïsme des hommes et des femmes d’aujourd’hui qui combattent en Afghanistan, protégeant notre nation et le reste du monde de la menace du terrorisme mondial. Nous combattons là-bas, a-t-il ajouté, pour que nous soyons en sécurité dans nos maisons et pour nous protéger des atrocités perpétrées par Al-Qa’ida non seulement à Londres, mais aussi à New York, à Bali, Baghdad, Madrit, Mumbai et Rawalpindi. »

Le problème avec cet argument c’est qu’Al-Qa’ida est basée au Pakistan, pas en Afghanistan. Il n’y a aucune raison particulière pour que ses dirigeants reviennent en Afghanistan étant donné qu’ils ont des appuis dans les services de renseignements pakistanais et parmi les organisations fondamentalistes djihadistes. Si la Grande-Bretagne a envoyé 9 000 hommes de troupe à l’étranger combattre Al-Qa’ida, alors elle s’est trompée de pays. Mr Brown tente sournoisement d’éluder cette question en prétendant que « les trois quarts des complots terroristes ont pour origine les régions frontalières pakistano-afghanes. » Son absence soudaine de précision géographique sur l’endroit où ces complots sont fomentés lui évite d’avoir à reconnaître qu’ils proviennent en fait du Pakistan, et non d’Afghanistan. Selon l’armée américaine, il n’y a qu’une centaine de militants Al-Qa’ida dans tout l’Afghanistan.

En réalité, la présence d’une force militaire britannique importante en Afghanistan fait de la Grande-Bretagne un pays où il est plus risqué de vivre et non pas plus sûr. Les interrogatoires des kamikazes capturés avant qu’ils aient pu se faire sauter ont révélé que leur première motivation depuis le 11 Septembre est de s’opposer aux guerres en Iraq et en Afghanistan. C’était évidemment celle du major Nidal Malik Hasan, psychiatre de l’armée américaine, qui a tué 13 personnes à Fort Hood au Texas. En décrivant la Grande-Bretagne comme un pays en guerre contre Al-Qa’ida, Mr Brown, à l’instar du Président Bush et de Tony Blair, tombe tout droit dans le piège tendu par Al-Qa’ida à l’époque du 11 Septembre. L’objectif d’Am-Qa’ida n’était pas seulement de montrer que les USA étaient vulnérables aux attaques armées, mais aussi de provoquer des représailles contre les pays musulmans. Ayman al-Zawahiri, chef stratégique d’Al-Qa’ica, déclarait aussitôt le 11 Septembre que l’objectif de cette provocation était de conduire les USA dans des représailles qui ouvriraient la voie à «  un jihad dur contre les infidèles  ».

En Afghanistan comme en Iraq, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont été confrontés aux mêmes dilemmes. Ces guerres ont été déclanchées par le Président Bush, avec un Tony Blair qui trottait derrière, en comptant qu’elles seraient courtes et peu coûteuses. Les assauts militaires du début ont été totalement victorieux, mais les armées américaine et britanniques ont été ensuite prises dans des guerres de guérillas, prolongées et acharnées. Après, il y avait en jeu trop de prestige et trop de sang versé pour pouvoir se retirer. La nature extrêmement chétive de l’insurrection armée en Iraq et en Afghanistan, chacune avec probablement quelques milliers de combattants, rendait de surcroît tout retrait encore plus humiliant.

La principale raison à l’origine de l’engagement militaire de la Grande-Bretagne en Afghanistan était de garder sa position de principal allié des Etats-Unis dans le monde. Même si jusqu’à tout récemment, en 2006, cela pouvait sembler être une stratégie avec un certain sens, il n’empêche que, comme un bref coup d’ ?il sur les antécédents de la région peut le démontrer, tout engagement en Afghanistan est toujours dangereux. Les Talibans n’ont pas été vraiment battus sur le champ de bataille en 2001, et leurs militants sont retournés dans leurs villages ou se sont réfugiés sur la frontière au Pakistan. Il a fallu du temps au gouvernement du Pakistan, dont ils étaient extrêmement dépendants, pour décider qu’il pouvait sans danger les affronter, les Etats-Unis étant trop embourbés en Iraq pour s’en occuper vraiment.

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Karzai, le corrompu, représentant d’un régime fantoche.

A cette époque déjà, le gouvernement du président Hamid Karzai faisait tout pour se discréditer. Il s’agissait moins d’une administration que d’un trafic. Ses responsables faisaient probablement plus d’argent avec l’opium et l’héroïne que les Talibans. La corruption avait atteint tous les domaines de la vie. Même le prix du pain était plus élevé à Kaboul qu’au Pakistan à cause des taxes, officielles et non officielles. Quelque 12 millions d’Afghans, 42% de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté, tentant de survivre avec 45 cents par jour, selon le gouvernement afghan et les Nations unies. Ils sont sous-alimentés ou affamés. Sans surprise, ils ne voient guère de loyauté dans un gouvernement dont les ministres vivent dans leurs « Poppy Palaces » (narco-palais), construits avec les profits du trafic de drogue, ou dont les conseillers étrangers gagnent 250 000 dollars par an.

« Malheureusement, le gouvernement d’Afghanistan est devenu synonyme de corruption, » dit Mr Brown. « Et je ne suis pas prêt à mettre la vie des hommes et des femmes britanniques en danger pour un gouvernement qui ne combat pas la corruption. » A première vue, cela signifie que la Grande-Bretagne va retirer ses troupes puisque s’il y a une certitude en Afghanistan, c’est qu’un gouvernement si viscéralement malhonnête ne va pas se lancer dans des réformes. « Les copains et les seigneurs de la guerre n’ont pas leur place dans l’Afghanistan de demain, » continue le Premier ministre, n’empêche que Mr Karzai a préparé sa victoire électorale en s’alliant avec les seigneurs de la guerre les plus tâchés de sang du pays. Vraisemblablement, la promesse de Mr Brown est purement rhétorique.

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont basculé dans une seconde guerre d’Afghanistan à laquelle ils ne s’attendaient pas. Pour tenter de justifier leurs erreurs de jugement, les dirigeants états-uniens et britanniques prétendent que l’Afghanistan est une guerre qui doit être menée car elle est l’épicentre de la guerre contre le terrorisme international. Ne pas s’y battre signifierait que les Talibans seraient bientôt de retour à Kaboul avec Al-Qa’ida dans leurs bagages. Au Pakistan, la variante locale est que les Talibans prendraient le contrôle de l’arme nucléaire. Ces menaces sont grossièrement exagérées. Les Talibans afghans viennent de la communauté pachtoune qui représente 42% de la population. La majorité des Afghans s’y opposeront toujours. Naturellement, les dirigeants actuels afghans ou pakistanais ont tout intérêt à présenter leurs soutiens étrangers comme l’alternative aux Talibans.

« L’insurrection pachtoune, » explique Mr Hoh, « est alimentée par ce qui est perçu par la population pachtoune comme une agression continue et soutenue, remontant à des siècles, contre la terre, la culture, les traditions et la religion pachtounes, par des ennemis intérieurs et extérieurs. » La Grande-Bretagne ne devrait pas se mêler à cette agression qui ne parviendra pas à écraser une rébellion régionale pachtoune pour le compte d’un Etat non pachtoune. Une fois qu’on a admis cela, la nécessité d’une force de combat importante dans le sud de l’Afghanistan disparaît.

Ce qui se passe finalement en Afghanistan doit être laissé aux Afghans.

Patrick Cockburn, journaliste irlandais, est l’auteur de Muqtada : Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq..

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9 novembre 2009 - Counterpunch - traduction : JPP